Les échos & le fil Illustration fleuve

Published on 25 octobre 2023 |

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Les longs fleuves n’ont pas une vie tranquille

À l’ère du tout voiture on oublie, dans nos contrées, que les fleuves font de parfaites et économes voies de communication. À condition qu’il y ait suffisamment d’eau… Amazone, Mississippi, même combat !

Alors, bien sûr, on regarde ces jours-ci l’état de santé de l’Amazone, le fleuve le plus puissant du monde. Fleuve totémique. Irriguant ce que l’on soupçonne, souvent à tort, d’être le poumon de la planète, comme le système vasculaire d’un monde idyllique à deux doigts de disparaître avec sa biodiversité exotique, étrange, unique, inhospitalière, ses populations indigènes… Mais si la sécheresse frappe de façon a priori inédite le fleuve sud-américain, au point de faire s’étrangler Aguirre de colère divine, il n’est pas le seul.

À quelques milliers de kilomètres de là, plus au nord, le Mississippi est lui aussi au plus bas. Pour la deuxième année consécutive, le grand fleuve cher à Mark Twain est passé sous son niveau d’étiage sur près de 650 kilomètres. Tower Rock, une formation rocheuse située au milieu du fleuve dans le Missouri — habituellement accessible uniquement en bateau — peut-être aujourd’hui atteinte à pied sec, pour le plus grand bonheur des touristes. Moins amusant, le biseau salé menace maintenant l’eau potable d’une partie de la Louisiane. Parce que ce moindre débit du fleuve laisse la porte ouverte à l’eau de mer pour qu’elle vienne contaminer les nappes d’eau potable. La menace remonte loin dans les terres, jusqu’au cœur du quartier français de la Nouvelle-Orléans. Une digue a  même été construite en catastrophe pour repousser l’échéance mais c’est déjà trop tard pour la paroisse de Plaquemines, à l’extrémité du delta du Mississippi où des distributions d’eau potable sont organisées.

Cette sécheresse qui frappe le centre des États-Unis depuis l’automne dernier a aussi des conséquences sur le transport des marchandises, une bagatelle de 500 millions de tonnes par an, dont les céréales. Les deux tiers des exportations de grains du pays transitent depuis le Midwest jusqu’à la Nouvelle-Orléans par des convois de barges. Elles vont généralement par quinze, évitant une noria de 1 000 poids lourds sur les routes et allègent d’autant la facture à régler. Si une profondeur de 2,7 mètres était encore garantie en amont de Saint-Louis à la mi-septembre, ce n’était plus le cas pour l’aval, obligeant les transporteurs à alléger les barges et à en diminuer les assemblages, afin de leur permettre de circuler dans un chenal rendu plus étroit par le manque de débit. Et ce, malgré le travail des dragues qui tournent à plein régime pour maintenir le tirant d’eau nécessaire.

L’an dernier déjà, ce scénario s’était  produit, allant jusqu’à la diminution de la navigation nocturne, l’échouage de plusieurs barges… Et comme l’an passé, les producteurs de céréales du midwest, faute de quantité de stockages suffisantes sur leurs fermes, sont obligés de jongler avec les transporteurs et les acheteurs alors que les prix sont au plus bas pour faire de la place pour la culture suivante. (Vous pourrez, si la curiosité vous chatouille, plonger dans ce document qui vous conte par le menu la navigation sur le bas Mississippi depuis les tout débuts et l’exploration par les Français, depuis la région des Grands Lacs en 1663 et la toute première navigation commerciale moins de 50 ans après).

Sur les fleuves, les bateaux peuvent s'échouer.
On a retrouvé le bateau de Fitzcaraldo (Capture d’écran CNN)

Pour l’Amazonie, la situation n’a rien de normal non plus. 

Dans le port de Manaus à la confluence de l’Amazone et du Rio Negro, la cote atteint 13,59 mètres, contre 17,6 mètres il y a un an. C’est le niveau le plus bas jamais enregistré depuis le début des mesures, il y a 121 ans. C’était en 1902. Là aussi, le trafic fluvial (en particulier celui concernant le maïs et le soja destiné à l’exportation) est grandement empêché, voir complètement à l’arrêt pour les barges aux tirants d’eau les plus importants. Ce qui est valable dans le sens descendant, l’exportation, l’est aussi dans le sens remontant pour l’approvisionnement des populations et l’activité économique tout entière de cette vaste région. Avec à la clé de très fortes tensions sur les prix, notamment alimentaires, liées au doublement des coûts du fret… Au point que le gouvernement a décidé de débloquer 100 millions de réales (19 M€) pour financer des dragages d’urgence afin de limiter les entraves au trafic.

Dans l’ensemble du bassin, ce sont aujourd’hui 633 000 personnes qui sont concernées. Les villages — jusqu’ici flottants — sont posés sur le fond de la rivière comme les bateaux dans le port d’Étel un jour de grande marée (basse) et les populations coupées de leur principal moyen de subsistance, la pêche, voire carrément d’eau. L’armée vient d’ailleurs d’être mobilisée pour distribuer des rations dans les zones les plus touchées. Plus d’une centaine de dauphins d’eau douce ont péri dans la zone du Lac Téfé lorsque la température de l’eau a atteint jusqu’à 39 °C dans certaines zones du lac…

De quoi poser la question ultime. Le biome amazonien a-t-il atteint son point de non-retour alors que El Niño, qui débute à peine, va possiblement accentuer les désordres climatiques dans la région au cours des prochains mois ?

Image d’illustration du Thread “Les longs fleuves n’ont pas une vie tranquille” : © Archives Yann Kerveno 2022

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