Published on 8 juin 2020 |
2Protéger l’Allier, un projet d’envergure
Par Gilbert Cochet, Association Parc National zone humide en Bourbonnais
L’Allier reste l’une des dernières rivières sauvages d’Europe. Libre, la rivière sinue en méandres ou s’étale largement en zones humides, forme des bras morts, des gravières, bref permet le développement naturel de la faune et de la flore. A l’heure où l’on parle de protéger la biodiversité, des naturalistes appellent à sanctuariser ce milieu remarquable.
Tout récemment, notre pays a vu la création de deux parcs nationaux : le parc de forêts de Champagne et Bourgogne et le parc des Calanques. Cependant, il n’existe toujours pas de parc fluvial en France. Nous, l’Association Parc National zone humide en Bourbonnais, proposons un projet de grande envergure, un parc national dans le Val d’Allier-Val de Loire.
Un parc national fluvial, pour quoi faire ?
Ce parc national fluvial doit offrir de manière exemplaire une continuité longitudinale assurant le libre déplacement de la faune, et notamment des poissons migrateurs, mais aussi un transit sédimentaire sans entrave. Or, il se trouve que, plus largement, dans le grand bassin de la Loire, des expériences audacieuses d’effacement d’obstacles ont été réalisées avec un grand succès. Ainsi, la suppression du barrage de Saint-Etienne du Vigan sur le haut Allier a permis aux saumons de retrouver leurs frayères les plus en amont. Toujours sur l’Allier, l’effacement, malheureusement partiel, du barrage de Poutès a déjà entraîné la reprise du transit sédimentaire. La destruction du barrage de Maisons Rouges sur la Vienne a permis les retours inespérés d’aloses et de lamproies marines tandis que le milieu naturel s’est reconstitué avec la formation de dix radiers et de nombreux bancs de graviers.
La faune et ses surprises
Des ambassadeurs de la vie sauvage font un retour remarqué sur le cours de l’Allier et de la Loire. C’est le cas du castor, réintroduit grâce au lâcher de 13 individus sur la Loire, en amont de Blois, dans les années 1970, et présent aujourd’hui sur l’ensemble du val de Loire et d’Allier. De même, la loutre, à partir de ses refuges dans le haut Allier et la Haute-Loire, a recolonisé ses anciens territoires plus en aval. Plus surprenant, des observations de phoque veau-marin (à La Charité-sur-Loire, Giens, Nevers, Chinon, Tours – voir Notteghem, 2012) démontrent que la protection bouscule parfois nos certitudes en matière de niche écologique.
En forêt riveraine (ripisylve), des colonies de cigognes blanches côtoient souvent des hérons cendrés. Trois cent couples de cigognes blanches nichent ainsi sur le seul val d’Allier en région Centre. Le balbuzard pêcheur est en pleine expansion dans un milieu fait pour lui, associant étangs et cours d’eau pour la nourriture et forêts pour la construction de l’aire. Il se reproduit sur une bonne partie du cours de la Loire et, depuis peu, sur le val d’Allier. Les effectifs, évalués à une cinquantaine de couples, sont appelés à augmenter. Le pygargue à queue blanche, présent depuis peu en France avec trois couples dans le Grand Est, est à la veille d’une installation dans le val d’Allier et dans le val de Loire (LOANA, 2018). Ce retour est un évènement majeur dans l’histoire de la faune sauvage française.
Pour les libellules, la famille des Gomphidés est représentée en quasi-totalité, preuve d’un fonctionnement naturel peu altéré.
Des données anciennes évoquent la présence de la grande mulette (moule géante d’eau douce) sur l’Allier et la Loire. Cette espèce rarissime a été retrouvée dans la Vienne et la Creuse (Cochet G., 2001).
Pêche miraculeuse à Langeac
Suite à l’équipement ou l’effacement des obstacles, la Loire et l’Allier récupèrent peu à peu leur continuité. Des systèmes d’observations ont été placés dans certaines passes à poissons. Ainsi, à Decize sur la Loire, Gueugnon sur l’Arroux, Vichy, Langeac et Poutès sur l’Allier, le suivi est permanent et, parmi les surprises, mulet et lamproie fluviatile ont été observés à Vichy et même, la lamproie marine à Langeac. Du jamais vu de mémoire de pêcheur !
Dans le même grand bassin de la Loire, mais sur la Vienne et la Creuse, selon les comptages effectués sur les passes de Descartes et Châtellerault, en 2008, au moins 90 000 lamproies marines sont venues se reproduire.
Un milieu plein de vie
Remanié régulièrement par les crues, le lit des cours d’eau, notamment dans les plaines alluviales, offre une belle diversité. Les forêts, fortement réduites par l’occupation humaine, méritent d’y retrouver leur extension naturelle. Les bancs de sable et graviers hébergent les plus belles populations fluviatiles de sternes naines et pierregarin et témoignent d’une dynamique fluviale encore active, notamment sur l’Allier. Les bras morts s’étirent en chapelets abritant une belle population de cistudes, l’une des seules tortues aquatiques de France.
Le « miracle de l’Allier »
L’étendue et les limites de ce projet de parc national restent à définir. Néanmoins, il pourrait être centré sur le site remarquable du Bec d’Allier, à la confluence du fleuve et de son affluent.
Vers l’aval de la Loire se trouvent de belles surfaces de forêts alluviales, notamment vers la Charité-sur-Loire. Vers l’amont, le cours du fleuve présente un grand intérêt : en 2004, les lamproies marines sont venues se reproduire jusqu’au pied du barrage de Roanne.
Quant au cours de l’Allier il a conservé l’essentiel de son fonctionnement, en l’absence de grand barrage sur la quasi-totalité de son bassin. Au Bec d’Allier, l’abondance sédimentaire de l’affluent contraste avec l’indigence du fleuve : les sédiments de la Loire restent dans la retenue du grand barrage de Grangent.
Ainsi apparaît clairement le « miracle de l’Allier » qui continue librement ses transits : aloses, lamproies, saumons vers l’amont, sédiments, bois morts, alosons et smolts (jeunes saumons ayant atteint l’âge de la descente passive vers la mer) vers l’aval. De plus, la confluence avec la Sioule ajoute à la diversité des sites. Enfin, dans les sables du Bourbonnais, l’Allier peut s’étaler sur 4 km de largeur.
Un nouvel esprit flotte sur les eaux
En Autriche, le projet de construction de deux grands barrages sur le Danube a été abandonné et remplacé en 1996 par la création d’un parc national où viennent nicher les pygargues et la cigogne noire. Dans le bassin de la Loire, les projets de construction du barrage de Serre de la Fare dans les gorges de la Loire et du barrage du Veurdre dans le val d’Allier ont été abandonnés. Au contraire, nous l’avons vu, des barrages ont été supprimés. Dans le même temps, l’argumentation en faveur des cours d’eau non aménagés a pris de l’épaisseur : production d’eau potable quasi gratuite, expansion des crues, recharge des nappes, formation des plages du littoral, richesse de la biodiversité, tourisme doux de découverte…
Aussi, la création d’un parc national sur ce bassin qui, grâce à des plaidoyers pertinents, a échappé aux aménagements lourds, serait une illustration magistrale du changement, du bouleversement des mentalités dans notre relation avec la nature et notamment les cours d’eau.
Déjà, des mesures conservatoires ont été appliquées sur le secteur considéré : réserve naturelle nationale du val d’Allier associée à un arrêté préfectoral de protection de biotope avec, pour résultat, la protection de tout le cours de l’Allier dans sa traversée du département du même nom ; réserve naturelle nationale du Val de Loire Bourbonnais ; îles de Saint-Pryvé-Saint-Mesmin.
Un élan vers l’avenir
L’ensemble val de Loire et val d’Allier constitue donc l’un des écosystèmes fluviaux les plus représentatifs encore fonctionnel en Europe occidentale. Dans le même temps, il c’est une éclatante illustration des capacités de résilience du milieu naturel. De manière inespérée, tout un bestiaire est en cours de reconstitution : loutre, castor, poissons migrateurs, cigogne blanche, balbuzard, pygargue à queue blanche… Nul doute que d’autres surprises nous attendent comme l’installation du phoque veau-marin, de l’aigle pomarin, de l’esturgeon atlantique, voire de l’élan (Lecomte, 1998) !
La création d’un parc national fluvial permettrait de donner libre cours à cette reconstitution spontanée de l’écosystème fluvial. Cette protection peut s’appuyer sur les limites du domaine public fluvial (DPF) ce qui devrait faciliter l’acceptation locale.
D’une façon générale, dans le val de Loire et de l’Allier, la disposition des terres agricoles est relative à la proximité des cours d’eau. Ainsi, une partie du lit majeur est occupée par des champs de maïs. Au contraire, à l’écart de l’Allier et de la Loire, le bocage s’offre à l’élevage bovin pour la production de viande de qualité. Ce type de milieu agricole est encore bien préservé et héberge une riche biodiversité alors que les champs de maïs sont très pauvres en espèces et nécessitent l’utilisation d’engrais tels que nitrates et phosphates qui contribuent à l’eutrophisation des cours d’eau. Aussi, la présence d’une forêt alluviale suffisamment développée, qui prélève le surplus d’intrants, assure la qualité du milieu aquatique. On le voit, la mise en place d’une protection forte, de type parc national, est une bonne opportunité pour développer une agriculture respectueuse des milieux naturels. Un modèle à étendre en quelque sorte.
Au niveau européen, un bel exemple est apporté par la zone protégée de Kopacki Rit, à cheval sur la Croatie et la Serbie. Il s’agit aussi d’une confluence, entre le Danube et la Drave. D’une grande richesse ornithologique, les 40 000 hectares préservés abritent 50 couples de pygargues. Mais plus étonnant, 6000 cerfs occupent la forêt alluviale régulièrement noyée. De belles perspectives pour le val de Loire et val d’Allier. Quoiqu’il en soit, ce futur parc national aurait, d’emblée, une dimension et une importance européennes.
oui bien pour la nature , mais il faudrait aussi que les entreprises installées sur votre sol ne nuisent pas à votre environnement et biodiversité et soient respectueuses de l’environnement ou elles sont installées et si elles font des dégâts dans votre région il faut qu’elles arrêtent la propagation de la nuisance environnementale et aident à restaurer au moins financièrement votre environnement ce qui est déjà bien c’est que les zones humides se restaurent peu à peu il faut donc des lois envers les entreprises s’installant sur votre sol qui interdisent la dégradation de votre environnement , et privilégier l’agriculture locale plutôt qu’intensive bien sûr sans pesticides ou néonicotinoïdes promouvoir la permaculture et le bio si on ne peut pas se passer de l’intensive , changer de mode de culture , en privilégiant la culture à étages , dans des bâtiments qui protègent les cultures bio , et plutôt que d’utiliser des grands terrains pour l’intensive on utilise des bâtiments en hauteur pour faire des cultures hors sol et bio cela se fait déjà en chine et en Amérique .bien sûr ces bâtiments ne dénatureront pas le paysage ou aménagement visuel
Intéressant argumentaire développé par Gilbert Cochet.
La création d’un parc national, vieil outil de protection de la nature, des paysages, mais aussi de valorisation du patrimoine et de l’economie locale, ouvre d’autres promesses.
Pourtant, derrière les attentes multiples auxquelles ce projet pourrait répondre (protection des ressources en eau potable, transition agro-ecologique, enjeux d’inondation) un défi immense reste totalement à relever: celui d’une gouvernance moderne et structurante.
Outil de la modernité, un parc national aujourd’hui devrait relever le défi d’un projet “de territoire ” garant d’un ancrage local effectif et d’une prise en compte des aspirations d’une “communauté de lieu”.
L’évolution récente de la gouvernance de cet outil emblématique de protection et gestion du patrimoine naturel (loi 2006, administration des Pnx majoritaitement confiée aux élus locaux) a démontré la défiance toujours prégnante des territoires concernés par cet outil qui tente de conjuguer une liberté d’orientations de gestion dans un “corset” réglementaire.
Assurément, si la médiation a toujours été au coeur de l’histoire des Parcs Nationaux en France, celle-ci peut-être considérée comme plus complexe dans les espaces soumis à une anthropisationvm prégnante, situation à laquelle un Parc National sur l’Allier ne saurait échapper.
L’écart entre les enjeux de préservation et les positionnements d’acteurs clef que sont partout les agriculteurs (tout particulièrement en zone alluviale de l’Allier où se cotoient l’élevage extensif et les cultures intensives) explique peut-être la tiedeur des politiques environnementales locales.
Berceau d’un syndicalisme agricole voué à l’émancipation de la petite paysannerie, la vieille province du bourbonnais jouit d’un paysage très varié (Puy de Montoncel, montagne bourbonnaise, Forez, alt 1287 m/ confluence avec la Loire en limagne bourbonnaise, alt 167m/ vastes surfaces bocagères en zones de polyculture-élevage / réseau de forêts domaniales dont la forêt de Tronçais)…
Pour autant, aucune initiative de valorisation patrimoniale d’ampleur n’a jusqu’ici été entreprise comme en temoigne l’absence de Parcs Naturels Regionaux (10 PNR en region AURA, 54 en France).
La conception d’un projet original de protection et de valorisation forte du Val d’Allier supposera donc tout à la fois une aptitude au compromis de la part des tenants d’une vision exclusivement préservationiste ou à l’inverse abusivement consevationiste de cet espace, une clarification des attentes et orientations des politiques agricoles locales et plus encore la création d’un outil de concertation ouvrant la porte à la participation effective d’une pluralité d’acteurs et de citoyens.
Un projet actuel de Parc National réinterroge les questions basiques de démocratie en les axant sur un enjeu classique mais en tension croissante: la relation entretenue avec l’environnement, l’arbitrage entre les usages et le partage de ressources naturelles.