Les échos & le fil BEA

Published on 12 octobre 2023 |

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B.a.-ba du BEA

D’où vient la prise en compte du Bien Être des Animaux (#BEA) ? D’un long et patient travail de détricotage de notre pensée. De quoi réfléchir alors que l’Union européenne semble marquer le pas sur les progrès promis.

L’Europe doit (devait) revoir le cadre juridique du bien-être animal (BEA) pour aller plus loin, vers une meilleure protection des animaux d’élevage. L’occasion de plonger dans une histoire vieille comme Hérode (ou presque) et dont la fin n’est toujours pas écrite. Loin de là vous allez voir. Alors, bien sûr, il faut en repasser par Descartes et son concept d’animal-machine. Qui est beaucoup plus subtil que la réduction usuelle en deux mots. Comme souvent d’ailleurs. On peut avec intérêt plonger dans la lecture qu’en fait Roger Texier, spécialiste du philosophe, dans un passionnant papier de 2012. Il met en lumière toute la complexité de la réflexion de Descartes, loin de la caricature. Cela dit, ce concept a irrigué notre façon (dans la sphère occidentale) de considérer les animaux et la place qu’ils occupent dans la chaîne trophique.

Un bon siècle plus tard, vint Rousseau, qui entre dans le jeu avec son concept « d’animal sensible. » On ne reconnaît là pas de raison aux animaux mais de la sensibilité, ce qui, étant une qualité commune avec l’homme, ôte à ce dernier le droit de maltraiter l’autre (je résume). Puis se pose la question de « peuvent-ils souffrir ? » soulevée par le philosophe anglais Jeremy Bentham, qui en profite pour dégommer l’idée d’infliger toute « souffrance inutile » aux animaux. Tout en continuant à avoir le droit de les consommer ou de les tuer pour se défendre. Doucement ces choses là avancent.

Dès lors, le XIXe sera le siècle de la création des associations de protection des animaux et des premières lois de protection animale, comme la loi dite Grammont qui ne concerne toutefois que les animaux domestiques en France. Elle avait été précédée de quelques années par le Martin’s act anglais. Le mouvement ira s’amplifiant jusqu’à la Première Guerre mondiale, période à laquelle la souffrance des hommes supplante celle des animaux dans les esprits. Vous avez là un fort papier de l’historien Éric Pierre qui détaille cette évolution dans le contexte français. Pour les approches philosophiques les plus récentes et parfois radicales (Peter Singer, Tom Regan) vous pouvez vous référer à cet article récent de Pauline Petit pour France Culture.

En parallèle, il y a eu un lent mouvement, tel le balancier d’une Comtoise dans le salon.

Nous avons chassé des animaux, puis les avons, pour certains, domestiqués, en avons transformé en garde-manger sur pied. Il y a eu aussi d’autres dynamiques qui ont contribué au contraire à abolir la proximité que nous pouvions avoir avec les animaux (et qui subsiste, au grand étonnement de certain(e)s, chez des  éleveurs qui prennent soin des animaux tout en les conduisant ensuite à l’abattoir). L’urbanisation et l’éloignement de la majeure partie de la population des zones rurales et de la confrontation quotidienne avec les animaux de rente. Le déplacement des abattoirs dans les zones périphériques des villes qui a soustrait au regard de chacun l’abattage des animaux, la « découverte » par le grand public de l’utilisation des animaux dans les laboratoires depuis des siècles. Puis d’autres penseurs, Ruth Harrisson. Vous avez une très bonne chronologie ici (elle est en fait la base de ce papier !).

© archives Yann Kerveno

Le terreau est ainsi devenu fertile pour que le Bien-Être Animal (BEA) devienne un sujet de société majeur. Et qu’il occupe nombre de chercheurs dans des disciplines des sciences humaines ou de celles du vaste champ de la biologie. Pour compléter ce raccourci aussi lapidaire qu’incomplet, c’est par là sous la plume d’Isabelle Veissier et Mara Mièle, plongez dans cet article « Petite histoire de l’étude du bien-être animal : comment cet objet sociétal est devenu un objet scientifique transdisciplinaire ».  

Et où en est-on ?

Il y a d’abord la définition du bien-être animal délivrée par l’Organisation mondiale de la santé animale. Ne pas souffrir de faim et de soif, ne pas souffrir de contrainte physique, être indemne de douleurs, de blessures et de maladies, avoir la liberté d’exprimer des comportements normaux, être protégé de la peur et de la détresse. En France, la première loi depuis celle de Grammont (!) est votée en 1976 mais le point de rupture avec Descartes, c’est peut-être 1997 et le traité d’Amsterdam. Traité dans lequel les animaux passent du statut de biens marchands à celui d’êtres sensibles.

Il y aura ensuite, entre 2013 et 2016 le projet européen Welfare Quality qui viendra sceller, en Europe, la question dans le marbre des sujets à traiter… S’est alors posée la question de la conscience des animaux, sujet largement abordé dans les colonnes de Sesame. On peut se replonger dans les passionnants entretiens que nous avaient accordés Pierre Le Neindre et Georges Chapoutier autour de cette idée de conscience, ce qu’elle révèle, ce qu’elle implique dans notre appréhension du monde animal. Si vous voulez aller plus loin sur ce sujet, vous ne pouvez pas passer à côté de ce papier de 2018 dont la rédaction a été dirigée par Pierre Mormède.

On l’a vu, toutes ces évolutions sont liées au changement de regard que nous portons sur les animaux depuis des siècles et de celui que nous portons sur la nature en général. Avec, au bout de la réflexion, la remise en cause totale de notre alimentation carnée, voire de toute interaction malfaisante que nous pourrions avoir avec le monde animal ou le vivant. Le welfarisme cédera-t-il la place à l’abolitionnisme ? L’histoire n’est pas close, loin de là et elle s’écrit, pour la prochaine étape, à Bruxelles.

L’Europe avait en effet décidé de revoir ses règles, jugée obsolètes, juste avant l’été. Depuis,  les arbitrages posent question : pouvoir d’achat ou BEA ? Alors que, par exemple, le marché des œufs de poules bon marché (ie élevées en cages) ne fournit plus la demande ? Qu’en sera-t-il ?

Le transport des animaux est particulièrement sur la sellette. © archives Yann Kerveno

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