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De l'eau au moulin

Publié le 2 mars 2020 |

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En Normandie, une oasis d’élevage bovin extensif pour le Sonneur à ventre jaune

Par Mickaël Barrioz, Mégane Skrzyniarz, Union Régionale des Centres Permanents d’Initiatives pour l’Environnement de Normandie (URCPIE) et Lucy Morin, Communauté d’Agglomération Seine-Eure

Artificialisation des terres agricoles, intensification des pratiques culturales, régression des prairies… Dans ce contexte, un amphibien a pourtant survécu dans l’Eure, au sein d’une oasis d’élevage extensif : le Sonneur à ventre jaune. Bénéficiant d’un programme de réintroduction, cette espèce rare et toujours en danger est aujourd’hui, dans la vallée de l’Iton, un précieux indicateur de la dynamique des milieux naturels et, au-delà, des agrosystèmes.

Le Sonneur, espèce en danger critique d’extinction en Normandie

Le Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) est une espèce médio-européenne et méridionale orientale qui se trouve en France en limite occidentale de répartition. Il est présent dans 52 départements (sur 96) mais seulement assez commun ou commun dans douze d’entre eux (Duguet et Melki, 2003).

Signalé dès 1866 en Normandie par le naturaliste Lieury, le Sonneur était considéré à l’aube du XXe siècle comme assez rare à l’échelle de la région mais localement commun dans les grandes vallées de l’Eure et de Seine-Maritime. Or ces vallées ont connu une artificialisation intense avec le développement des papeteries, des industries textiles puis pétrochimiques, automobiles et autres. Ainsi, le Sonneur, espèce caractéristique du cortège d’amphibiens pionniers alluviaux a connu une régression extrêmement forte.

Ce cortège est composé d’espèces adaptées à des conditions d’inondation des zones de reproduction assez aléatoires : bras morts, roselières, pelouses sur sable et prairies humides, etc. Toutes ces espèces ont très fortement décliné en Normandie orientale : le Pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus), le Crapaud calamite (Epidalea calamita), la Rainette verte (Hyla arborea)… mais la plus menacée est indéniablement le Sonneur, notamment en raison d’une résilience moindre inhérente aux populations en limite d’aire de répartition.

A partir de ces noyaux de population, les prairies et les champs situés sur les plateaux pouvaient être colonisées sporadiquement. Les sites aquatiques signalés jadis dans la région étaient « des mares », souvent en contexte prairial, ou « des flaques d’eau des champs, des prairies et des chemins » (Gadeau de Kerville, 1896, Letacq, 1900, ainsi que les observations de Zuiderwijk, 1979, in Barrioz et al., 2015).

Cette espèce est aujourd’hui en danger critique d’extinction dans la région Normandie et vulnérable à l’échelle nationale, selon la Liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Sa sauvegarde nécessite la désignation de Zones Spéciales de Conservation au niveau européen (DHFF). Elle bénéficie aussi, depuis 2011, d’un Plan National d’Actions (Chemin, 2011).

Une gestion agricole favorable au Sonneur, notamment grâce à Natura 2000

Avant sa redécouverte en 2001 dans l’Eure dans la commune de la Vacherie (Lemonnier, 2005), les dernières observations de l’espèce dataient des années 1970 à 1980 selon les départements. Cette ultime population se trouvait dans un agrosystème en mosaïque d’environ trente hectares, composé d’une dizaine d’hectares de prairies pâturées par des bovins de manière assez extensive, ponctuées de neuf sites aquatiques (mares ou fossés) et ourlées au nord d’un bois alluvial (avec une dizaine de chablis, petites dépressions ou fossés).

Ce site a fait l’objet d’une désignation en Natura 2000 : « La vallée de l’Iton au lieu-dit Le Hom »1. Le classement en Natura 2000 a permis la mise en place de Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC)2, permettant d’encourager et d’accompagner les agriculteurs dans l’installation ou le maintien des pratiques agricoles favorables au Sonneur. L’objectif des MAEC était, d’une part, de soutenir le pâturage extensif et de conserver de faibles chargements sur les parcelles, et d’autre part, d’inciter les agriculteurs à aller plus loin dans leur démarche en abandonnant la fertilisation des prairies et en assurant l’entretien des mares abreuvoirs.

La Communauté d’Agglomération Seine-Eure et le Syndicat Aval de la Vallée de l’Iton (Saviton) ont également acquis plusieurs parcelles afin d’y maîtriser les modes de gestion et d’y réaliser des aménagements favorables au Sonneur : creusement et rajeunissement de mares, de fossés et de chablis, restauration de prairies, ouverture au pâturage pour les éleveurs voisins, etc. La plupart des habitats aquatiques créés (13 sur 16) ont été colonisés dès la première année.

Les mesures agro-environnementales mises en œuvre par deux éleveurs et les actions menées en périphérie ont permis de passer d’une population d’environ vingt adultes à 70 ou 80 en l’espace de trois ans.

La viabilité de la dernière population normande

Cependant, le Sonneur demeure en danger critique d’extinction du fait de son isolement. Même si une étude génétique a mis en évidence que la valeur de l’indice de consanguinité est faible (Vacher et Ursenbacher, 2017) et s’affaiblit probablement encore avec les mesures de gestion Natura 2000, la population reste très sensible aux perturbations éventuelles dues à des aléas tels que des pollutions accidentelles, l’arrivée d’espèces allochtones, de maladies, etc. Nos prospections intensives dans l’est de l’Eure et de l’Orne entre 2015 et 2017, prospections classiques et via l’ADNe, n’ont pas permis de découvrir d’autres stations ni de secteurs optimums susceptibles d’être colonisés spontanément.

D’une part, les analyses génétiques réalisées en 2017 appuient l’hypothèse d’une absence de contact avec la population sarthoise (la plus proche connue) ; l’inverse aurait pu laisser envisager la présence de populations inconnues dans l’est de l’Orne. D’autre part, les recherches menées dans la vallée de l’Iton sur un linéaire de 30 km, en aval du site Natura 2000 jusqu’à la confluence avec l’Eure, puis dans la vallée de l’Eure jusqu’à Pacy-sur-Eure ont mis en exergue le caractère exceptionnel du site de la Vacherie (Charpentier et Skrzyniarz, 2015). En effet, sur les 143 points d’eau inventoriés 35 sont isolés et 108 se trouvent en réseau, c’est-à-dire espacés de moins de 600 m, mais au sein d’une matrice paysagère dégradée (cultures intensives, zones urbanisées, etc.) qui induit une altération des déplacements.

Surtout, le nombre de mares en réseau est de trois en moyenne (maximum six) contre 37 aujourd’hui au sein du périmètre Natura 2000. Or l’existence d’un réseau de points d’eau hétérogènes (sites pionniers souvent ensoleillés pour la reproduction, sites plus évolués et/ou forestiers pour les immatures ou les adultes en été, etc.) au sein d’une matrice paysagère favorable aux déplacements (prairies, bois, etc.) est probablement la condition sine qua non pour le maintien d’une population. A cet égard, le Sonneur est aussi une espèce indicatrice de la dynamique fonctionnelle des milieux alluviaux pionniers et des agrosystèmes d’élevage extensifs.

En conséquence, un programme de réintroduction d’individus captifs issus du site Natura 2000 au sein d’habitats restaurés de la vallée de l’Iton a été lancé à la fin de l’année 2017. Porté par l’Union régionale des CPIE3 de Normandie, ce projet bénéficie du soutien de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, de la Région Normandie et de la Communauté d’Agglomération Seine-Eure, ainsi que de l’expertise technique et scientifique de nombreux partenaires4.

En 2019, un élevage conservatoire de 10 géniteurs (20 individus dès 2020) a été mis en place5 et des travaux de restauration d’habitats aquatiques visant à recouvrer la dynamique pionnière ont été réalisés au sein d’un site de réintroduction préalablement sélectionné, à trois kilomètres de la population source : 149 jeunes Sonneurs récemment métamorphosés, nés en captivité, ont ainsi été relâchés sur ce site, à ce jour. Plus largement, un diagnostic de l’état de conservation des habitats à l’échelle de la vallée de l’Iton (132 km) permettra d’orienter les restaurations afin d’essayer de rétablir la dynamique fonctionnelle des milieux alluviaux pionniers. La phase 1 de ce programme de réintroduction, unique en France, doit prendre fin en 2023.

La biodiversité, des populations aux écosystèmes

L’artificialisation des fonds de vallée a entraîné la disparition des milieux alluviaux pionniers, habitat primaire du Sonneur en Normandie. Les agrosystèmes en mosaïque (prairies, mares, haies, etc.) peuvent être des habitats de substitution comme l’illustre la survivance de la dernière population normande. Ainsi la restauration de réseaux de mares et le maintien, voire le développement du pâturage extensif mais aussi de secteurs en libre évolution pourraient permettre sa conservation.

Les programmes de réintroduction à partir d’élevage se justifient pour les espèces ou les populations en danger critique d’extinction. L’espèce est bien menacée dans la région mais c’est surtout un patrimoine génétique particulier, caractéristique des populations en limite d’aire, qui risque de disparaître. La biodiversité, ne l’oublions pas, ce ne sont pas seulement les espèces, ce sont aussi les populations et leur patrimoine génétique, ainsi que les écosystèmes, notamment les agrosystèmes.

Voir ici les références bibliographiques de l’article


  1. L’animation du Document d’objectifs est assurée par la Communauté d’Agglomération Seine-Eure (Stallegger et Cochard, 2010)
  2. Des aides du deuxième pilier de la politique agricole commune
  3. Union régionale des Centres permanents d’initiatives pour l’environnement (CPIE), https://www.urcpie-normandie.com/presentation
  4. Le Comité technique régional se compose de : Charpentier Jean-Loup (CPIE Terre de l’Eure-Pays d’Ouche, responsable du volet élevage), Clet Florent (DREAL de Normandie), Flambard Pascal (DDTM 27), Courteille Benjamin (CD 27), Lambert Patrick (Mairie d’Amfreville-sur-Iton), Lebec Serge (ONF), Lorthiois Matthieu (CEN de Normandie), Raimbourg Isabelle (Lycée agricole de Chambray), Bodilis Gwendal (Agence de l’Eau Seine-Normandie). Le Comité scientifique et technique réunit : Cayuela Hugo (IBIS, Université Laval), Eggert Christophe (Fauna consult), Gibault Cathy (Vétérinaire référente de l’élevage), Kinet Thierry (Natagora), Laudelout Arnaud (Natagora), Lescure Jean (SHF et MNHN), Marquis Olivier (Conservation Planning Specialist Group, IUCN et MNHN), Miaud Claude (EPHE-CNRS UMR-5023), Vincent Noël (SHF), Vacher Jean-Pierre (BUFO)
  5. A l’instar d’un programme similaire mené en Belgique (Cayuela et al. 2019)

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