Publié le 16 novembre 2020 |
16Pourquoi l’usage de produits phytosanitaires augmente-t-il en France ?
Par Yves Guy, ingénieur agronome, et Pierre Guy, retraité INRAE
Quelques centaines de millions d’euros de subventions en faveur de l’agroécologie chaque année, des conversions à l’agriculture biologique à un rythme jamais connu en France… et pourtant l’usage agricole de produits phytosanitaires ne baisse pas, voire il augmente ! Pourquoi ce paradoxe ?
Les médias, parfois avec une certaine animosité, incriminent souvent de puissants lobbys ou la bêtise humaine. Sans nier l’existence des uns (ni de l’autre), cet article vient pointer quelques causes ordinaires et moins polémiques. Toutefois, leur cumul et leurs interactions dessinent un panorama complexe. Précision importante pour le débat, il n’est pas besoin de connaissances approfondies pour juger tel ou tel argument de ce texte. Les sources citées sont en accès libre, de préférence d’origine institutionnelle et en français.
Moins de surfaces agricoles mais davantage de grandes cultures
En France, la surface agricole utilisée (SAU) a tendance à diminuer1. Les agriculteurs ne devraient-ils pas, en conséquence, avoir besoin de moins d’intrants ?
La baisse de SAU de 2000 à 2019 s’accompagne d’une réduction équivalente des surfaces de jachères2. Or celles-ci ont été remplacées principalement par des cultures de vente. En effet, les surfaces en herbe ont fortement baissé ces dernières décennies3, au profit notamment des céréales4 (source : Agreste-SAA). Les surfaces usuellement traitées ont donc augmenté de plus de 600 000 hectares, sous le double effet de la remise en culture de jachères, dans le cadre de la Politique agricole commune, et du retournement de prairies en lien avec la baisse des élevages. Même avec le meilleur savoir-faire du monde5, même en agriculture biologique6, un blé a plus souvent besoin d’être traité que de l’herbe.
Extension géographique de pratiques phytosanitaires
La hausse régulière des rendements, principalement depuis les années 1950, semble enrayée depuis la fin des années 1990, tout au moins pour le blé 7. Arvalis-Institut du végétal a pu montrer au champ8 cet affaiblissement du gain pour le blé et, à moindre titre, pour l’orge. Le changement climatique en est la principale explication. On ne devrait donc plus voir augmenter le besoin de traitements supplémentaires liés au rendement, puisqu’il n’y a plus de « quintal supplémentaire » à espérer sur blé au-delà du plafond déjà atteint.
Mais pour ce qui est de la France entière, il est plus complexe de conclure. D’une part, selon les régions, ou les cultures, le changement climatique peut avoir un effet favorable. Par exemple, dans le Nord de la France, le maïs ou la betterave peuvent tirer bénéfice d’été plus chauds. D’autre part, la généralisation9 du triptyque colza-blé-orge à des régions autrefois diversifiées, comme en périphérie du Bassin parisien, conduit à cultiver davantage pour la vente, là où l’on faisait de l’herbe ou des céréales à moindre valeur économique (fourrages), moins traitées. De plus, au sein des greniers historiques, le calcul économique a pu inciter à semer blés sur blé10 ou à remplacer la rotation traditionnelle par une simple alternance de blé avec une autre culture. Or ces pratiques sont impossibles sans un surplus de produits phytosanitaires. Même si le rendement plafonne dans les meilleurs terroirs, la surface consacrée à des cultures exigeantes en phytosanitaires s’est donc accrue par endroits.
La pression des acheteurs
Le revenu des agriculteurs dépend essentiellement du marché. Pour un chiffre d’affaires de la « ferme France » d’environ 77 milliards d’euros en 2019, 9,4 milliards d’euros, soit 12 %, proviennent de fonds publics11. C’est lorsqu’un risque de pénurie apparaît, ou dans certaines filières où l’offre est très structurée comme les Appellations d’Origine Protégée (AOP), que les producteurs parviennent à vendre au-dessus de leur coût de production12. Habituellement, en France, l’aval ou l’amont captent ainsi par des échanges commerciaux déséquilibrés une partie des aides publiques versées aux agriculteurs. Le pouvoir du marché est tel que de nombreuses exploitations ne parviennent même pas à conserver un revenu égal au montant de ces aides.
Le développement du libre-service a été particulièrement rapide en France de 1960 à 1990. Depuis, les Grandes et Moyennes Surfaces (GMS) restent de très loin le mode de distribution dominant des fruits et légumes à destination des ménages13. Or, un effet direct de la vente en supermarché, et en libre-service de façon plus générale, sur la production agricole est l’exigence portant sur l’apparence des produits, qui doivent être homogènes et sans défaut visible. Cela impose au producteur de traiter avant même de constater un problème. Du savoir-faire et des moyens (conseils, station météo proche…) permettent d’attendre le seuil de nuisibilité pour traiter mais c’est une prise de risque que de ne pas traiter. Or la prise de risque n’est actuellement partagée ni par le supermarché ni par le transporteur, sauf en bio. C’est ainsi que la majorité des fruits et des légumes achetés par les Français transite dans une chaîne qui valorise ordinairement le traitement systématique des cultures.
Les normes commerciales nuisent aussi à la valorisation des céréales peu traitées. Les principaux acheteurs exigent « zéro insecte vivant » dans le grain livré. Même si les volumes de grains non traités après récolte s’accroissent rapidement, cette norme n’est pas un détail car 95 % des résidus de pesticides trouvés dans les produits issus de céréales proviennent de pesticides de stockage.
Même l’engouement pour les produits bio ne contrebalance pas l’effet dominant et prophytosanitaire de la clientèle : en 2019, les ménages français achetaient un peu plus de 6 % de leurs denrées sous le signe du bio14. Aujourd’hui, les Français consomment donc à plus de 90 % des aliments non bio.
« L’âge du capitaine » joue sur la marche de l’exploitation
L’usage des phytosanitaires structure à tel point les exploitations agricoles d’aujourd’hui que l’on parle de « dépendance ». Pourquoi, puisque les phytosanitaires sont de simples consommables, en rien comparables à de l’investissement et ne sont pas non plus des stupéfiants ?
La démographie agricole fait que chaque année, structurellement, le nombre d’agriculteurs diminue15. Moins de bras pour (presque) autant de surface à cultiver : il faut des outils qui travaillent plus vite. Or le pulvérisateur va dix à vingt fois plus vite qu’une charrue ou qu’une bineuse.
La dépendance au pulvérisateur et aux produits phytosanitaires rend en partie compte du rapport entre le nombre d’agriculteurs disponibles et la surface cultivée. L’usage de phytosanitaires reflète donc une organisation de l’exploitation relativement rigide.
Le vieillissement des chefs d’exploitation a d’autres effets sur la possibilité d’opter ou non pour une démarche de baisse des usages de phytosanitaires.
Arrivés à l’âge de la retraite, beaucoup de chefs d’exploitation n’ont pas de repreneur familial. Les terres exploitées sont alors souvent partagées entre les voisins. Dans ce cas, le corps de ferme et le matériel vétuste dont les voisins n’ont pas besoin restent au retraité sans vraiment rapporter. Cela n’incite pas, quelques années avant la retraite16, à acheter une bineuse ou à moderniser son matériel !
Une autre option est de créer avec un voisin une société permettant de céder l’ensemble des moyens de production. Cette option permet au futur retraité de mieux valoriser son exploitation. Le repreneur obtient un ensemble cohérent et s’évite une éventuelle opposition préfectorale17. Dans ce cas, la baisse du temps disponible par hectare exploité conduira le repreneur à travailler plus vite.
Une troisième option est, pour le futur retraité,… de ne pas demander le bénéfice de sa retraite et de rester l’exploitant en titre. La retraite agricole est, de notoriété publique, très basse18. Pour un agriculteur céréalier, il est envisageable de contractualiser l’entretien de ses terres avec un voisin ou une entreprise agricole19, tout en conservant le bénéfice des aides publiques (PAC). Si la surface déclarée à la PAC est suffisante, l’opération peut être rentable pour « l’exploitant » en titre, tandis que l’exploitant de fait a la possibilité d’amortir ses charges fixes sur davantage de productions. Même si, juridiquement, il reste une exploitation agricole en place, celle-ci est devenue virtuelle. Celui qui cultivera réellement les terres, cherchant à couvrir simplement ses frais, n’aura pas d’autre intérêt que de maximiser le ratio produit/charge. Ne bénéficiant pas des aides de la PAC, il n’envisagera bien sûr aucune intervention de type Mesure Agro Environnementale ou Climatique (MAEC).
Une quatrième approche, cumulable avec la précédente, peut intéresser un agriculteur lorsqu’une partie des terres qu’il exploite, en propriété ou en fermage, a quelques chances de devenir constructible. L’agriculteur en place a intérêt à reporter sa demande de retraite s’il veut bénéficier du maximum de plus-value foncière lors du passage de terre agricole à celle de terrain à bâtir. Une bonne terre à blé vaut un à deux euros par mètre carré. Un terrain à bâtir vaut de 100 € à 1000 €/m² à proximité des villes. La vente d’un seul hectare en terrain à bâtir peut donc générer de l’ordre d’un million d’euros de recette, soit l’équivalent de plus de cent années de retraite agricole de base.
Du côté des plus jeunes, le défi n’est pas simple à relever non plus. Depuis 2014, le coût d’une reprise d’exploitation n’a cessé de s’accroître, alors que les incertitudes économiques et météorologiques sont plus fortes aujourd’hui. L’abaissement des barrières tarifaires aux frontières de l’Union et le changement climatique contribueront sans doute encore longtemps à ces aléas. Il paraît alors raisonnable, pour un jeune, endetté au maximum de ses capacités pendant des années, d’éviter des risques techniques et économiques supplémentaires tant que son encours bancaire n’aura pas sensiblement diminué.
Le progrès technique à la peine
Il ne fait pas de doute que les produits phytosanitaires sont dangereux, a minima pour l’environnement sinon directement pour l’homme. Ils sont fabriqués pour tuer ou perturber la biologie d’une cible vivante. Ces informations sont explicites sur les étiquettes. L’intérêt de leur usage doit venir du fait que, s’ils sont potentiellement dangereux, les conditions de leur utilisation permettent de limiter le risque (pour l’homme ou l’environnement) à un niveau acceptable au regard du bénéfice apporté (produire davantage de nourriture par exemple).
La principale cause de retrait de la vente d’un produit phytosanitaire est donc légitimement le fait que sa présence est constatée dans des milieux où il ne devrait pas se trouver : ressources en eau, diffusion dans la chaîne trophique… Cependant le rythme de retrait des produits phytosanitaires n’est plus lié à leur remplacement par un produit qui serait plus efficace et présenterait moins de risques. Des molécules ont été retirées de la vente sans alternatives durables connues – que ce soit du point de vue économique, social ou environnemental. Le cas des néonicotinoïdes sur la betterave l’a montré récemment : leur retrait n’a pas réduit cette année l’usage de phytosanitaires sur la culture. Une hausse de l’usage des produits qui restent autorisés s’est ensuivie, avec une moindre efficacité.
La diminution du nombre de molécules autorisées (par exemple pour désherber des graminées courantes comme le ray-grass ou le vulpin) a favorisé l’apparition de résistances. Parallèlement, les techniques qui permettraient d’accélérer la sélection variétale des cultures (notamment les interventions sur le génome) sont fortement restreintes en Europe. Les chercheurs au sein de l’Union doivent se passer d’un outil performant, qui intéresse de nombreux marchés dans le monde.
Ajoutons que la recherche est plus complexe, sur le biocontrôle par exemple, qu’elle ne l’est en chimie de synthèse et que le biocontrôle n’intéresse qu’une fraction du marché mondial. Force est alors de constater qu’il est demandé à la recherche d’aller plus vite, pour compenser des retraits accélérés de moyens phytosanitaires indésirables, tout en travaillant des sujets plus difficiles, en ordre dispersé à l’échelle mondiale, sans utiliser tous les outils de recherche connus.
Le temps pour faire
In fine, il n’apparaît pas de réponse simple ni même principale à la question : « Pourquoi l’usage de produits phytosanitaires augmente-t-il ? » En revanche, de nombreux freins, voire des blocages, limitent l’extension de pratiques à faible usage de phytosanitaires.
Tout d’abord, la demande économique adressée à l’agriculture reste très majoritairement celle de produits traités, ce qui paraît quelque peu schizophrène20 au regard des débats de société actuels.
Compte tenu du poids déterminant du commerce dans l’orientation de l’agriculture, les aides publiques à des pratiques vertueuses ne peuvent pas avoir d’effet massif tant que le marché ne valorise pas lui-même massivement les pratiques vertueuses du point de vue environnemental. Ainsi, les 2,3 millions d’hectares et 8,5 % de surfaces agricoles biologiques en France constituent une réponse globalement adaptée à la demande actuelle, compte tenu des rendements moindres en agriculture biologique. La demande pour 20 % ou 50 % de produits biologiques ne s’exprime pas encore. De ce fait, même si les conditions de passage à l’agriculture biologique sont maintenant bien connues dans presque toutes les productions, l’adoption de ces pratiques ne peut pas être générale.
La démographie agricole contribue en outre à limiter la proportion d’exploitations à même de s’impliquer dans des pratiques risquées (MAEC notamment) ou nécessitant d’investir (achat de bineuse, de matériel de pulvérisation économe). Peu nombreux probablement sont les chefs d’exploitations agricoles qui disposent du matériel adéquat pour réduire l’usage de phytosanitaires en même temps que d’une reconnaissance économique de leur effort par le consommateur, le contribuable ou un futur repreneur, tout en bénéficiant d’une trésorerie et d’un endettement permettant à la fois d’investir et de faire face à davantage d’aléas.
La recherche, quant à elle, progresse avec difficulté au rythme non seulement des retraits de molécules phytosanitaires mais aussi à celui des demandes économiques, réglementaires ou sociétales. Nous avons sans doute collectivement sous-estimé les moyens et les délais de recherche nécessaires pour atteindre l’objectif de réduction de l’usage des pesticides. En particulier, privilégier l’interdiction de molécules plutôt que la réduction des usages semble une erreur de stratégie. Reconnaître nos limites n’interdit pas d’agir utilement.
- Perte de 920 000 ha entre 2000 et 2019.
- Diminution de 944 000 ha entre 2000 et 2019.
- Baisse de plus de 500 000 ha de la surface de prairies entre 2000 et 2019, dont 471 000 ha de prairies permanentes (STH).
- Augmentation de 370 000 ha entre 2000 et 2019.
- https://agriculture.gouv.fr/lagriculture-francaise-primee-modele-le-plus-durable-du-monde
- Les produits phytosanitaires autorisés en agriculture biologique sont généralement moins efficaces que les produits de synthèse, ce qui peut amener à traiter à plusieurs reprises. En conduite classique, un seul traitement serait appliqué.
- https://www.academie-agriculture.fr/publications/encyclopedie/reperes/evolution-du-rendement-moyen-annuel-du-ble-france-entiere-de-1815
- https://www.arvalis-infos.fr/une-evolution-des-rendements-differente-selon-les-especes-@/view-20322-arvarticle.html
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/3579442
- En 2011, en Normandie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Île-de-France, 15 % des surfaces de blé tendre étaient semées après un blé et jusqu’à 50 % en Haute-Normandie. Source : Agreste, enquête « Pratiques culturales », 2011.
- https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/Dos2002/detail/
- Voir : https://www.agriculture-strategies.eu/2019/01/ameliorer-le-pouvoir-de-marche-des-producteurs-quelles-perspectives-pour-la-pac-post-2020/ et le dossier du Sénat : https://www.senat.fr/rap/r19-649/r19-649.html
- 70 % des achats alimentaires des ménages en 2019 sont faits en GMS : http://www.fcd.fr/media/filer_public/92/ed/92edf312-5d30-4e09-80c7-191bde873ca3/evolutions_du_commerce_et_de_la_distribution_-_faits_et_chiffres_2019-_fcd.pdf
- https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/
- Diminution de 1,5 % en 2019. Source : Agreste.
- En 2013, l’âge moyen des chefs d’exploitation et coexploitants en France métropolitaine était de cinquante et un ans et 38 % des actifs dirigeants avaient cinquante-cinq ans ou plus. Source Agreste.
- L’article L331-2 du Code rural et de la pêche maritime prévoit une autorisation préfectorale préalable à certains agrandissements d’exploitation agricole.
- Les anciens agriculteurs (non salariés) touchent en 2019 en moyenne 393 euros par mois de pension de base. Ce montant atteint 763 euros pour une carrière complète (au moins 150 trimestres validés), source MSA.
- https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/NESE47A2/detail/
- https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/disaron/NESE47A1/detail/
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Question iconoclaste que personne ni en conventionnel ni en bio ne se pose : pourquoi la ferme France s’entête-t-elle à vouloir nourrir le monde entier ?… Bon je comprends que ce soit un peu radical et que notre fameuse balance commerciale en prendrait un coup, mais on pourrait tout de même y réfléchir d’autant plus que le tiers de la production agricole part chaque année à la poubelle…
A vrai dire la ferme France ne s’entête même pas à nourrir le monde entier. Certes elle exporte beaucoup de céréales (environ 20 millions de tonnes par an) mais elle en consomme 41 millions de tonnes, dont 78% servent à nourrir nos porcs, nos volailles et même nos vaches. Deux scénarios pour 2050 : Afterres 2050 (Solagro) et TYFA (IDDRI) montrent qu’on pourrait maintenir nos exportations tout en ramenant les rendements moyens en blé de 75 à 45 qx/ha à une condition… diviser par deux notre consommation de viande, ce qui serait excellent pour l’environnement et pour notre santé.
Bon article, en effet, mais j’aimerais y ajouter des causes liées aux techniques de l’agriculture d’aujourd’hui. D’abord la fertilisation : l’excès d’azote favorise fortement les attaques et la multiplication des ravageurs (voir mon dernier livre « les apprentis sorciers de l’azote », désolé d’en profiter pour cette pub…), et la quasi absence de fertilisation organique empêche la microflore du sol de limiter les champignons pathogènes (sols suppressifs) ; ensuite la perte de biodiversité, qui réduit considérablement la présence d’auxiliaires, la disparition des mélanges de variétés ou d’espèces de céréales (méteil), mélanges qui réduisent le développement des fusarium et autres champignons pathogènes, une sélection variétale axée sur le rendement, toutes choses qui perturbent la capacité des plantes à mettre en œuvre les moyens dont elles disposent pour combattre les envahisseurs (immunité des plantes), des rotations courtes qui rendent les herbicides incontournables (les agriculteurs bio savent que, en grande culture, même avec les meilleures bineuses, il ne peuvent pas contrôler les adventices sans une rotation longue incluant des prairies temporaires). Si l’on ne s’attaque pas à ces causes profondes, on restera dépendant des pesticides, et remplacer la lutte chimique par la lutte biologique n’est qu’une solution très partielle. Alors, convaincre les agriculteurs de modifier profondément leurs techniques ? C’est possible comme l’ont montré certaines exploitations du programme DEPHY, mais il faut y mettre les moyens.
Le pire est que la résistance (réelle) aux pathogènes ne limite pas systématiquement les rendements, comme j’en ai témoigné dans mon commentaire du 11 janvier.
PS : Êtes-vous l’auteur des livres qui ont ouvert l’esprit de tant de jeunes de ma génération (années septante) ? Si oui Merci, simplement merci.
Oui, c’est bien moi, et merci pour votre commentaire
L’article énonce beaucoup de vérités incontestables, mais me gêne un peu:
– il ne met pas en perspective la réduction de l’emploi des phytosanitaires avec l’enjeu, qui est ni plus ni moins la santé du consommateur, du riverain … et de l’écosystème. Trouver de nombreuses explications au fait que rien ne change revient en fait à considérer comme inéluctable la dégradation de la situation.
– les seules solutions affichées comme réellement envisageables relèvent de l’évolution des molécules chimiques. On n’en sortira donc jamais?
– le rôle de l’amont et de l’aval de l’exploitation est évoqué mais sous-estimé. Lorsqu’un même opérateur fournit les semences, les intrants, achète les produits et fixe le calendrier de traitement, comment imaginer que la science agronomique peut conserver une place, même toute petite?
Article très intéressant. Au-delà des freins techniques et économiques, qui sont réels et de taille, n’avez-vous pas oublié le frein « psychologique », culturel ? Une forme de résistance au changement ? j’ai pour ma part échangé avec des responsables de collectifs (dans la viticulture) qui m’ont expliqué qu’ils envisageaient de recruter un psychologue / coach, appelez-ça comme vous voulez, mais un accompagnateur de transition, comme ça se fait dans certaines entreprises… Aussi pour face au changement climatique, et à l’urgence que cela représente.
Bonjour,
Merci à messieurs Guy pour leur excellente analyse. Une autre question en découle « Pourquoi l’usage de produits phytosanitaires ne diminue-t-il pas en France ? » et je me permets d’apporter une petite pierre.
Les pommes de terre sont menacées par le mildiou (causé par Phytophthora infestans) et la majorité des superficies cultivées reçoivent une protection chimique afin de terminer leur cycle végétatif.
Régulièrement apparaissent sur le marché des cultivars dotés d’un gène de résistance mais l’agent destructeur mute très facilement et contourne rapidement la barrière.
Depuis plus de dix ans est autorisé à la vente un cultivar qui serait doté de cinq gènes de résistance selon le document joint (1,62 Mo) 06_12_Tomaczynska.pdf.
Si cette pomme de terre ne répond pas à toutes les contraintes de culture ou de marché actuelles, pourquoi n’a-t on pas cherché à la croiser avec d’autres afin d’obtenir de nouveaux cultivars alliant l’adaptation à ces contraintes avec la résistance à l’oomycète ?
C’est la question que je pose à l’INRAE et la réponse pourrait intéresser de nombreuses personnes.
Je peux témoigner en cultiver depuis 2011 sur un terrain très favorable au mildiou (exposition à l’ubac où le soleil n’arrive pas avant Midi, et à proximité d’une rivière qui humidifie la végétation dès la tombée de la nuit). Les autres cultivars étaient grillés avant mi-juillet par le mildiou mais ‘Sarpo Mira’ reste verte jusqu’à défanage ou gel.
Puis-je ajouter que je n’ai pas racheté de semence sélectionnée de ce cultivar depuis 2012 ? Je ne vois toujours aucun virus sur les feuilles et j’ai déjà mis de côté les plants pour la culture qui sera de “dixième feuille” en 2021. J’espère que l’exceptionnelle résistance aux virus de cette obtention n’est pas la motivation pour refuser d’en faire la promotion ou même de réutiliser son génome.
Il est possible que mes plants soient porteurs d’un virus ne se manifestant pas sur le feuillage mais je récolte environ quatre kilogrammes par mètre carré (équivalent à quarante tonnes par hectare) ; dans un sol d’arène granitique sans aucun apport de fumure minérale ni organique, simplement des engrais verts dans une rotation légumière. Malgré l’ombrage de l’exposition, les températures estivales dépassent l’optimum pour l’espèce et ce niveau de production me semble bon.
Pour ce que j’ai vu autour de moi, ‘Sarpo Mira’ réagit aux fortes fumures azotées par l’amertume mais, à l’ère de la “chasse aux nitrates”, une telle contrainte est un atout. Elle est présentée par l’organisme chargé de sa promotion (Sarvary research trust) comme économe en azote et en eau. Consultez http://sarpo.co.uk/
‘Sarpo Mira’ nécessite une pré germination car sa dormance est très accentuée, mais une conservation sans traitements devrait intéresser au moins les producteurs en agriculture biologique s’ils veulent fournir les consommateurs au printemps et en été. Je mange en septembre des tubercules ramassés un an auparavant et dégermés manuellement… trois fois. Je les conserve dans une cave pas vraiment froide, qui dit mieux ?
Quand verrons-nous une large gamme de pommes de terre résistantes à PVY (virus Y) et pentarésistantes à Phytophthora infestans ?
L’importance économique et environnementale du sujet tient en deux nombres : on cultive environ 200 000 hectares de pommes de terre en France avec un IFT fongicides supérieur à 10, alors qu’il est inférieur à 1,5 dans les autres grandes cultures.
Restant à votre disposition,
Héra
Postface : Cité pages 10 et 11, Jacques Poly avait remis en juillet 1978 un rapport intitulé “Pour une agriculture plus économe et plus autonome”.
42 ans après, est-on certain d’avoir vraiment tout fait pour “se préoccuper davantage de la préservation de nos ressources naturelles et d’un environnement rural agréable et harmonieux” ?
Dans les années 1950, un agronome hongrois a reçu mission de créer des cultivars de pommes de terre nécessitant peu d’intrants afin de moins solliciter l’industrie soviétique ; aujourd’hui la motivation a changé mais nous avons à notre tour intérêt à limiter les intrants.
Il me semble que cet article sous-estime l’impact des changements climatiques dans cette augmentation de l’utilisation des phytosanitaires.
Mon activité m’amène à rencontrer des agriculteurs et à échanger avec eux sur ces questions. Ce qu’ils m’expliquent le plus souvent, c’est que « le froid de l’hiver ne fait plus son travail », qui est de tuer un certain nombre de parasites, insectes notamment, qui s’attaquent aux cultures. Effectivement, on s’aperçoit que l’une des conséquences majeures des changements climatiques, et dont on ne parle qu’assez peu, est le relèvement des températures minimales hivernales, qui a des conséquences majeures sur la répartition des espèces d’une part, sur la mortalité hivernale d’autre part. Le résultat, c’est que les agriculteurs sont amenés à utiliser davantage de phytosanitaires pour éliminer ces parasites qui se développent davantage, en plus grand nombre, à partir de la sortie de l’hiver. Cet état de fait avait d’ailleurs été relevé dans une publication du ministère de l’agriculture il y a 3 ou 4 ans.
Merci pour ce commentaire, Philippe Devis.
Les insecticides sont-ils les principaux générateurs d' »IFT » ?
En janvier 1985, une vague de froid à -20°C a touché la France et, au printemps, on a connu une pénurie d’insecticides chimiques.
Explication : les auxiliaires hivernent sous forme d’adultes, donc sensibles au grand froid, alors que les pucerons sont sous forme d’œufs d’hiver, très résistants.
Approche intéressante et utile dans un contexte d’agri bashing et d’un discours ‘bien pensant ‘ dans beaucoup de médias.
Peut être pourrait-on aussi indiquer l’exigence technique en agrobiologie et les références limitées qui peuvent freiner les conversions.
Très bon article.
Juste une précision concernant la betterave à sucre, nous constatons aussi une stagnation du rendement aux champs depuis 2010 environ, en cause notamment le changement climatique et le manque d’eau.
L’arrêt de produits phytosanitaire a également une influence. Cette année, avec l’interdiction des néonicotinoïdes et l’arrivée précoce des pucerons vecteurs des virus de la jaunisse, le rendement va baisser d’environ 30% par rapport à la moyenne 5ans, avec des conséquences dramatiques pour les exploitants.
merci; l’article est clair, ainsi que ses arguments, pour un non-professionnel intéressé comme moi.
Il m’intéresse de suivre ce débat. Je m’inscris donc volontiers.