Publié le 22 novembre 2023 |
0Truffe : tuber de la guerre
Marronnier. L’hiver, c’est la saison de la truffe. Alors, pour pouvoir la ramener (sa truffe) aux repas de famille en fin d’année, plongez donc dans ce fil du mercredi 22 novembre 2023. Vous y apprendrez que le phylloxera a été d’un grand secours à la fin du XIXe et que la France, après avoir été le principal producteur mondial, se fait aujourd’hui tailler des croupières par l’Espagne.
Photo d’illustration : Truffes © archives Yann Kerveno
La saison est à la truffe
Le coin du feu, le causse du Lot, le marché de Lalbenque ou celui de Moussoulens dans l’Aude, le bruissement à peine audible des vendeurs et des acheteurs, la marchandise qui s’échange et le froid qui pique dehors. Avec l’arrivée de l’hiver, l’heure est à la truffe, grand « marronnier » de la presse locale auquel Sesame sacrifie aujourd’hui. Avec la récolte française, commence donc la litanie des marchés dans toutes les régions de production, dans le Sud et dans l’Est, même si ce ne sont pas les mêmes truffes que l’on y récolte. En France, on récolte majoritairement Tuber melanosporum, la truffe dite « noire » mais, en Bourgogne, c’est une autre variété qui est ramassée, Tuber uncintaum… Ailleurs, hors de nos frontières, c’est souvent la truffe blanche, Tuber Borchii vittadini, la truffe italienne…
De viticulteur à trufficulteur
Pour qu’elles se développent, les truffes réclament quelques conditions, au-delà de la mycorhization des chênes (grosso modo, l’ensemencement des plants). Il faut donc un sol au PH proche de 8, plutôt alcalin donc, du calcium, des sols souples, profonds et bien drainés, 8 % de calcaire minimum et une altitude comprise en 200 et 400 m. Si la truffe s’est développée en France, c’est parce que les populations humaines ont eu besoin de bois et ont ouvert de larges espaces dans les forêts, puis que le phylloxera est venu apporter un petit coup de pouce en détruisant la totalité du vignoble français. C’est ainsi que les vignerons du Périgord ruinés, qui avaient observé les ronds de sorcières caractéristiques de la présence de truffes dans le sol en bord de leurs parcelles, ont converti leurs vignes en plantation de chênes truffiers… À la fin du XIXe, la production française s’établissait autour de 1 000 tonnes annuelles provenant en grande majorité de cinq départements, Vaucluse, Alpes de Haute-Provence, Lot, Drôme et Dordogne…
L’offre et la demande…
La Première Guerre mondiale et l’immense saignée qu’elle a opérée dans le monde rural, le délaissement des truffières puis la modernisation de l’agriculture, auquel s’ajoute le déclin du pastoralisme après le second conflit mondial, ont pris le dessus et écarté la truffe, son imprévisibilité, son temps long, du champ des productions agricoles… Jusqu’aux années 1970 où s’opère une timide renaissance. Il s’en produit aujourd’hui en moyenne 30 à 50 tonnes par an et les méthodes se sont modernisées avec l’irrigation et la production de plants mycorhizés. Mais aussi la concurrence internationale bien présente. C’est un sujet de toujours que de traquer les marchands qui essayent de faire passer de la truffe espagnole, ou chinoise pour de la française sur les marchés du sud de l’Hexagone… Il faut dire que le prix de vente de la Tuber melanosporum française en pleine saison, autour de 1 000 euros le kilo, aiguise tous les appétits. De son côté, l’Espagne est devenue le premier producteur mondial avec plus de 10 000 hectares de plantations, dans le sud de l’Aragon du côté de Terruel et une production atteignant une centaine de tonnes par an, soit un tiers de la production mondiale. De nouveaux acteurs apparaissent en outre sur le marché, comme les Australiens, la Californie, l’Iran… Entre 2022 et 2028, le marché mondial de la truffe noire pourrait passer de près de 300 M$ à 496 M$.
S’adapter ou subir les aléas météorologiques
Et cette année ? C’est grise mine dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales où la sécheresse fait toujours rage. La production estimée n’atteint que 30 % d’une année normale même si la récolte de truffe blanche fut globalement correcte. Dans le Lot en revanche, la production devrait être au rendez-vous même si quelques inquiétudes sont nées de l’importante pluviométrie de ces dernières semaines. C’est bien là justement la plus grande crainte des trufficulteurs, les tourments de la météo et du climat. En Bourgogne, la production est sur le déclin et les interdictions d’irrigation pleuvent comme à Gravelotte. Alors les producteurs réfléchissent, ils mettent en place des paillages pour protéger le sol et éviter qu’il monte en température au pied des arbres, certains projettent de planter des truffières sous des ombrières photovoltaïques pour la même raison : éviter la stérilisation du sol par la chaleur… Parallèlement, ils cherchent aussi une meilleure protection pour leurs productions en louchant sur les signes officiels de qualité. La semaine passée, pour le premier marché aux truffes de France de l’année à Carpentras, une douzaine de kilos ont été proposés à la vente sur le carreau professionnel, et, note FranceAgrimer, la quasi-totalité des lots a trouvé preneur malgré une grande hétérogénéité dans les qualités organoleptiques. 200 € le kilo sur le marché professionnel, 500 € au détail. Mais ce n’est que le début.