Protéger les captages d’eau : l’expérience de Nort-sur-Erdre
Au nord de Nantes, la commune rurale de Nort-sur-Erdre est assise sur une nappe d’eau et compte trois captages. Comment assurer, sur le terrain, la qualité de cette ressource menacée par divers polluants ? Au-delà des solutions techniques, il existe des dispositifs juridiques qui ont aussi leurs limites. Le point de vue concret d’un élu sur les moyens d’action de sa commune, pour le 17ème numéro de la revue Sesame (parution en mai 2025).
Par Yves Dauvé, maire de la commune de Nort-sur-Erdre et enseignant en droit rural (École supérieure d’agriculture d’Angers). Propos mis en forme par Anne Judas, avec la complicité du café des sciences de la transition écologique de Nantes Université.
Nort-sur-Erdre (10 000 habitants) et son bassin de vie (80 000 habitants) sont approvisionnés en eau potable par une nappe phréatique interstitielle1 située à 90 % sur le périmètre de la commune, via trois points de captage. La surface agricole utile couvre environ 65 % de ce territoire (en tout 36 km2).
La nappe a été classée comme prioritaire par le Grenelle de l’environnement en 2012. Source première pour l’approvisionnement de Nort-sur-Erdre, elle est très résiliente et, même lors des sécheresses de 2021 à 2023, la quantité d’eau est apparue robuste.
Une eau qui se dégrade
Nous avons beaucoup de retard sur le problème
La qualité de l’eau de la nappe, hélas, se dégrade sous l’effet conjugué des pesticides et des nitrates. Certes, la nature des sols est assez filtrante mais, entre le moment où une pluie tombe et celui où l’eau rejoint la nappe, il peut se passer quinze à vingt ans. On a donc beaucoup de retard sur le problème – même si on en parle depuis deux décennies. Et, quand on demande des efforts, notamment à la profession agricole, on n’en voit pas les résultats instantanément.
Par ailleurs, un changement de système agricole s’est produit. L’ancien modèle de polyculture-élevage avec des surfaces enherbées très importantes et durables limitait la pollution. Une modélisation de la nappe l’a montré. Même des parcelles cultivées en agriculture conventionnelle de manière raisonnée dans un système d’élevage laitier généraient peu de pollutions. Aujourd’hui, ce sont beaucoup de cultures de légumes de plein champ qui tournent rapidement et nécessitent des intrants pour sécuriser les rendements et une certaine qualité.
D’autres communes du département sont touchées par ce problème, comme Machecoul, au sud, où il y a une production agricole très intensive. Massérac, à l’ouest, a même dû fermer son captage.
Traiter les nitrates ?
Malgré la remise à niveau, pour six millions d’euros, de l’usine de traitement d’eau potable de Nort-sur-Erdre, qui traite les pesticides au moyen du charbon actif, nous avons détecté, l’an dernier, de nouveaux polluants et notamment des PFAS. Par ailleurs, cette station, gérée par le syndicat Atlantic’Eau, ne traite pas encore les nitrates pour l’instant. Si leur taux demeure inférieur à 100 mg/l, la législation autorise à pomper l’eau de la ressource naturelle. Quant à l’eau potable distribuée, elle doit en contenir moins de 50 mg/l. Dès que ce seuil est dépassé dans l’eau pompée, un système de mélange avec deux autres sources proches intervient pour l’atténuer, de façon à ce que l’eau distribuée reste conforme. En 2024, les sources utilisées en mélange ayant des teneurs en manganèse trop élevées, cette eau distribuée a été temporairement interdite de consommation pour les femmes enceintes et les nourrissons, alors approvisionnés en bouteilles d’eau par la commune, tandis que l’agence régionale de santé accordait au syndicat Atlantic’Eau une dérogation de trois semaines pour poursuivre la distribution au reste de la population. De fait, il nous faudra probablement investir de nouveau, à hauteur de trois à quatre millions d’euros, pour traiter les nitrates dont les taux montent actuellement2.
Retrouver une eau potable de qualité : les Zones Soumises à Contraintes Environnementales (ZSCE)…
(…) l’un des enjeux forts consiste à préserver de toute pollution les points de prélèvement d’eau.
Dans ce cadre, l’un des enjeux forts consiste à préserver de toute pollution les points de prélèvement d’eau. Une protection « à la source », donc des captages, via deux dispositifs spécifiques actionnés à l’échelle départementale par le préfet, sous la forme d’arrêtés : il existe d’abord la procédure dite « zones soumises à contraintes environnementales ». Elle est mise en œuvre afin que les acteurs se mettent d’accord sur un plan d’action visant à regagner la qualité de l’eau. Faute d’accord à Nort-sur-Erdre, le préfet a pris la main, validant le plan d’action en décembre 2024 et prenant l’arrêté correspondant. Ce plan d’action est volontaire (c’est-à-dire non contraignant) et dure trois ans pour tous les acteurs. Passé ce délai, si le préfet juge qu’il n’est pas efficace, il peut le rendre obligatoire – voire, selon le droit mais c’est chose rare, au bout d’un an.
À Nort-sur-Erdre, ce plan d’action de la ZSCE contient des objectifs pour retrouver une qualité conforme : pour l’eau pompée, moins de 50 mg/l de nitrate et moins de 0,1 microgramme par litre pour les pesticides. S’il prévoit des mesures de maîtrise et de suivi qui ont un intérêt, aucune ne mentionne d’interdiction. Et le préfet, qui ne peut rendre obligatoires que des mesures déjà prévues, ne pourra pas prendre de telles décisions puisqu’elles ne figurent pas dans les mesures volontaires.
Par ailleurs, notons que l’espace qui reçoit l’eau de pluie alimentant la nappe, contribuant à la régénérer, peut être divisé en trois sous-zones dont l’apport est plus ou moins important : une zone sensible de 120 hectares où des efforts très importants donneraient des résultats rapides ; une deuxième zone de 600 hectares où l’on pourrait mener des efforts moins contraignants ; une troisième zone de 3 000 hectares où le programme ZSCE serait tout à fait adapté. Or, alors que la municipalité de Nort-sur-Erdre souhaitait voir interdire les pesticides et les apports de nitrates minéraux sur la zone sensible des 120 hectares, le préfet a choisi la linéarité des mesures sur l’ensemble du périmètre.
… Et les Déclarations d’Utilité Publique (DUP)
Venons-en au deuxième type de procédure, les déclarations d’utilité publique relatives à l’instauration de périmètres de protection. Celles-ci définissent administrativement des périmètres autour des captages, assez similaires aux zones de contributions hydrologiques citées plus haut, avec la mise en place de trois niveaux de protection (immédiate, rapprochée et éloignée). Plutôt pilotées par le ministère de l’Environnement et de la Santé, elles visent à éliminer tout risque de pollutions ponctuelles susceptibles d’affecter la nappe, comme les fuites accidentelles des fosses à lisier, mais la loi permettrait qu’elles ciblent aussi l’interdiction des pesticides aux alentours des captages. Concernant notre territoire, la DUP actuelle est en cours de révision. Atlantic’Eau va faire une proposition à la préfecture, qui ne sera opposable que lorsque l’arrêté du préfet sera pris. Mais, comme la ZSCE, cette procédure ne prendra probablement pas de mesures contraignantes.
Obligations et indemnisations
Le système de plafond empêche une exploitation de recevoir plus d’un certain montant d’aides publiques…
Un arrêté ZSCE ou une DUP peuvent toutefois instaurer des obligations, comparables à des servitudes3. Cela permet d’indemniser les agriculteurs concernés par ces mesures d’interdiction ou de restriction d’activités ou d’installations portant atteinte à la qualité des eaux. Mais aussi de renforcer les mesures existantes de la PAC, tels les écorégimes (des aides dites « vertes ») ou les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC). Il est même possible (et l’on y travaille) de mettre en place des paiements pour services environnementaux. Hélas, le système de plafond existant empêche une exploitation de recevoir plus d’un certain montant d’aides publiques (50 000 euros sur trois ans4), ce qui constitue souvent un écueil pour contractualiser avec les agriculteurs. Certes, ces derniers peuvent aussi initier une conversion en bio. Reste que la modélisation5 a montré que, même en agriculture bio, des nitrates rejoignent l’eau à partir du sol et des résidus de culture. Le plus efficient serait peut-être de revenir à un système de polyculture-élevage. Difficile toutefois d’avoir ici des certitudes, tant la complexité agronomique est grande.
Le foncier : les marges de manœuvre d’une commune
Il est possible d’inclure une clause d’interdiction pour l’utilisation des pesticides
Sachant que la reconquête d’une eau de qualité est affaire de moyen et long terme, la commune a engagé une action sur son foncier. Elle aurait pu faire une déclaration publique, exproprier les agriculteurs sur la zone sensible des 120 hectares moyennant d’onéreuses indemnités très lourdes à verser. Nous avons éliminé cette option, au moins dans un premier temps, après avoir étudié d’autres outils possibles sur ce périmètre.
Parmi eux, citons l’Obligation Réelle Environnementale (ORE), qui émane du droit de l’environnement. C’est une servitude inscrite dans l’acte de propriété notarié du sol et dans la durée : le propriétaire ou l’exploitant à venir, quel qu’il soit, devra la respecter. Ce peut être une interdiction de l’usage des pesticides, une obligation de garder les haies, etc. Jusqu’à maintenant, ces ORE avaient plutôt pour finalité de protéger la biodiversité mais des propriétaires peuvent les utiliser avec pour contrepartie un fermage modique.
Autre voie possible, les baux avec clause environnementale, que peuvent signer les propriétaires, éventuellement une collectivité. Même si le statut du fermage rend difficile le fait de revenir sur un bail en cours, il est en effet possible d’inclure une clause telle que l’interdiction d’utiliser des pesticides, dès lors qu’il s’agit d’intérêt public.
Face aux réticences du monde agricole
Un sujet aussi vital que l’eau potable ne peut pas être laissé au bon vouloir d’un agriculteur ou d’un groupe d’agriculteurs, ni d’ailleurs d’un élu ou d’un groupe d’élus.
Dernier exemple,une collectivité locale commune peut actionner le droit de préemption, qui émane du droit de l’urbanisme. C’est ainsi que la communauté de communes, à travers son Plan local d’Urbanisme Intercommunal (PUI) où est inscrite la protection de la nappe phréatique, dispose du droit de préemption, qu’elle a cédé à la commune de Nort-sur-Erdre. Laquelle se porte acquéreuse dès qu’une terre est mise en vente dans la zone des 120 hectares et propose ensuite un bail environnemental (un seul conclu à ce jour). Un droit dont dispose également Atlantic’Eau mais que ce service public ne souhaite pas activer. Fait notable : la commune a choisi de ne pas préempter si l’agriculteur acquéreur signe une ORE devant notaire.
Ces démarches font école. Ainsi, à Machecoul, pour éviter que la commune préempte ses parcelles sur l’aire d’alimentation du captage, l’agriculteur concerné s’est engagé à passer en bio.
Reste que, face aux ORE et aux baux environnementaux, les organisations agricoles manifestent de fortes réserves.
Trois jours avant les élections municipales de 2020, la FNSEA avait envoyé 120 tracteurs devant la mairie, avec le slogan « Rendez-nous nos terres ». Le dimanche suivant, ma liste a été réélue avec 72 % des voix. Les habitants de Nort-sur-Erdre sont, semble-t-il, extrêmement sensibles à la qualité de l’eau. Mais cette inquiétude du monde agricole, voire cette crispation, expliquent la prudence de la communauté de communes, d’Atlantic’Eau et même de la préfecture. Sous l’égide de la direction départementale des territoires et de la mer, une cellule foncière se met actuellement en place concernant la zone de captage. Au sein de cette instance, peuvent s’engager des discussions et des réflexions, par exemple sur des échanges de terres agricoles, permettant aux agriculteurs de récupérer des parcelles en dehors de cette zone.
Quels que soient les débats actuels, il est impossible de laisser aux générations futures une ressource polluée, que ce soit l’air, l’eau ou le sol. Face à la nocivité des pesticides, risque connu, s’applique le principe de prévention, un des principes supérieurs du droit de l’environnement qui doit être respecté et peut être invoqué par recours devant les tribunaux. Un sujet aussi vital que l’eau potable ne peut pas être laissé au bon vouloir d’un agriculteur ou d’un groupe d’agriculteurs, ni d’ailleurs d’un élu ou d’un groupe d’élus. Seule une loi, un cadre plus volontariste, demandant une détermination à toute épreuve, sera à la hauteur de l’enjeu. Cette avancée législative pourrait avoir lieu, avec l’adoption de la loi portée par Jean-Claude Raux6, non une loi partisane mais une loi d’intérêt général, comme celle qui a été adoptée dernièrement sur les PFAS7.
Lire aussi
- L’eau ne forme pas de lac souterrain. Elle est dispersée dans le sol.
- Depuis 2000 le nombre de captages fermés pour non-conformité aux nitrates augmente : https://programme-nitrate.gouv.fr/lazote-est-element-indispensable-a-lagriculture-il-peut-entrainer-pollutions.html
- En droit public, restriction à l’exercice du droit de propriété foncière en vertu de l’intérêt général ou de l’utilité publique.
- C’est le plafond dit des « aides de minimis » : https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A17933
- Syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable de la région de Nort-sur-Erdre, 2015. Modélisation en quatre phases du système hydrogéologique de Nort-sur-Erdre (44), 2013-2015.
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0766_proposition-loi
- https://www.vie-publique.fr/loi/293656-pfas-polluants-eternels-loi-ecologiste-du-27-fevrier-2025