À mots découverts

Published on 24 octobre 2019 |

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Police scientifique : y’a un loup ?

Par Sylvie Berthier

Sur le pont dès l’arrivée du loup dans le parc du Mercantour, au début des années quatre-vingt-dix, l’ONCFS est chargé par l’État d’assurer le suivi du prédateur. Loup y es-tu ? Où vas-tu ? Que manges-tu ? Les premières investigations sur le terrain à la recherche d’indices et les données d’une génétique au début balbutiante ont permis, avec le recul et la progression des outils, d’affirmer avec C. Duchamp que « a minima, huit animaux sont arrivés comme les fondateurs pour expliquer la diversité génétique actuelle »

En 2014, pour répondre à une polémique montante, l’Europe demande aux États membres de surveiller la présence éventuelle de loups hybrides repérés dans certains pays, en particulier dans les Apennins, en Italie, où s’ébattent plusieurs centaines de milliers de chiens errants. La consigne est claire : pas question de laisser le phénomène se propager. Charge aux États de les éliminer, après s’être assurés qu’il s’agit bien d’hybrides. Pas si simple, tant le loup et le chien sont proches.

Pour cette surveillance à grande échelle, « il fallait une méthodologie spécifique, rigoureuse et complexe1, explique C. Duchamp. Nous avons confié la partie génétique au laboratoire français Antagene, reconnu internationalement pour ses compétences en génétique et hybridation des canidés, et nous réalisions les études statistique en interne ». Une fois la méthode établie, restait à la tester sur des échantillons issus d’animaux morts, tués lors des tirs ou écrasés par des voitures, et autres fèces, poils et urine, collectés en milieu naturel selon des protocoles dignes de la police scientifique. En 2017, les résultats tombent2 : les 155 échantillons exploitables correspondent à 143 animaux différents, dont 13 chiens. Parmi les 130 individus restants, 120 (soit 92,5 %) sont des loups de lignée génétique italienne, à part un individu de lignée balte, 2 (soit 1,5 %) sont des hybrides de 1re génération et 8 (soit 6 %) correspondent à une hybridation plus ancienne. Des résultats concordant avec ceux trouvés dans d’autres pays européens, qui indiquent un taux d’hybridation entre 2 et 10 % (à l’exception des Apennins où il est plus important). Bref, l’hybridation du loup de 1re génération reste marginale.

Bien entendu, les opposants aux prédateurs qui, depuis le retour du loup, clament haut et fort que l’État et ses services mentent sur le nombre de loups et masquent le nombre d’hybrides réels s’empressent de contester les chiffres officiels. Un collectif d’éleveurs et d’élus commandent au laboratoire allemand Forgen une contre-expertise3. sur la base de prélèvements issus de carcasses d’animaux domestiques victimes de prédateurs. Drôle de hasard, les résultats de Forgen différent du tout au tout de ceux du labo français. Pour les Allemands, les échantillons révèlent que tous les prédateurs sont des hybrides et qu’aucun n’est de lignée italo-alpine. Cherchez l’erreur…

Pour C. Duchamp, non seulement il y a un problème sur la forme (les échantillons prélevés sur le terrain par le collectif peuvent être souillés par des chiens) mais aussi sur la méthode qui reste floue, voire aberrante, et non reproductible par un tiers. Et notre homme de trancher : « Forgen est sans doute un très bon laboratoire en génétique pure, expert auprès des tribunaux, mais il y a visiblement une grande carence en matière de génétique des populations animales pour interpréter correctement les résultats. » Après six mois d’échanges infructueux entre Antagene et Forgen pour clarifier le désaccord concernant les résultats, l’ONCFS réitère sa confiance à son laboratoire partenaire et, fort de ses références publiées, assume ses méthodes de travail et continue son expertise sur la piste des loups, métissés ou non.

Pour suivre les dernières nouvelles du loup et les résultats des analyses en continu, l’ONCFS a ouvert, en février 2019, un site dédié à l’animal :
https://www.loupfrance.fr/faible-taux-hybridation-retrospective-10-ans/

  1. https://revue-sesame-inra.fr/ hybridation-du-loup-entre-genetique-et-statistique/
  2. Communiqué de presse de l’ONCFS du 3 juillet 2018, « Hybridation de la population de loups en France : L’ONCFS assume les méthodes avec lesquelles il travaille » http://www.oncfs.gouv.fr/IMG/pdf/note_technique_oncfs_hybridation_loup13092017.pdf
  3. Dossier de presse 22 novembre 2017, « Face aux questions sans réponses sur les “loups”, des citoyens structurent une démarche collaborative » https://drive.google.com/file/d/0B_GXgfgBRGqpWUptTWlraUs2OTJ0UUhma0FKMXh3NmFfR09v/view

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