De l'eau au moulin

Published on 21 janvier 2020 |

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Alimentation positive : Défi et des faits

par Manon Delbello, 1

Consommer 20 % de bio et de local sans dépenser plus, est-ce possible ? C’est en tout cas le pari du Centre d’Initiatives pour Valoriser l’Agriculture et le Milieu rural (CIVAM) Bio 09 et du Parc Naturel Régional (PNR) des Pyrénées ariégeoises qui ont lancé, de novembre 2018 à juillet 2019, le Défi Famille À Alimentation Positive (FAAP). Résultats… 

Ce que recherche le Défi FAAP : amener les participants à tester des solutions possibles pour concilier tout type de budget avec une consommation biologique et locale. En bref, qu’ils vérifient eux-mêmes la pertinence de ces réponses au cours d’ateliers mêlant théories et pratiques autour de la production alimentaire, des temps de courses, de la nutrition, de la cuisine et de la dégustation. 

Parallèlement à ces séances de groupe, chaque famille est chargée en début, en milieu et en fin de Défi, de répertorier deux semaines d’achats – les produits choisis, leur prix, leur origine et le point de vente – pour retracer l’évolution, à terme, des compositions et des coûts de ses paniers.

Ainsi, en proposant aux familles d’examiner ce qu’elles font pour adapter leurs pratiques en fonction des objectifs qu’elles se donnent, le Défi FAAP a pour ambition, et pour originalité, de rendre ces citoyens acteurs de la transition alimentaire. Qui plus est, en se rapprochant de structures telles que la Croix-Rouge ou les caisses d’allocations familiales pour le recrutement des participants, le Civam et le PNR ont aussi souhaité saisir cette opportunité pour interroger, voire déconstruire, l’idée selon laquelle l’accessibilité à des denrées saines serait déterminée par les conditions socioéconomiques de chacun. 

Trente Ariégois

Cette singularité a attiré l’attention de l’équipe de chercheurs en sociologie, économie et agronomie (voir « Le projet Goutzy ») auprès desquels j’ai réalisé mon stage de fin d’études. L’idée ? Analyser les changements, entrepris ou non par les participants à la fin du Défi, afin de mobiliser éventuellement cette méthode pragmatique et collective dans le cadre d’actions publiques futures en matière de transition agroalimentaire. 

C’est ainsi que, pendant neuf mois, nous nous sommes retrouvés aux côtés des trente Ariégeois ayant accepté de relever, seuls, en couple, entre amis ou en famille, le pari du Défi. Avec eux, nous avons arpenté les rayons d’une épicerie biologique pour comparer les prix des produits selon leur origine, leur composition, leur prix au kilo ou leur achat en vrac. Nous avons pris connaissance du contenu du cahier des charges du label bio européen en recherchant, ensemble, les producteurs le respectant sur les marchés de plein vent des centres villes de Foix et Saint-Girons, ou en allant visiter deux fermes en agriculture biologique. Enfin, nous avons réfléchi aux compositions de nos assiettes pour qu’elles soient le plus rassasiantes possible, notamment dans le cadre d’un régime de moins en moins carné, en révisant nos repères avec une nutritionniste. Des recommandations que nous avons par ailleurs rapidement mises en pratique à l’occasion d’un atelier cuisine au cours duquel nous avons tous mis la main à la pâte pour préparer six recettes, sous la supervision d’un cuisinier bénévole. Passée la pression de la réussite des découpes, des cuissons ou de l’assaisonnement, nous sommes désormais tous capables de transformer des plantes sauvages en pesto, de confectionner des plats savoureux et nourrissants à base de céréales et légumineuses. Mieux encore, nous pouvons vous garantir que l’eau des pois chiches constitue une parfaite base de mousse au chocolat ! 

Réflexion faite

Au terme de ce long parcours, nous avons pu observer une amorce de changements chez l’ensemble des participants. Ainsi, répertorier leurs aliments a permis à ces volontaires de réaliser pleinement ce qu’ils consommaient et dépensaient, les amenant à réfléchir aux routines qu’ils souhaitaient conserver ou modifier.

Par ailleurs, les ateliers ont renforcé leur propre confiance pour cuisiner ou cultiver par eux-mêmes ; éveillé une attention plus grande à leurs choix en matière de points de vente, avec une préférence pour les circuits courts ou encore à l’égard des aliments achetés, où la part des produits locaux, bio ou en vrac a progressivement augmenté. Enfin, grâce à des échanges directs avec les producteurs, les participants, plus avertis, émettent désormais le souhait de soutenir certaines pratiques et productions plus en phase avec leurs nouvelles sensibilités : qualité des produits, meilleures conditions de travail et de rémunération des producteurs. Et même si leur budget est limité, ils s’estiment dorénavant être en capacité de choisir en toute conscience un aliment auquel ils sont prêts à consacrer de l’argent. 

Il conviendrait certes de revenir dans quelques années vers ces trente premiers expérimentateurs afin de confirmer la pérennité des changements projetés mais nous pensons que le Défi a contribué au développement de leur esprit critique, tant envers le contenu de leur assiette qu’à l’égard du système alimentaire qu’ils soutiennent à travers leurs actes d’achat. 

Qui plus est, s’ils reconnaissent que ces modifications ont été incitées par les différents ateliers pratiques au sein desquels ils ont rencontré des hommes et des femmes issus d’univers socioéconomiques variés et aux opinions plurielles, ils ont également été capables d’y repérer des lacunes pour proposer des pistes d’améliorations.

Pour ne pas rester sur sa faim

Le plus difficile fut d’assurer l’assiduité des participants : sur la trentaine d’inscrits, seule une quinzaine a, finalement, été capable d’assister à la totalité des ateliers ou presque. Et ce, malgré les efforts des organisatrices pour proposer des créneaux les plus arrangeants possible. Cette faible assiduité interroge la capacité à mobiliser des individus en dehors de leurs préoccupations quotidiennes, notamment ici des individus à faibles revenus ou se sentant peu concernés par la thématique. À l’issue de cette première édition, reste ainsi à réfléchir aux moyens adéquats pour inclure l’ensemble des parties prenantes au projet commun, même celles qui en sont le plus éloignées. Mais aussi à interroger l’échelle territoriale la plus pertinente pour organiser une telle expérience : la longueur des trajets ayant été l’une des principales difficultés exprimées pour participer durablement au processus, nous émettons l’hypothèse que l’échelle de la ville, voire du quartier, s’avérerait plus adaptée que celle du département. 

Il s’agit désormais d’approfondir les réflexions autour de la méthode pragmatique et collective en tant que première étape possible d’accompagnement à la transition alimentaire. Si le Défi FAAP ne modifie pas directement l’organisation et la structure du système alimentaire, il contribue néanmoins à rendre ce dernier plus visible aux yeux de consommateurs mieux informés. Il les rapproche également des autres acteurs du système, pour mieux en identifier les atouts et les limites et, ce faisant, envisager les réajustements nécessaires. 

En proposant des espaces collectifs de pratiques et d’échanges dans lesquels chacun peut développer de nouveaux savoirs et compétences, se confronter à des réalités et opinions plurielles, cette méthode nous paraît porter en elle-même l’idée de transition. En développant l’esprit critique des parties prenantes, elle préfigure une action publique plus évolutive, riche de solutions multiples, reflet de la diversité des individualités qu’une démocratie est censée prendre en compte. À terme, le processus d’accompagnement pourrait d’ailleurs encourager les citoyens à mobiliser leurs acquis pour prendre part à la réglementation et à l’organisation politique, point central à même d’enclencher l’évolution des mentalités et des propositions de transition ; à condition que cette expérience essaime et ne reste pas le fruit d’un collectif donné. 

Le projet Goutzy : c’est un préprojet de recherche action pluridisciplinaire, lancé en juillet 2018 dans le cadre d’un appel à projet Ademe sur la coconstruction de connaissances et plus particulièrement la conception d’accompagnements à la transition agroalimentaire d’un territoire. À l’initiative de Laurent Hazard (lnra), l’équipe mêle chercheurs de l’Inra et de l’université Jean-Jaurès, et des représentant.e.s de la société civile (Civam Bio 09, PNR des Pyrénées ariégeoises).

  1. étudiante en master 2, « Risque, sciences, environnement et santé », IEP Toulouse

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