Union Libre Les jeunes sont des vieux comme les autres © Tommy Dessine 2024

Published on 28 juin 2024 |

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« Transformer notre représentation de cet âge de la vie »

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Quatrième partie du dossier “Mangez jeunesse !”, en collaboration avec la Chaire Unesco Alimentations du Monde, extrait du quinzième numéro de la revue Sesame,
Par Lucie Gillot
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Visuel : © Tommy Dessine 2024

Entretien avec Camille Peugny, sociologue, directeur de la Graduate School sociologie et science politique à l’université Paris-Saclay.

Plusieurs enquêtes mettent en exergue la diversité des visages de la jeunesse aujourd’hui, voire sa fragmentation. Et s’inquiètent qu’une partie, notamment les ruraux ou les jeunes issus de familles ouvrières, soit invisible. Les enquêtes confirment-elles ces observations ? 

Camille Peugny. Tout à fait. Prenons le cas des étudiants, frange de la jeunesse la plus visible, car la mieux représentée via les syndicats et les associations. Elle ne concerne que 45 % des 18-25 ans, 55 % des jeunes étant soit en activité, soit au chômage ou autre forme d’inactivité.

Autres éléments d’importance, l’origine sociale (ce sont principalement des jeunes issus de milieux bourgeois qui peuvent poursuivre leurs études) et le lieu de résidence. Ce n’est pas la même chose d’habiter une grande métropole, l’espace périurbain ou un territoire rural. Certains travaux1 ont bien montré que la jeunesse rurale était confrontée à des problématiques particulières, notamment celle de devoir choisir entre le maintien des sociabilités locales et l’éloignement pour poursuivre ailleurs ses études ou accéder à des emplois plus qualifiés. N’oublions pas enfin les inégalités liées à l’origine ethnique avec les discriminations selon la couleur de peau et l’apparence, lesquelles sont établies et bien documentées.

Face à cette fragmentation, cela a-t-il encore du sens de penser une politique de la jeunesse qui soit universelle ? Comment faire pour qu’elle n’accentue pas ces différences ? 

Oui, cela a du sens. Au-delà de toutes ces distinctions, un certain nombre de problématiques sont communes à toutes les jeunesses. La précarité en est une. Par ailleurs, que l’on soit aisé ou précaire, cet âge de la vie s’opère sous une étroite dépendance à la famille faute d’une véritable politique de la jeunesse à même de promouvoir l’autonomie et l’indépendance. C’est bien la famille qui apporte les soutiens matériels et/ou financiers, ce qui signifie que certains jeunes seront plus ou moins 1 – Voir notamment les ouvrages : « Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin », de Bruno Coquart, La Découverte, 2019, et « Les Filles du coin », de Yaëlle Amsellem-Mainguy, Presses de Sciences Po, 2023. favorisés. Je crois qu’il est possible de transformer notre représentation de cet âge de la vie, de le « défamilialiser » et d’ouvrir la porte à des dispositifs et mécanismes plus universels.

Ces dispositifs existent-ils dans d’autres pays ? 

Trois systèmes existent en Europe. Schématiquement, dans les pays scandinaves, c’est l’État qui intervient et accompagne les jeunes. Par exemple, au Danemark, l’État soutient de manière universelle tous les étudiants en leur apportant une aide f inancière quel que soit le niveau de revenus des parents. Celle-ci leur est adressée directement car l’État considère qu’à 18 ans, ceux-ci sont pleinement adultes et citoyens. Les nations plus libérales, comme le Royaume-Uni, placent leur confiance dans le marché, pour inciter les jeunes soit à acquérir leur indépendance par le travail soit à contracter un emprunt pour financer leurs études. Dernier cas de f igure, les pays du sud de l’Europe, dont la France. Cette fois, c’est la famille qui est mise à contribution.

Au regard de ces trois systèmes, je préconise que ce soit l’État et non la famille qui intervienne. Ce type de dispositif présente plusieurs atouts. D’abord, il va de pair avec une conception de la jeunesse comme étant un temps long de l’expérimentation, laissant la possibilité de faire des allers-retours entre la formation et l’emploi et ainsi de trouver sa place dans la société. Ensuite, il apparaît efficace pour atténuer la reproduction des inégalités sociales. Enfin, les observations montrent que c’est dans les pays scandinaves que les jeunes se projettent avec le plus de confiance dans l’avenir.

Vous citez l’exemple du Danemark et de sa politique d’aide. Mais celle-ci est réservée uniquement aux étudiants et non pas à l’ensemble des 18-25 ans…

C’est un point très important. Au Danemark, l’aide lève les freins financiers à la poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, celle-ci y étant bien plus fréquente qu’en France. Néanmoins, je reste très attaché à ce que ces dispositifs ne se limitent pas aux étudiants et puissent également bénéficier aux jeunes qui s’insèrent très tôt sur le marché de l’emploi – par exemple via un droit à la formation continue.

Venons-en à la question environnementale et cette idée – récurrente mais fausse – selon laquelle la jeunesse serait plus engagée que les générations précédentes. D’où vient-elle ? 

Deux choses. La première concerne les données statistiques. Le fait qu’il n’y ait pas de différence significative entre les générations ne signifie pas que certains fragments de la jeunesse ne sont pas en pointe ou fortement mobilisés sur les questions environnementales et climatiques. Ou que, bien qu’ils soient minoritaires, ceux-ci ne vont pas jouer un rôle central, par exemple d’aiguillon, pour la société. Simplement, quand on regarde les données statistiques moyennes, aucune distinction n’apparaît.

Ensuite, on a toujours essayé de décrire les nouvelles générations comme différentes. Aujourd’hui, cela se focalise sur l’environnement ; mais cela concerne tout autant les valeurs économiques et sociales, le rapport à l’immigration, les questions de genre, l’égalité homme-femme… Or, dans bien des cas, on s’aperçoit que le réel clivage n’est pas tant celui des 18-25 ans avec les générations précédentes que celui des 65 ans et plus avec le reste de la société. Enfin, concernant spécifiquement les attitudes à l’égard des questions environnementales, le critère discriminant est à chercher du côté du niveau de diplôme : dans leurs déclarations, les cadres vont se sentir plus préoccupés que les ouvriers et les chômeurs.

Lire aussi : l’entretien complémentaire avec Pierre Girard, économiste au CIRAD

  1. Voir notamment les ouvrages : « Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin », de Bruno Coquart, La Découverte, 2019, et « Les Filles du coin », de Yaëlle Amsellem-Mainguy, Presses de Sciences Po, 2023.

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