De l'eau au moulin

Published on 19 avril 2018 |

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Des vignes sous l’aile des chauves-souris

Par Yohan Charbonnier, chargé de mission scientifique, Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) Aquitaine

Avec 215 000 hectares de vigne et 1/4 de la surface nationale en AOC, le vignoble bordelais est directement concerné par la nécessité sanitaire et environnementale de réduire l’emploi de pesticides. Le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux soutient actuellement une étude, initiée et coordonnée par la LPO Aquitaine, pour évaluer la prédation de vers de la grappe, papillons ravageurs de la vigne, par les chauves-souris dont la présence dans les espaces viticoles girondins est avérée. L’étude, engagée au printemps 2017, est menée en collaboration avec l’UMR santé et agroécologie du vignoble de l’Inra-Bordeaux Sciences Agro, pour ses compétences en génétique, et le bureau d’études Eliomys, pour la collecte des données de terrain.

Selon de nombreuses études, les chiroptères font partie des espèces pouvant réguler des populations d’insectes ravageurs, cependant aucune référence n’existe sur leur rôle d’auxiliaire contre les ravageurs de la vigne. La première phase de l’étude vise à combler cette lacune.

Dans un premier temps, il s’agit de démontrer la capacité des chauves-souris à consommer les vers de la grappe en étudiant leur régime alimentaire. Pour cela, il est nécessaire de développer des marqueurs génétiques spécifiques capables de discriminer, après digestion, l’ADN des ravageurs dans les guanos de chauves-souris. Ces outils doivent d’abord être testés sur des guanos témoins contenant de façon certaine de l’ADN de vers de la grappe, avant de pouvoir être utilisés sur des guanos de chauves-souris fréquentant les espaces viticoles. Ces excréments témoins sont issus de chauves-souris blessées, recueillies par le centre de soins à la faune sauvage d’Audenge, géré par la LPO Aquitaine, et nourries avec des vers de la grappe. La vérification in situ de la capacité de prédation des chiroptères est ensuite réalisée à l’aide de guanos principalement collectés sur des colonies connues dans des exploitations viticoles.

Régulation des ravageurs

Pour que les chiroptères assurent une régulation des ravageurs, encore faut-il que proies et prédateurs soient synchronisés dans l’espace et dans le temps. Il s’agit donc d’évaluer la corrélation entre le taux d’activité des chiroptères, mesuré grâce à des écoutes nocturnes, et les données du réseau de surveillance des ravageurs. Le but ? Vérifier si les pics d’émergence des ravageurs adultes entraînent une augmentation significative de l’activité de chasse des chiroptères dans la vigne et si ces derniers sont davantage attirés par les zones les plus infestées.

Si les résultats sont probants, il est alors prévu d’estimer la densité idéale de chauves-souris pour protéger significativement la vigne. Une seconde phase d’étude sera également engagée pour définir les actions favorables au renforcement des populations de chauves-souris. Celles-ci doivent pouvoir trouver les ressources indispensables à leur maintien à proximité des parcelles viticoles quelle que soit la période de l’année. Une meilleure compréhension de l’utilisation des paysages et de l’effet des pratiques agricoles, via notamment des suivis télémétriques et des écoutes ultrasonores, devrait permettre d’élaborer des préconisations de gestion et d’aménagement.

Pour que la biodiversité puisse pleinement jouer son rôle dans l’équilibre, la productivité et la résilience des agrosystèmes, une prise de conscience collective de l’intérêt de sa conservation est nécessaire. La mise en lumière du rôle des chiroptères dans le vignoble, grâce à une collaboration entre acteurs issus de la filière viticole, de la recherche et du monde de la protection de la biodiversité, contribuerait à cette prise de conscience.

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