Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


De l'eau au moulin

Publié le 28 octobre 2019 |

0

Les bocages, des milieux indispensables (3/3)

Par Alexandre Boissinot (Réserve naturelle régionale du bocage des Antonins, Deux-Sèvres Nature Environnement),
Olivier Lourdais (CEBC, CNRS et université de la Rochelle, UMR 7372),
Sophie Morin (Office national de la chasse et de la faune sauvage, pôle Bocage),
Pierre Grillet (naturaliste indépendant).

Depuis plus de dix ans le Centre d’Études Biologiques (CEBC)1 de Chizé à Villiers-en-Bois, dans les Deux-Sèvres, associé à plusieurs partenaires, a montré avec un réseau d’une vingtaine d’exploitations agricoles l’importance des paysages de bocage et des pratiques agricoles traditionnelles associées pour le maintien des communautés d’amphibiens et de la biodiversité.

Une première étude conduite sur un réseau de soixante-dix-neuf mares, localisées en Gâtine Poitevine dans le centre du département des Deux-Sèvres, a eu pour objectif de mieux comprendre la relation entre le paysage bocager et la présence des amphibiens. Ce territoire est dominé par une mosaïque de prairies pâturées par les bovins et les ovins ainsi que des champs cultivés délimités par des haies. L’aspect le plus distinctif de cet agrosystème est un réseau dense de haies vives, d’une densité moyenne de 140 m/ha, intégrant des boisements d’une surface comprise entre 0,01 et 416 ha et une forte densité de mares (plus de 5000, soit en moyenne  3,5 par km²) (figure 1, ci-dessus : vue aérienne du bocage de la Gâtine Poitevine, commune de Saint-Aubin-le-Cloud © Alain Buchet-DSNE) (Boissinot, 2009). Ce paysage traditionnel a été affecté par l’intensification de l’utilisation des terres et plus de 35 % des haies ont été arrachées entre 1950 et 2014 dans cette région. Dans la zone d’étude, 15 espèces d’amphibiens (10 anoures et 5 urodèles) sont présents.

Sur ce territoire, le recouvrement en végétation aquatique dans les mares explique particulièrement bien la richesse en amphibiens (figures 2 et 3) (Boissinot, Besnard et Lourdais, 2019).


Figure 2. Relation entre la richesse en amphibiens et le recouvrement en végétation aquatique (%) dans les mares de reproduction.


Figure 3. Mare de prairie avec un recouvrement en végétation aquatique important (>75%) © Alexandre Boissinot.

Cette végétation favorise la productivité d’invertébrés-proies, procure des supports de ponte et en influence la taille, assure une protection contre les prédateurs et procure une variété de micro-habitats (figure 4).


Figure 4. Chorus de Grenouille de Lessona  (Pelophylax lessonae) et de Grenouille commune (Pelophylax kl. esculentus) dans une mare végétalisée © Alexandre Boissinot.

À l’échelle du paysage, la densité en mares (figure 5), les petits boisements et les linéaires de haies importants (>200 m/ha) ont des effets positifs sur la richesse en amphibiens et sur plusieurs espèces.


Figure 5. Relation entre la richesse en amphibiens et le nombre de mares à une échelle de 400 mètres (50 hectares).

Sur une large échelle spatiale au contraire, une dominance des cultures et un important linéaire de route dans le paysage ont une influence négative sur la richesse en amphibiens (figure 6).

Figure 6. Paysage bocager dominé par les cultures et défavorable à la conservation des amphibiens sur du long terme © Aude Moreau-Gobard.

Une seconde étude menée en 2013, reposant sur un suivi par télémétrie de la grenouille rousse (Rana temporaria) a établi que cette espèce se déplace très peu : 350 m en trois mois en moyenne. Lors des mouvements post-reproduction, elle préfère des ruisseaux associés aux haies comme corridors de déplacement et différents types de microhabitats, tels que les amoncellements de feuilles mortes, la végétation aquatique, les galeries de micromammifères, les embâcles2 pour y trouver refuge (figure 7).

Figure 7. Suivi par télémétrie d’un individu de grenouille rousse localisé dans un embâcle dans un ruisseau © Alexandre Boissinot.

Dans cette région, l’espèce est étroitement associée aux boisements situés en périphérie des sites de reproduction, comme les prairies inondables, et distants de quelques centaines de mètres (figure 8).

Figure 8. Prairie humide utilisée comme habitat de reproduction par la grenouille rousse dans les espaces bocagers © Alexandre Boissinot.

Haies, prairies, mares, boisements, le bocage est une mosaïque d’habitats ou, comme on dit aujourd’hui, un écocomplexe (figure 9).



Figure 9. Les principales composantes paysagères du bocage © Denis Clavreul – Terres de Bocage, 2014.

Nos résultats mettent en évidence la nécessité de conserver cette mosaïque d’habitats et de microhabitats qui structurent le bocage à l’échelle de l’exploitation agricole pour conserver les communautés d’amphibiens associées. Le maintien de ces composantes semble possible en conservant des systèmes agricoles de type polyculture-élevage à caractère extensif.

Les paysages bocagers ne sont pas qu’un héritage du passé. Encore trop souvent déconsidérés ils s’avèrent pourtant extraordinairement modernes et contemporains : en conciliant économie agricole, tissu social et biodiversité, ils sont au cœur des problématiques de notre société. Des paysages d’avenir si l’on veut concilier besoins humains et attrait pour la vie sauvage (figure 10).

Figure 10. Le maintien des élevages, à caractère extensif, qui valorisent les différentes composantes du bocage est au cœur de la problématique de conservation des amphibiens des espaces bocagers © Alain Buchet-DSNE.

Voir les sites : https://www.amphibien-reptile-bocage.com, http://www.polebocage.fr et http://www.bocage-des-antonins.fr

Voir ici les références bibliographiques des articles 1,2,3 de Sesame consacrés aux amphibiens

Pour protéger les amphibiens sur nos routes, télécharger ici le guide gratuit du CEREMA.

Pour créer et entretenir un plan d’eau à amphibiens : quelques principes généraux ici (annexe 3 du guide CEREMA).

  1. Le CEBC, qui a eu cinquante ans en 2018, est une référence mondiale dans les domaines de l’évolution des populations animales en milieu agricole (équipe Agripop), des impacts des stress environnementaux (pollutions, bruits, pesticides, équipe Ecophysiologie), l’écologie des oiseaux et des mammifères marins (avec l’université de La Rochelle). Voir : https://www.lanouvellerepublique.fr/deux-sevres/commune/chize/cebc-temoin-majeur-du-changement-global
  2. Obstacles naturels formés de feuilles mortes, brindilles, branchages, voire de troncs positionnés en travers de l’écoulement d’un ruisseau.

Tags: , , , , , , , , , ,




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut ↑