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De l'eau au moulin Rivière-Photo-Gilles-Cattiau

Publié le 21 décembre 2022 |

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Vous avez dit « transition agroécologique » ? Chronique d’une crise annoncée

Par Philippe Ledenvic, président de l’Autorité environnementale

Avertissement : l’Autorité environnementale (Ae) rend des avis sur des projets, des plans et des programmes susceptibles de présenter des incidences environnementales significatives. Cet article s’appuie sur les analyses et les constats de plusieurs dizaines d’avis publiés pour la plupart en 2021 sur divers projets, parfois significativement modifiés à la lumière de ces avis et des contributions des enquêtes publiques.

Dans un contexte général où les effets quotidiens du changement climatique auraient dû inviter à une transition urgente, l’année 2021 s’ouvrait sur un alignement inédit de planètes pour accélérer la transition agroécologique et la reconquête de la qualité de l’eau : tous les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) devaient être révisés et le 7ème plan d’action national nitrates devait tirer les conséquences de l’efficacité limitée des six premiers plans1 pour améliorer la qualité de l’eau.

Dans la foulée, le « Varenne de l’eau »2 devait s’emparer de cet enjeu majeur pour permettre à l’agriculture de s’adapter au changement climatique. Et d’autre part la France devait produire, en conformité avec les règlements de la politique agricole commune, un plan stratégique national (PSN) à la suite d’un débat organisé par la Commission nationale du débat public (voir ici), alors que venait d’être publiée la stratégie européenne « De la ferme à la table ».

L’Ae n’a pu que constater, au vu des évaluations qu’elle a produites pour tous ces plans et programmes, que la plupart des outils conçus pour remédier aux impacts négatifs des activités agricoles ne présentent pas d’effets tangibles (Ae, Rapport annuel 2021). Le plus souvent, leurs dispositions sont uniquement incitatives, rarement prescriptives et sans objectifs environnementaux. Soit les bilans démontrent l’inefficacité des plans précédents, soit ils n’existent pas. Les nouveaux plans et projets ne sont ainsi pas alimentés par un retour d’expérience précis.

Compte tenu de ces constats, l’avenir de l’agriculture tel que le projettent tous ces plans3 est un mirage. Ils donnent à tort l’illusion de la viabilité à des modèles d’ores et déjà contraints par certaines limites physiques et ils en retardent l’adaptation. Faute d’inviter fermement à la transition, ces exercices de planification enferment l’agriculture dans une impasse climatique en croyant la protéger, bien loin des ambitions européennes, et l’exposent à des conflits d’usage de l’eau4 comme des sols. Cela est vrai pour l’agriculture, mais aussi pour d’autres secteurs, ce qui a amené l’Ae à conclure que, plus généralement, la transition écologique n’était pas amorcée.

Des objectifs hors d’atteinte ?

Il y a peu d’améliorations des milieux et pas d’inflexion majeure des actions : atteindre les objectifs retenus à moyen terme apparaît dès lors improbable.

À quelques exceptions près, les Sdage formulent des diagnostics et des orientations convergentes, partant de situations pourtant différentes : la qualité de l’eau reste dégradée et le bon état écologique des masses d’eau ne sera pas atteint à l’échéance prévue (2027), même avec des efforts importants. Les pratiques agricoles conventionnelles portent une part essentielle de responsabilité. Selon l’état des lieux dressé par le projet de PSN de la PAC, « la qualité des eaux reste dégradée dans de nombreux territoires agricoles, en lien principalement avec les phénomènes d’eutrophisation dus aux excès de nutriments et à la pollution par les phytosanitaires. Cette détérioration affecte de nombreux captages d’eau potable qui doivent être fermés faute de pouvoir en maîtriser la pollution ». De même, pour l’Ae, dans son avis sur le 7e plan national nitrates, « une stratégie de long terme « nitrates » ne peut se concevoir isolément, dans l’ignorance des autres impacts environnementaux de l’agriculture et des autres plans et programmes agro-environnementaux. C’est donc une véritable stratégie d’ensemble d’amélioration des performances environnementales de l’agriculture qu’il conviendrait d’évoquer dans le cadre général du plan stratégique national de la PAC ». Ni le PSN ni le projet de plan national d’actions nitrates ne répondent à une telle nécessité.

L’Ae avait déjà relevé, à propos des dispositions du 6e plan d’action régional nitrates de Normandie, qu’elles « paraiss[ai]ent insuffisantes pour contenir les risques de dégradation de l’environnement par les nitrates, dans le contexte d’une détérioration importante et croissante de la qualité des eaux liée aux nitrates en Normandie ». Une analyse à peine moins pessimiste avait été produite pour les Pays de la Loire. Ces évolutions entraînent des dégradations de la qualité des eaux marines, principalement le long de la façade nord atlantique et dans les estuaires de la Manche. Les Sdage Loire-Bretagne et Seine-Normandie constatent en outre que de nouvelles plages sont affectées par la prolifération d’algues vertes.

Pour ce qui concerne la biodiversité, la contribution des activités agricoles apparaît incertaine : si des pratiques agricoles, pourtant bien documentées et donc reproductibles, contribuent à une gestion vertueuse des milieux et espèces, elles restent minoritaires. Les pratiques intensives à grande échelle, en particulier dans les secteurs de grandes cultures, se traduisent en revanche par un effondrement de la biodiversité, des insectes et des oiseaux notamment.

Les rejets atmosphériques peuvent paraître à première vue moins critiques pour l’environnement. Dans l’état des lieux dressé par les plans de protection de l’atmosphère et les plans climat-air-énergie territoriaux, seuls les rejets d’ammoniac apparaissent en majorité issus de l’agriculture. D’autres rejets sont moins suivis mais ont des effets avérés sur la santé humaine (pesticides) ou sur les émissions de gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote). Dès lors, faute d’information précise, ces rejets sont le plus souvent considérés comme stables dans la plupart des dossiers de plans et programmes dont l’Ae est saisie et leurs effets sur l’environnement ne sont pas mieux connus.

Dans ce contexte, l’évolution des activités agricoles reste enfermée dans des scénarios « business as usual »5», prolongeant ce qui serait un « droit à consommer de l’eau » et un « droit à polluer ». Les plans et programmes évoqués peinent à prévenir ces dégradations et envisagent encore moins les efforts nécessaires pour découpler rapidement la croissance des activités et celle des ressources mobilisées, des pollutions et des nuisances.

La ressource en eau, un point devenu critique

D’ores et déjà, le bassin Adour-Garonne a connu des crises graves pour l’ordre public. Les retenues de Sivens et de Caussade ne sont que les symptômes dramatiques d’un fantasme : celui d’une ressource en eau éternellement disponible. Elles révèlent aussi que l’État de droit n’est pas respecté. Les volumes concernés pour ces deux sites restent négligeables au regard du déficit prévu sur ce bassin à l’horizon 2050 (1,2 milliard de mètres cubes). Mais, dans le Sdage Adour-Garonne ne figure aucune référence à ces crises et à l’ampleur de la transition agroécologique nécessaire : ces sujets restent tabou.

En Loire-Bretagne, dans le Marais poitevin, les conflits sont aussi tenaces : non seulement entre l’agriculture et la société, mais parmi les agriculteurs eux-mêmes, entre les irrigants et les autres usagers ! La sécheresse de l’été 2022, nouvel indice de la récurrence des extrêmes climatiques, rappelle une fois de plus l’urgence d’une transition. L’Ae avait alerté dans deux avis sur la nécessité de prendre en compte et d’anticiper les effets du changement climatique lorsque serait délivrée la demande d’autorisation unique de prélèvement qui doit permettre à l’Établissement public du Marais poitevin de répartir une ressource limitée pour tous les irrigants.

Alors qu’une vision d’ensemble s’imposerait, les conclusions du Varenne de l’eau ont été adoptées après l’approbation des Sdage révisés, comme s’il n’y avait aucun rapport entre celui-ci et ceux-là, et d’autant que les objectifs des Sdage semblent avoir été déterminés sans prendre en compte les effets du changement climatique sur la ressource en eau, en dépit des études-diagnostics conduites sur plusieurs bassins. Le recours croissant à l’irrigation est envisagé comme la solution inévitable au changement climatique : une demande d’eau accrue en situation de pénurie ! L’Ae a d’ailleurs souligné que le plan stratégique national était particulièrement discret sur ce sujet, alors que l’adaptation de l’agriculture au changement climatique est pour elle une question de survie.

Limiter l’érosion du foncier agricole

La lutte contre l’artificialisation des sols devient aussi une cause nationale : l’objectif « zéro artificialisation nette » en 2050 est désormais traduit dans la loi et ses modalités d’application sont en cours de définition. Selon l’étude Agreste d’avril 2021, les terres agricoles perdent annuellement depuis 1992 65 900 ha, soit plus de six fois la surface de la ville de Paris. Plusieurs schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et documents d’urbanisme ont également affiché l’objectif de freiner cette artificialisation, qui se fait principalement au détriment des terres agricoles.

Mais que penser de l’absence de caractérisation (pédologique, agronomique) des sols et de leur fonctionnalité environnementale dans la plupart des études d’impact ? Que penser de l’attitude compréhensive de certaines chambres d’agriculture pour des projets très consommateurs de terres agricoles (autoroutes Castres-Toulouse et Poitiers-Limoges, ligne ferroviaire nouvelle Montpellier-Perpignan, canal Seine – Nord-Europe, zones d’aménagement concerté et parcs photovoltaïques de grande dimension) ? Quel sera alors l’effet réel de ces Sraddet qui affichent un grand volontarisme pour préserver le foncier et l’activité agricoles si ces objectifs ne s’accompagnent pas de règles permettant de répartir les efforts de sobriété foncière ?

Des outils à mobiliser en priorité à trois niveaux

Le plan stratégique national de la PAC et la stratégie nationale bas carbone

Dans son avis sur le Plan stratégique national (PSN) de la Politique agricole commune, l’Ae avait souligné qu’il prolongeait les pratiques antérieures, soutenait des positions acquises, que le dispositif HVE (« haute valeur environnementale »)6 concurrencerait l’agriculture biologique et qu’une mauvaise monnaie chasserait la bonne. La déconnexion entre ces dispositifs et les défis environnementaux à relever risque de conduire à constater, trop tard, que certaines pratiques voire certaines cultures ne sont plus viables.

L’absence d’articulation claire avec les autres plans nationaux et avec leurs objectifs environnementaux, notamment la trajectoire de la stratégie nationale bas carbone prévue pour l’agriculture, ne donne pas aux agriculteurs la visibilité nécessaire pour pouvoir s’adapter à temps aux contraintes climatiques, indépendamment du fait que depuis longtemps, les obligations européennes ne sont pas respectées.


Les Sraddet : la mise en cohérence des politiques régionales

Aux yeux de l’Ae, la révision des Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) est un moment crucial pour mettre en cohérence les politiques régionales sur tous ces sujets : quel prix en eau et en foncier est-on prêt à payer pour préserver l’agriculture de demain ? Pour quelle agriculture ? Ce devrait être l’objet des évaluations environnementales ex ante des Sraddet d’anticiper toutes les contraintes physiques et les seuls scénarios possibles à moyen terme. Ce serait un exercice de vérité pour toutes les parties prenantes.

En réponse préliminaire à la rareté des ressources, un exercice de sobriété collective s’impose. C’est la seule alternative possible pour éviter que les conflits d’usage ne dégénèrent en troubles sociaux dans certains territoires si persistent des modèles ou des filières incompatibles avec ce que la nature peut encore offrir. En réalité, comment choisir entre l’alimentation en eau potable de Toulouse, la production électrique des centrales hydroélectriques et nucléaire réparties en Occitanie et les demandes d’irrigation des territoires ruraux … et en laisser pour les milieux et les espèces naturels ?

Le contenu des contrats de plan État-Région et des programmes opérationnels des fonds européens devraient en tirer pleinement les conséquences.


Les « projets de territoire pour la gestion de l’eau » (PTGE) et les « plans climat air énergie territoriaux » (PCAET)

Si les PCAET ont été conçus pour que chaque territoire s’approprie les enjeux de l’atténuation et de l’adaptation au changement climatique et décline des objectifs nationaux, les PTGE sont des outils nécessaires pour concilier les enjeux de l’eau au plus près des acteurs des territoires, en particulier pour décliner les schémas d’aménagement et de gestion des eaux lorsqu’ils existent. Dans les deux cas, projets et plans ont vocation à servir une transition concertée au plus près des acteurs.

Dans quelques cas, des réponses ont pu être apportées à l’ échelle territoriale pour mieux maîtriser les rejets d’intrants là où ils étaient excessifs ; la réalisation de bilans eau ou carbone à l’échelle des exploitations permet également d’établir un diagnostic de leur vulnérabilité et de faire des choix de cultures et de pratiques plus résilients.

On peut aussi espérer que ces projets territoriaux constitueront un moyen de recréer de la cohésion sociale dans des territoires en souffrance, de fonder un avenir moins incertain pour le monde agricole tout en évitant l’exacerbation des tensions.


  1. https://cgedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/notice?id=Affaires-0011927
  2. https://www.ecologie.gouv.fr/cloture-des-travaux-du-varenne-agricole-leau-et-ladaptation-au-changement-climatique
  3. Le plan d’action nitrates est en voie d’approbation à la date de la rédaction de cet article
  4. https://www.nouvelobs.com/ecologie/20220721.OBS61161/secheresse-en-france-la-guerre-de-l-eau-est-declaree.html
  5. « Les affaires continuent comme avant »
  6. Le nouveau projet de dispositif a fait l’objet d’une concertation publique à l’été 2022

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One Response to Vous avez dit « transition agroécologique » ? Chronique d’une crise annoncée

  1. Lecomte Thierry dit :

    Bonjour,
    la question de l’ agriculture est celle de la biodiversité sont indéfectiblement liées…
    le constat, assez affligeant du peu (ou du zéro effet) d’ effet des différentes mesures me font malheureusement penser à la question de la biodiversité où, depuis 1992, et le Sommet de la terre qui érige la biodiversité en « assurance vie de l’ humanité » la biodiversité n’ a cessé de se dégrader non seulement en termes d’espèces mais aussi et surtout en termes de fonctionnalités écosystémiques (pollinisation, recyclage, guildes clefs de voûte, ) et les altérations subies par les fragmentations écosystémiques, l’ artificialisation des sols, les microplastiques, les EEE, etc……
    Ce serait pertinent que l’ Ae évalue aussi le bilan de ce qui a été fait pour préserver la biodiversité et je crains cependant un constat parallèle…..
    Dr Thierry LECOMTE, ancien membre du CNPN, administrateur de RAMSAR France et de la FNCEN, Président du CSRPN de Normandie

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