Quelle aubaine : ce droit de spolier les étrangers ! - Revue SESAME

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Le mot Gravure Assemblée nationale, époque du 4 février 1790 - Archives nationales

Publié le 25 juin 2024 |

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Quelle aubaine : ce droit de spolier les étrangers !

Par Valérie Péan, extrait du quinzième numéro de la revue Sesame (mai 2024),
Visuel : Gravure Assemblée nationale, époque du 4 février 1790 – Archives nationales,

C’était une sorte de loi immigration à la sauce médiévale. En ces temps féodaux, existait une catégorie de la population qui « vit libre mais meurt serf »1 : c’est l’aubain. Rien à voir avec un être né à l’heure où pointe le jour. Le mot viendrait du latin populaire alibanus, « qui est ailleurs » (ce même mot donnera « alibi »). À moins qu’il ne soit issu du francique, alibanni, c’est-à-dire d’un autre « ban ». En clair, d’une autre juridiction. Bref, dans les deux cas, un étranger. Mais pas n’importe lequel. En tout cas, pas un « étranger utile », comme le sont alors les banquiers lombards, les marchands espagnols, les ouvriers hollandais ou encore les forains (du latin foris, « dehors ») qui sillonnent le pays grâce à des sauf-conduits, voire qui s’y installent à la faveur de « lettres de naturalité » accordées par le roi à partir du XVIe siècle. Sans oublier le cas des pèlerins, jugés inoffensifs.

Nos aubains, eux, ne sont guère désirés. Ces migrants viennent de régions perçues comme hostiles ou bien sont de religion différente. D’autres fois, ils tombent mal, tout simplement, à une époque de moindre tolérance ou sur les terres d’un seigneur plus vénal qu’un autre. Pour tous ces malchanceux, l’humiliation est totale. Pas question d’avoir les mêmes droits que les « régnicoles », ces sujets nés et résidant dans le royaume. Les moindres gestes de la vie sont soumis à des impôts en tout genre, telle cette taxe de « formariage » à acquitter si l’on souhaite épouser quelqu’un d’un autre fief. Et puis il y a les interdits : pas question d’accéder à une fonction politique ou de prêter de l’argent, impossible ou presque de transmettre ses biens à ses descendants : si héritage il y a, il est saisi par le seigneur. C’est le fameux « droit d’aubaine », qui éclaire le sens actuel de « profit inespéré », lequel n’était pas l’apanage de la France mais existait aussi en Espagne, en Angleterre ou en Hongrie. Certes, au fur et à mesure du renforcement des pouvoirs monarchiques et du droit régalien, le statut de l’aubain s’assouplit en repoussant les frontières de sa servitude : il n’est plus étranger à une seigneurie mais au royaume tout entier. Mieux, le nombre de naturalisations accordées par le souverain semble s’intensifier, pour atteindre environ 8 000 aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Révolution aidant, ce droit fut aboli comme de juste par l’Assemblée constituante en 1790, car « contraire aux principes de fraternité qui doivent lier tous les hommes »… mais rétabli en 1803 dans le projet du Code civil lorsque souffle sur le pays un vent protectionniste et patriotique. Il sera supprimé définitivement en 1819 sous la Restauration. Dès lors, c’est par d’autres moyens fort variés que seront triés « bons » étrangers, migrants indésirables et autres « réfugiés climatiques ».

SOURCES : Peter Sahlins, « Sur la citoyenneté et droit d’aubaine à l’époque moderne », Annales. Histoire, sciences sociales, 2008/2. Alain Rey, Le Robert, dictionnaire historique de la langue française.

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  1. La formule est du parlementaire M. Barrère de Vieuzac, lors de la séance du 6 août 1790 de l’Assemblée nationale constituante consacrée à l’abolition du droit d’aubaine. (Archives parlementaires de la Révolution Française, année 1884/17/pp 628_629.)

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