Union Libre

Published on 20 février 2023 |

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Sahel : travailler dans le cacao… pour cultiver du sésame

Propos recueillis par Christophe Tréhet

Article paru dans le cadre de notre partenariat avec la Chaine Unesco Alimentations du Monde, à l’occasion de son 12ème colloque annuel, “Au travail!

Invité à intervenir sur le travail dans les filières cacao de Côte-d’Ivoire, Pierre Ricau est chargé de mission agriculture et marché au sein de l’association Nitidae, qui développe des projets associant la préservation de l’environnement et le renforcement des économies locales. C’est en marge de son propos que cet agroéconomiste a brièvement évoqué un phénomène nouveau : grâce à un travail plus rémunérateur dans ces plantations, le développement en Afrique de l’Ouest des cultures de sésame et d’anacardiers, aux vertus environnementales, économiques et sociétales. De quoi nous donner envie de décortiquer avec lui un phénomène encore peu connu.

De nouvelles cultures émergent en Afrique sub-saharienne en lien avec la culture du cacao en Côte d’Ivoire. De quoi s’agit-il ?

Pierre Ricau : En effet, on observe chez les populations de la zone sahélo-soudanaise un processus de réinvestissement des revenus qu’elles ont gagnés dans la culture du cacao en Côte d’Ivoire, pour  cultiver de nouvelles espèces dans leur pays d’origine. Il s’agit de la noix de cajou et du sésame, cultures quasi inexistantes auparavant et qui constituent désormais des « success story » du Sahel. Ces cultures ne rapportent pas autant que le cacao mais elles s’en rapprochent : elles aussi se révèlent bien plus rémunératrices que les cultures vivrières telles que le maïs ou le manioc. Un ordre de grandeur : pour les producteurs, un hectare de manioc rapporte 150 à 200 €/an, quand son équivalent en cacao offre un revenu compris entre 750 € et 1250 € / an. Du côté des travailleurs, la filière manioc permet seulement de gagner 1,5 à 2 € par jour, contre 3 à 4,5 € par jour dans la filière cacao. Ceci explique le succès de cette dernière qui attire une main d’œuvre venue d’autres régions, voire d’autres pays.

En quoi cultiver des noix de cajou ou du sésame constitue une success-story ?

L’anacardier, dont on récolte les noix de cajou et qui est originaire d’Amérique tropicale, est apparu à la fin des années 1990 dans le sud du Burkina Faso et du Mali ainsi qu’en Côte d’Ivoire. C’est un arbre (maximum 15 m de haut, ndlr) cultivé en zone de savane. Or, son implantation a recréé un couvert agroforestier qui reverdit ces milieux herbacés ; Certes, cette expansion s’est parfois faite en zone protégée, dans des parcs où sa culture n’était pas autorisée, mais cela reste marginal et à la périphérie des parcs. Surtout, cette espèce a bien d’autres avantages : très résistante à la plupart des maladies et ravageurs, elle contribue à améliorer le sol du fait de la lente décomposition de ses feuilles riches en tannins.

Elle est par ailleurs très sensible aux feux de brousse, ce qui encourage les agriculteurs à mieux maîtriser les feux de défrichage et de chasse dans les zones où elle est implantée. Quant à ses fruits, les noix de cajou, peu consommés localement, ils sont exportés partout dans le monde. Avec ce phénomène majeur : si, dans un premier temps, les pays producteurs comme la Côte d’Ivoire vendaient les fruits bruts en Inde où ils étaient décortiqués, le pays est rapidement devenu le 3e transformateur mondial, même s’il demeure encore loin derrière le Vietnam qui occupe la première place. Il faut savoir que, comme la châtaigne, le fruit de l’anacardier a deux pellicules qu’il faut enlever. Un processus en partie mécanisé mais qui a généré entre 40 et 50 000 emplois en Côte d’Ivoire.

Concernant le sésame, son apparition dans les zones sahéliennes s’observe depuis 2007 et est à mettre en relation avec le développement des échanges entre l’Afrique et l’Asie. Récemment, certains producteurs ont abandonné le coton au profit de cette culture suite à la hausse du cours des engrais. Sur le plan agroécologique, le sésame s’avère également très intéressant : très résilient d’une façon générale, il résiste en particulier à la sécheresse (l’espèce est originaire du bassin du Nil). Certains producteurs la cultivent malgré tout  à l’aide d’intrants chimiques, mais ce n’est  pas le système dominant. Par ailleurs, le sésame a permis d’étaler les cultures car il a un cycle végétatif très court qui peut donc s’insérer, dans les rotations, entre deux céréales. On estime que 2 % de la production de sésame des zones sahéliennes sont consommés localement, le reste étant dirigé vers l’Asie.

Quelles sont les effets socio-économiques du développement de ces deux cultures ?

Avant cela, les cultures vivrières dégageaient très peu de valeur ajoutée et les filières agricoles de rente restaient rares. Les agriculteurs vivaient avec 200 € à 300 € par an pour toute la famille. Trop peu pour envoyer les enfants à l’école – avec 5 à 6 enfants en moyenne par foyer en Afrique de l’Ouest et un coût de scolarisation de 100 € par an et par enfant -, se soigner correctement ou développer son activité agricole.

Or, pour beaucoup d’agriculteurs familiaux, le seul capital dont ils disposent est leur travail. Ils cherchent donc à valoriser leur force de travail là où elle est la plus rémunératrice. Le flux de main- d’œuvre, et en particulier le trafic d’êtres humains (enfants) vers la Côte d’Ivoire s’est ainsi mis en place dans un contexte caractérisé par une extrême inégalité entre les zones sub-sahéliennes et la Côte d’Ivoire. Le développement de la noix de cajou et du sésame dans ces zones améliore la scolarisation des enfants, permet de fixer les populations et de faire revenir chez eux certains travailleurs du cacao quand les cours mondiaux baissent. Car la noix de cajou et le sésame mobilisent exclusivement la main d’œuvre locale.

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