Publié le 24 janvier 2018 |
0Vieux cépages, création variétale, résistance… (3)
Par Yann Kerveno. (Article précédent)
Le domaine de Vassal, pierre angulaire de ce travail de conservation-rénovation, ne prend pas en charge que les cépages anciens, les accessions ont aussi changé en partie de nature ces dernières années : « En moyenne, nous procédons à 80 introductions par an. Cette année, nous en avons fait 120 parce que nous avons eu une série importante d’hybrides et de géniteurs de résistance », témoigne Cécile Marchal. Des cépages qui ne deviendront pas des variétés commerciales mais des supports pour le développement d’autres variétés.
La résistance aux maladies est bien l’autre sujet qui agite le monde de Vitis vinifera 1, pointé chaque semaine par les médias spécialisés. Avec en ligne de mire, la diminution du nombre de traitements pour répondre aux préoccupations des consommateurs mais aussi aux inquiétudes sur la santé des vignerons, et la nécessaire adaptation au changement climatique… Courant septembre, le riche vignoble de Cognac a ainsi levé le voile sur les travaux menés depuis l’an 2000 dans cette direction. « Après les premiers travaux, nous avons planté une parcelle de 43 accessions en 2008 et nous sélectionnons à partir de là quatre pieds qui nous semblent prometteurs. En 2015, nous avons pu faire les premières vinifications, puis nous allons les tester à la distillation. Si tout se passe bien, nous espérons pouvoir les faire inscrire en 2022 pour qu’ils soient disponibles pour nos vignerons entre 2030 et 2035 » augure Jean-Bernard Larquier, président du Bureau national interprofessionnel du Cognac. Mais l’ensemble du monde viticole français est porteur de cette demande. Une commission y fut consacrée lors du congrès commun de la vigne en juillet à Bordeaux. Sous la pression de la filière, une douzaine de variétés dites « allemandes » ont été classées pour la culture et la production de vin en France juste avant l’été.
Un projet vieux… d’un siècle !
« Ce sont des variétés intéressantes pour leur résistance. Ici en Languedoc, avec les résistances que ces cépages portent, on pourrait se contenter d’un seul traitement contre le mildiou et l’oïdium » confirme Emmanuel Rouchaud, chef du service viticulture de la chambre d’agriculture de l’Aude. « Seul problème, c’est que leurs qualités organoleptiques ne sont pas cohérentes avec les vins que nous produisons ici. Ce sont des cépages qui doivent donc faire l’objet d’un marketing particulier, sur des marchés de volumes, donc dans des itinéraires techniques très mécanisés pour faire baisser les coûts. Ce que nous attendons, ce sont les variétés développées par Alain Bouquet à Montpellier, puisqu’il a travaillé sur une base de fer servadou, un cépage originaire du Sud-Ouest, donc plus proche de nos cépages habituels. » Prometteur, le formidable travail d’Alain Bouquet est toutefois objet de précaution. Les variétés qu’il a développées ne comportent qu’un seul gène de résistance au mildiou et un seul à l’oïdium. « L’un des débats porte bien sur la question de la nature de la résistance. Faut-il des cépages avec des résistances monogéniques ou au contraire associer plusieurs gènes ? » demande Loïc Le Cunff, du pôle national matériel végétal de l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV). « Des études montrent sur plusieurs plantes dont la vigne que les pathogènes, sur lesquels on applique une pression de sélection en leur opposant des résistances, parvenaient à les contourner. Ce phénomène de contournement est plus rapide si le pathogène est confronté à un seul gène, et plus limité s’il est confronté à plusieurs gènes – c’est ce qu’on appelle le pyramidage. On va alors pousser le pathogène beaucoup plus loin et il lui sera beaucoup plus difficile de développer la mutation qui permettrait le contournement. »
Le domaine de Vassal
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Pays de l’ex-bloc de l’Est
L’histoire des hybrides est en fait bien plus longue et plus complexe que ce que sa récente exposition médiatique laisse penser. « L’idée de chercher des résistances naturelles aux maladies cryptogamiques, oïdium, mildiou et black rot remonte au début du 20e siècle, dans la foulée des succès rencontrés dans la lutte contre le phylloxéra. Une solution a alors été trouvée dans certaines espèces de Vitis d’origine américaine (Vitis rupestris, aestivalis…), naturellement et complètement résistante au mildiou et à l’oïdium, alors croisées avec leur cousine européenne. A l’époque, la viticulture a adopté cette solution qui fonctionne toujours » explique Christophe Schneider de l’unité santé de la vigne et qualité du vin à l’Inra. « Beaucoup d’hybrideurs se sont lancés dans ces croisements, c’est resté d’actualité jusque dans les années 50. En 1955, le classement des cépages a sonné le glas de ces cépages hybrides. Seule une vingtaine avait été retenue dans la catégorie des cépages autorisés : aucun ne figurait dans la catégorie recommandée. » La chimie aidant, la lutte à l’aide des produits phytosanitaires a remisé la question, ce n’était plus un sujet. Sauf hors de France, en Allemagne, dans les pays de l’ex-bloc de l’Est qui ont récupéré les hybrides résistants français ou russes, les ont étudiés puis croisés avec leurs cépages locaux. « Ce sont des travaux qui ont donné quelques résultats puisque sont apparues les premières variétés associant résistances et bonne qualité organoleptique autour de l’an 2000 en Allemagne, en Suisse… En France, seul Alain Bouquet avait continué de travailler sur ces questions en étudiant et en utilisant une nouvelle source, Vitis rotundifolia, pour en incorporer les résistances dans la vigne européenne. Il était parvenu à cinq ou six générations de rétrocroisements, chaque rétrocroisement faisant disparaître la moitié du génome résiduel de l’espèce sauvage. »
Le domaine de Vassal mène un grand projet de numérisation de ses documents et de son herbier. Visite avec Cécile Marchal. Appel est fait à toutes les bonnes volontés ! Il y a 670 000 pages à numériser, soit un budget de 470 000 euros.