Quel heurt est-il ? Police_environnement © Tartrais 2023

Published on 23 novembre 2023 |

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Protection des milieux : a-t-on perdu le contrôle ?

Par Laura Martin-Meyer,

Illustration : police environnement © Tartrais 2023,

Mais que fait la police de l’environnement ? Ici c’est un contrôle qui dérape, là c’est un local de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) qui est incendié, et partout la nature qui accuse le coup. C’est que, au-delà des faits divers, inspecteurs de l’environnement et magistrats se révèlent bien à la peine pour s’assurer du respect du droit de l’environnement sur l’ensemble du territoire. État des lieux d’un système sous contraintes, avec des paroles libres et sans concession. Dossier extrait de la revue Sesame 14.

Dans la nuit du 30 mars 2023, le siège de l’OFB à Brest est visé par plusieurs centaines de fusées de détresse, lancées par des marins pêcheurs exaspérés par la décision européenne d’interdire, d’ici 2030, le chalutage de fond dans les aires marines protégées. Aucune victime n’est à déplorer, mais les images du bâtiment calciné par les flammes reflètent bien le malaise des agents de l’établissement, la police de l’environnement, face aux attaques ou à la violence dont ils peuvent faire l’objet. Ici ce sont des insultes, menaces et agressions, voire parfois des tirs ; là c’est une remise en cause de leurs pouvoirs de police. Le 17 avril 2023, en pleine assemblée générale de la FDSEA de la Loire, le président de la chambre d’agriculture départementale, Raymond Vial, s’émeut par exemple de « contrôles un peu trop insistants de la part des agents de l’OFB » (Le Progrès). Pourquoi un tel reproche ?

Léo Magnin © Gilles Sire 2023

« Les policiers de l’environnement sont systématiquement critiqués parce qu’ils portent une arme et leurs locaux sont pris pour cible dans le plus grand silence médiatique. Toutefois, vous n’entendrez jamais de telles polémiques au sujet des gendarmes ni ne verrez de saccage d’un commissariat sans que cela fasse la une d’un JT », observe en effet Léo Magnin, sociologue au CNRS et coauteur avec Rémi Rouméas et Robin Basier de l’ouvrage « Polices environnementales sous contraintes »à paraître en février 2024 aux éditions Rue d’Ulm. Leur hypothèse ? « La police de droit commun a pour objectif de maintenir un ordre social existant, la protection des personnes et des biens, ce qui est globalement accepté. Mais aller contre des activités économiques, agriculture et aménagement du territoire, ou de loisir, chasse et pêche, au nom du droit de l’environnement, comme le font les inspecteurs de l’environnement, c’est nettement moins consensuel. » Et, comme les moyens manquent et que les enjeux ne sont pas établis de façon claire et assumée (lire « Gros plan sur l’OFB »), « on se retrouve avec du saupoudrage et des contrôles moins bien tolérés car très rares. En 2019, un rapport ministériel mentionnait par exemple que la FNSEA avait déploré le procès-verbal de trop… alors que c’était le seul du département ! »1. Si ces épisodes propres à alimenter les faits divers sont révélateurs des tensions entre les mondes agricoles et les inspecteurs de l’environnement, ils ne disent rien en revanche des causes profondes, et viennent surtout masquer un paradoxe… celui d’un droit de l’environnement qui peine à imposer sa loi.

Police de chagrin

« Les relations entre contrôleurs et contrôlés sont marquées, dans le milieu agricole, par la peur de la violence, peur qui peut limiter les pratiques de surveillance »

Giovanni Prete

C’est bien le constat d’une « ineffectivité du droit de l’environnement en général » que font les sociologues Thomas Debril, Sylvain Barone et Alexandre Godin dans un article dédié aux usages agricoles de l’eau, « Les trajectoires négociées de l’infraction environnementale »2. Parmi les causes avancées, citons « la grande disparité et le manque de coordination entre une vingtaine de polices spéciales ayant des procédures distinctes » ou encore l’évitement de certains contrôles « sur les thématiques les plus sensibles ». « Les relations entre contrôleurs et contrôlés sont marquées, dans le milieu agricole, par la peur de la violence, peur qui peut limiter les pratiques de surveillance », confirme Giovanni Prete, sociologue à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux Sociaux (IRIS). Sans parler du manque de moyens humains : comptons une quinzaine d’inspecteurs par département pour l’OFB, et un peu moins de 1 600 chargés du contrôle des quelque 500 000 Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) que compte le territoire, pour ne citer que ces deux catégories d’agents. Conséquence, pour Sylvain Barone, la plupart des atteintes à l’environnement « échappent à tout radar, d’abord parce que, pour porter la voix de l’environnement, il faut que des humains constatent l’agression » (L’Obs, 1er septembre 2022). Il faudrait en effet « deux à trois fois plus d’inspecteurs sur le terrain », souffle, un peu lasse, Natacha Collot, magistrate référente environnement au tribunal judiciaire de Nancy. Ajoutez à cela que « contrairement aux autres polices, il n’existe pas d’astreinte ou de permanence, alors que les preuves d’une pollution ou d’un braconnage disparaissent en quelques heures, en raison de leur dilution ou dissimulation. » Les moyens matériels, quant à eux, ne sont guère plus fournis, depuis le manque de mallettes de tests et d’échantillonnage – « Il faut parfois faire deux heures de route pour aller chercher la mallette et la glacière de stockage et se rendre ensuite sur une pollution qui aura déjà disparu » – jusqu’aux pénuries d’encre au niveau national pour les timbres amendes permettant de verbaliser les contrevenants, en passant par des « infrastructures immobilières inadaptées aux auditions des mis en cause et au stockage du matériel ».

Un sentiment de surcontrôle…

Et puis, une fois sur les lieux du délit, il faut faire avec « toute une série de difficultés », observe Giovanni Prete, relatant par exemple des brèches dans la détection des produits phytos : « Contrairement aux herbicides qui se voient, parce qu’ils jaunissent l’herbe, les insecticides et fongicides sont invisibles ».

« Il arrive fréquemment que les outils de contrôle aillent eux-mêmes contre l’esprit du droit »

Léo Magnin

Faut-il alors se doter d’outils plus sophistiqués ? Pas sûr : « Il arrive fréquemment que les outils de contrôle aillent eux-mêmes contre l’esprit du droit », remarque Léo Magnin. Prenons le cas des haies, auxquelles il a consacré sa thèse soutenue en 2021 : depuis 2015, la « bonne condition agricole et environnementale n°7 » oblige tout agriculteur bénéficiaire des aides de la Politique Agricole Commune (PAC) à maintenir les haies présentes sur son exploitation. Trois ans passent et vient le temps des premiers contrôles, « mais en tenant seulement compte des haies numérisées, c’est-à-dire celles qui sont cartographiée comme telles ». Et pour les 32 % qui n’ont pas été numérisées3 ? « Alors même qu’elles apparaissent sur les photos utilisées pour calculer les aides PAC, elles n’existent pas au regard de la règle. De fait, elles échappent à la chaîne du contrôle. » Hélas, ces « passes du droit »4, au sens des trous dans la réglementation, sont d’après lui « monnaie courante ». Et d’ajouter : « On pense qu’en disposant d’outils informatiques précis – typiquement, la numérisation des haies – la règle aura plus de chances d’être appliquée et contrôlée. Or cela favorise tout au contraire les brèches et les contournements. » Reste tout de même une question : pourquoi, en dépit de ces innombrables failles, le sentiment d’un surcontrôle des mondes agricoles domine-t-il ? « Au-delà des jeux d’acteurs qui mettent en scène la souffrance des agriculteurs, victimes des intrusions de la police de l’environnement, il existe un foisonnement de règles peu lisibles et une foule d’autres acteurs auxquels ils sont susceptibles d’être confrontés, intuite Giovanni Prete. Ainsi, même si leurs chances d’être contrôlés par un agent de l’OFB ou de l’inspection du travail sont infimes, leur expérience de l’administration qui veille au grain n’est pas nulle. En clair, le contrôle effectif est certes faible, mais le sentiment de contrôle est fort. »

Une politique de l’incontrôlabilité

Allons plus loin : cette pénurie de moyens, si elle est une réalité pour nombre de services publics, ne constitue que la partie émergée de l’iceberg.C’est que l’essentiel ne se joue pas dans la cour de ferme, « dans le face-à-face entre un agriculteur et un inspecteur de l’environnement, arme à la ceinture. Il faut en effet sortir d’une vision erronée du contrôle en tant que rencontre asymétrique entre un État surpuissant et un agriculteur posé en victime isolée », avise Léo Magnin. Car, entre les deux mondes, se trouve une constellation de corps intermédiaires, véritables chevilles ouvrières de la profession agricole que sont les coopératives, les centres de gestion et de paiement, les chambres d’agriculture, les syndicats, les entreprises d’agrofournitures et d’agroalimentaire, etc. « Contrôler un agriculteur seul dans son champ, aux yeux de certains, c’est intolérable. Mais, si on dit que le contrôle porte sur la succession de maillons d’une même chaîne qu’est le secteur agricole, un monde structuré, avec des représentants politiques qui pèsent sur l’élaboration des lois et des entreprises d’amont et d’aval qui concentrent des capitaux colossaux, cela change la donne… Et pourtant, on parle exactement de la même chose : l’écologisation de l’agriculture. » Pourquoi ne pas mettre davantage au rapport ces structures, « qui font tout autant partie des mondes agricoles qu’un hectare de prairie » ? Quittons donc les champs, pour rejoindre les salons feutrés des plus hautes sphères de l’État. Car c’est bien à cette échelle que se concentrent les étonnements de Giovanni Prete, frappé de constater que l’élaboration des normes environnementales est rarement suivie de plans de contrôle à la hauteur des enjeux. Or, « quand on instaure le port obligatoire de la ceinture de sécurité, on sait d’avance qu’il y aura des policiers sur les routes ». Alors pourquoi pas dans les milieux naturels ? C’est que « la contrôlabilité d’une règle est un enjeu de négociation politique », analyse le chercheur. Exemple avec les discussions entourant les limitations des Zones de Non Traitement (ZNT)5, qu’il a pu consulter : « Si je caricature, vous avez d’un côté le ministère de l’Environnement qui souhaite une règle claire, moins maximaliste, mais qu’il sera possible de contrôler, disons dix mètres pour tout le monde ; de l’autre le ministère de l’Agriculture et les syndicats agricoles qui proposent de diminuer cette distance en fonction de la nature des produits, des pulvérisateurs ou encore de la présence de haies. Résultat, agriculteurs et inspecteurs ne savent plus vraiment quoi appliquer ni surveiller. C’est un peu comme si les limitations de vitesse changeaient en fonction de la nature des routes, de leur pente, etc. Le droit devient très complexe, difficilement applicable et contrôlable. Dès lors, à force d’édicter des règles pleines d’exceptions, stratégiquement motivées par l’impératif de tenir compte de la réalité des mondes agricoles, on érige un système dérogatoire par nature. C’est pourquoi j’aurais tendance à parler de politique de l’incontrôlabilité, dans le sens où celle-ci semble presque organisée. »

Des sanctions à la peine

Police environnement © Tartrais 2023

Contrôler c’est une chose, sanctionner c’en est une autre. Et, dans les prétoires, les chiffres font grise mine : en 2020, les statistiques du ministère de la Justice recensaient que les atteintes à la nature ne faisaient l’objet de poursuites que dans 21 % des cas. Un rapport de la Cour de cassation sur le traitement pénal du contentieux de l’environnement (2022), dirigé par François Molins, entre plus dans le détail : celui-ci ne représenterait aujourd’hui qu’entre 0,5 et 1 % des affaires traitées… Et lorsqu’elles sont jugées, les infractions environnementales tombent à 75 % sous le coup de mesures alternatives, entre rappels à la loi et classements sans suite. Quant aux sanctions administratives, le bilan n’est pas plus lourd : en cas d’arrêtés de mise en demeure prononcés par les préfets, seuls 10 % sont effectivement suivis d’une sanction, telle qu’une consignation, une astreinte ou une amende, d’ailleurs pas toujours dissuasive6 (lire « La DREAL passe l’inspection »). Vous décrochez ? Normal, l’affaire est complexe. Mais, pour ne pas vous perdre en route, un détour par le fonctionnement de la police de l’environnement s’impose. En bref, le contrôle peut être judiciaire ou administratif et donc relever de l’autorité du procureur de la République ou du préfet qui décideront des suites à donner : d’une part, enquête et/ou poursuites pénales en cas de d’infraction ; d’autre part, si une non-conformité avec la réglementation est débusquée, le préfet édicte une mise en demeure enjoignant le coupable de régulariser sa situation, le plus souvent en réalisant des travaux ou une remise en état des milieux pollués ou détruits. Attention car, même dans le cadre d’un contrôle administratif, toute suspicion de crime ou de délit doit être signalée sans délai au procureur7. Si la mécanique semble bien huilée, des grains de sable viennent toutefois gripper ses rouages.

Une justice de niche…

Natacha Collot © Gilles Sire 2023

La substitute du procureur, Natacha Collot, y revient par le menu : « Pour une justice environnementale efficace, il faut des magistrats spécialisés et compétents qui disposent de dossiers à juger et de temps à y consacrer. » Mais, à tous les étages, des failles, des manques et des trous béants : côté personnels tout d’abord, « la spécialisation des magistrats est volontaire, individuelle et aucunement encouragée ; le contentieux de l’environnement reste en effet perçu comme une niche dont on nie la technicité et l’utilité ». Une fois le statut de « magistrat référent environnement » décroché, c’est le temps qui manque à l’appel : « Il n’existe aucun magistrat en France qui accorde à la lutte contre les atteintes à l’environnement un temps plein. Personnellement, je dispose de moins d’une demi-journée par semaine à y consacrer. » Chose plus étonnante enfin, la nature des dossiers, qui n’inquiète manifestement pas tout le monde de la même manière : « Je suis principalement saisie d’infractions commises par des particuliers ; pollutions accidentelles, dépôts de déchets aux mauvais endroits, coupes d’arbres en forêts privées, etc. Elles sont importantes et méritent sanction mais le spectre reste limité aux situations individuelles. Ce sont des actes ponctuels, dans des vies de citoyens ordinaires. Je suis en revanche plus rarement saisie d’infractions commises par des exploitants agricoles ; pollutions par le lisier, abattages d’animaux hors cadre, destruction de haies, usage de produits phytosanitaires interdits, etc. Enfin, je ne suis jamais saisie d’infractions perpétrées par les industries. Pourtant, leur champ est très vaste, depuis de simples contraventions jusqu’à de sérieux délits : pollutions diffuses et graves, dépassement des seuils de stockage, travaux avec destruction d’habitats d’espèces protégées, sans études d’impact préalables ni mesures de compensation, etc. »

… et à deux vitesses

Le plus grand étonnement de la magistrate ? « La gravité de certains faits, commis parfois depuis longtemps, sans que la justice n’ait jamais été saisie. Cela remet en cause l’indépendance de la justice et l’égalité des citoyens face à la loi ; deux piliers de notre démocratie. Dès lors, les sentiments d’injustice et d’inégalité qui irriguent toute la société sont encore plus palpables s’agissant des grandes industries – usines agroalimentaires rejetant des eaux usées, entreprises chimiques polluantes en tout genre, etc. Des citoyens ordinaires se sentent oppressés par la loi, tandis qu’elle est permissive pour les plus grands acteurs de l’économie qui commettent des atteintes à l’environnement pour économiser des coûts ou maximiser des profits. »Comment en est-on arrivé là ? C’est que les affaires industrielles sont soumises au contrôle des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), chasses gardées des préfets. Or, entre les préfets et les procureurs, explique Léo Magnin, « il y a de fait une concurrence d’intérêts généraux divergents » : tandis que les premiers sont chargés d’appliquer la politique du gouvernement dans son ensemble, les seconds veillent au respect de la loi. Et, en pratique, le maintien de l’ordre public auquel travaillent les préfets peut être troublé par l’application du droit de l’environnement par les procureurs. Ainsi, comme l’exprimait le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, dans un entretien accordé à L’Obs, « il peut y avoir des priorisations d’intérêts économiques ou de préservation de l’emploi qui peuvent aboutir à mettre la préservation de l’environnement au second plan. » Faut-il alors privilégier la voie judiciaire ? « Ce n’est pas net, commente Léo Magnin, car la voie administrative permet une remise en état des milieux que ne permet pas forcément le judicaire, dont les procédures sont longues et les issues incertaines. » À ce stade, deux positions majoritaires semblent toutefois se dégager : là où certains, à l’instar de F. Molins, plaident pour l’instauration « d’une autorité administrative indépendante qui serait chargée du contrôle et du suivi de la sanction », d’autres, comme Loïc Obled, directeur général délégué « police, connaissance, expertise » de l’OFB (lire « Gros plan sur l’OFB »), sont plutôt en faveur d’une meilleure articulation entre contrôles administratifs et procédures judiciaires.

Force de loi…

« l’application de la loi serait déjà une belle avancée »

Natacha Collot

Depuis les corps d’inspection sur le terrain jusqu’aux parquets et préfectures, un vaste chantier est donc à mener. Mais une chose est sûre, tranche Natacha Collot, « l’application de la loi serait déjà une belle avancée ». Car nous disposons pour cela d’un arsenal solide : « Les peines pour les délits environnementaux sont très sévères : pour une atteinte à une espèce protégée, le délinquant risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement et cela nous autorise à faire des perquisitions à son insu. Et puis, des amendes de plus en plus élevées sont prononcées, avec par exemple 475 000 euros contre Nestlé l’an passé à Charleville-Mezières ou 450 000 euros contre la SNCF à Angers, cet été. En clair, si nous utilisons la loi telle qu’elle existe, il est possible de sanctionner les atteintes à l’environnement commises par les activités les plus polluantes et destructrices. » Même tonalité chez Giovanni Prete, regrettant « que l’on soit toujours en train de dire qu’il nous faut créer de nouvelles règles, alors que leur mise en œuvre reste assez peu questionnée. Or, si on appliquait le droit tel qu’il est écrit, et si on prenait au sérieux le contrôle des activités, cela changerait déjà clairement la donne ».

La DREAL passe l’inspection

Depuis les installations de stockage de déchets jusqu’aux usines dites « Seveso », en passant par les exploitations agricoles, les « Installations Classées pour la Protection de l’Environnement » (ICPE) sont plus de 500 000 à mailler le territoire français. Elles peuvent avoir de graves impacts – pollutions en tout genre – et présenter des dangers – incendies, explosions… – sur l’environnement et les riverains qui les avoisinent. Leur contrôle est assuré par les inspecteurs de l’environnement des Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL), placés sous l’autorité des préfets de département.

Contrôle d’identité d’un corps de police singulier, avec un de ses responsables pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Alexandre Lion : « Nous avons un rôle de définition et de contrôle de la réglementation environnementale pour ce qui concerne la création, le suivi et la prévention des nuisances chroniques ou des risques accidentels des sites industriels. En clair, nous nous assurons que les intérêts publics, environnementaux et sanitaires sont préservés. Chaque installation est classée selon son potentiel de nuisance et de danger : plus il est important, plus l’encadrement réglementaire et les contrôles le seront, selon un principe de hiérarchisation. En région PACA, cela représente en moyenne 1 300 inspections par an, pour l’équivalent d’environ soixante-cinq inspecteurs. En cas de non-conformité ? L’étape obligatoire c’est de procéder à une mise en demeure, une sorte de rappel à l’exploitant de ses obligations, avec un délai pour qu’il se remette en conformité. Dans le cas où cette mise en demeure ne serait pas respectée, nous proposons des sanctions administratives : amende et astreinte administratives, consignation de sommes, etc. ; en dernier recours, fermeture ou suppression de l’installation. Mais c’est le préfet qui acte les suites à donner à nos propositions de sanctions. Or, celui-ci peut être amené à prendre une décision en arbitrant des enjeux liés non seulement à des considérations environnementales mais aussi d’autres paramètres, tels que des enjeux économiques, politiques ou encore médiatiques…. En revanche, je ne partage pas les critiques qui nous sont parfois adressées, comme un éventuel manque d’indépendance : jamais je n’ai eu de consignes orientées quant à ce que je devais regarder ou pas. Je conçois qu’on puisse s’émouvoir du montant de certaines sanctions : quand on inflige une amende de 15 000 euros – le maximum réglementaire au niveau administratif en matière d’ICPE – à une société pour une infraction lui aura fait gagner des millions, on peut en effet s’interroger. Mais il ne faut pas oublier le préjudice d’image que la médiatisation d’une sanction peut faire porter à l’exploitant, dans la mesure où tous nos rapports d’inspection sont accessibles sur le site “Géorisques”. Des sanctions pénales peuvent en outre être prononcées, suite à notre action8 , avec des peines significatives, même si on peut parfois connaître des frustrations quand on adresse un procès-verbal au parquet qui ne donnera pas suite, par manque de moyens pour instruire l’affaire par exemple. Mais, globalement, ce type de situation reste marginal et j’estime que le système fonctionne plutôt bien. »

Gros plan sur l’OFB

L’Office Français de la Biodiversité naît en 2020 de la fusion de l’Agence Française pour la Biodiversité, principalement héritière de l’Office National de l’Eau et des Milieux Aquatiques (ONEMA), et de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage (ONCFS). Sous la double tutelle des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, elle a la lourde tâche de s’assurer du respect du code de l’environnement sur tout le territoire. Loïc Obled, directeur général délégué « police, connaissance, expertise », en détaille les missions et, surtout, les défis qui restent à relever : « En matière de police, nous intervenons aussi bien dans le cadre de contrôles administratifs que de procédures judiciaires, et ce avec un pouvoir d’enquête important – l’exercice de la contrainte en moins. Au fil des évolutions législatives, nos pouvoirs et nos champs d’intervention se sont élargis, tout en comptant sur les effectifs dont nous disposions déjà et qui venaient principalement de l’Onema et de l’ONCFS. Cela ne s’est pas fait sans heurt, car les inspecteurs ont vu leurs publics évoluer : en passant par exemple de garde-pêche à policiers de l’eau, les pêcheurs qu’ils contrôlaient auparavant ont laissé place à des cibles plus organisées, aménageurs ou professions agricoles. Forcément, le consentement à la police n’était pas le même et cela a pu provoquer de fortes tensions qui ont marqué l’établissement. Ainsi, concernant la profession agricole, elle est tout de même soumise à beaucoup de pressions contradictoires : tandis qu’on investit les agriculteurs d’une mission très importante, “nourrir la France”, on remet en cause le modèle dominant de production. Dans ce cadre, la moindre intervention peut prendre des proportions dramatiques, se répandre comme une traînée de poudre et occasionner des craintes dépassant l’enjeu réel. C’est pourquoi il nous faut travailler à mieux faire connaître la police de l’environnement, ses enjeux et priorités de contrôle – qui reposent sur les travaux de l’IPBES9. Avec les ministères, nous planchons justement sur l’élaboration d’une “stratégie nationale de contrôles” qui définisse clairement ces deux pans. La nouveauté serait qu’elle soit également signée par les ministères de l’Intérieur et de la Justice, en espérant que cela aboutisse à un meilleur consentement à la police de l’environnement. Reste également à travailler sur les impacts : quand on mobilise nos inspecteurs sur telle thématique, qu’est-ce qu’on sauve dans les milieux ? En clair, penser la police de l’environnement en amont, mais aussi en aval, avec une meilleure connaissance des pressions qu’elle prévient sur la biodiversité. »

  1. Bruno Cinotti et Anne Dufour, Protection des points d’eau. Évaluation de la mise en œuvre de l’arrêté du 4 mai 2017, Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), Paris, 2019.
  2. Thomas Debril, Sylvain Barone, Alexandre Gaudin, « Les trajectoires négociées de l’infraction environnementale : le cas des usages agricoles de l’eau », dans D. Leenhardt, M. Voltz, O. Barreteau, L’eau en milieu agricole, éditions Quae, p.89-101, 2020, 9782759231232.
  3. Afac-Agroforesteries et L. Magnin, Bilan d’application de la BCAE7 en France et propositions d’amélioration dans le cadre de la nouvelle PAC, Paris, 2021.
  4. J.P. Le Bouhris et P. Lascoumes, « Des passe-droits aux passes du droit. La mise en œuvre sociojuridique de l’action publique », Droit et société n° 32 (1), 51-73, 1996.
  5. Les ZNT sont les distances de sécurité à respecter pour les traitements phytopharmaceutiques à proximité des habitations, des lieux hébergeant des personnes vulnérables ou fréquentés par des travailleurs et des cours d’eau.
  6. https://igedd.documentation.developpement-durable.gouv.fr/documents/Affaires-0009850/011110-01_rapport-publie.pdf
  7. C’est ce que prévoit l’article 40 du code de procédure pénale : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1. Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »
  8. Toujours en vertu de l’article 40 du code de procédure pénal, cité plus haut.
  9. Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

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