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Les échos & le fil © archives Yann Kerveno

Publié le 4 juin 2025 |

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Plant-based : la mariée était-elle trop belle ?

Le grand soir est en retard. Il y a cinq ans, l’affaire semblait entendue, les protéines animales allaient céder une bonne partie de leurs parts de marché aux protéines d’origines végétales. Finalement, c’est loin d’être le cas et le marché accuse un net repli aux États-Unis depuis l’an dernier quand il continuer de progresser en Europe. On vire l’emballage et on regarde pourquoi ce retournement, c’est le fil du mercredi 4 juin 2025.

Visuel : © archives Yann Kerveno

L’instabilité sera peut-être le terme que les historiens ou chercheurs retiendront de ce début d’anthropocène, tellement les choses évoluent rapidement, nous faisant jeter aux oubliettes aujourd’hui ce qui était encensé encore hier soir. Si nous ne sommes pas encore au stade des oubliettes, les alternatives végétales à la viande dont on annonçait l’hégémonie prochaine au début de la décennie semblent marquer le pas. Et avec eux les emballements médiatico-financiers. Plusieurs études menées depuis le début de l’année, signalées par Agrafil, mettent en évidence un net recul du marché de ces produits vantés pour peser moins sur la planète, être plus sains et surtout s’affranchir des protéines animales. Aux États-Unis, « Les ventes au détail américaines de viande d’origine végétale ont chuté de 7,5% pour un chiffre d’affaire de 1,13 milliard de dollars au cours des douze derniers mois (avril-avril) ». Dans le congelé, qui représente près des trois quarts des ventes de ces produits, le recul est de 5,3 % quand celui des viandes alternatives du rayon frais, en régression depuis le troisième trimestre 2021, perd encore 12,1 % de son chiffre d’affaires en un an. La gamelle est encore plus saignante pour le produit qui fit les beaux jours du secteur, le burger ou steak haché végétal, en repli de 26 %. 

Vases communicants ?

Dans le rayon d’en face, celui des viandes issues d’animaux, l’heure est plutôt à la satisfaction puisque « les ventes au détail américaines de viande fraîche conventionnelle ont augmenté de 6 % au cours de la même période (avec +2,7 % en volumes), tandis que les ventes de viande et de volaille transformées congelées ont augmenté de 10,9 % (+10 % en volumes) et que les ventes de viande et de volaille non transformées congelées ont augmenté de 4,2 % (+3,3 % en volumes) » écrit AgFunder dans un papier très complet. Comment expliquer cette bascule ? Plusieurs facteurs sont avancés. Le premier, c’est le prix des produits, deux à quatre fois supérieur au produit original en moyenne, sa collision avec l’inflation mondiale et le resserrement des budgets des ménages. Mais il y a aussi la question de l’adéquation entre le prix et le goût, jugé insuffisamment convaincant par les consommateurs américains.

L’Europe reste motrice

« Actuellement, les performances en matière de goût et de prix, ainsi que l’absence d’une proposition de valeur largement convaincante, limitent l’engagement de la catégorie auprès des consommateurs » précise le Good Food Institut (GFI) dans un rapport récent. Autre facteur, dénoncé cette fois par les industriels, c’est le comportement des distributeurs qui ont « réduit graduellement l’assortiment de produits proposés aux consommateurs dans leurs rayons, de 31 % depuis 2021 », année du début de retournement du marché après l’euphorie de 2019 et 2020. Pour autant, tous les continents ne sont pas logés à la même enseigne. La croissance semble toujours à l’ordre du jour en Europe, marché largement tiré par les consommateurs allemands. De quoi générer un chiffre d’affaires de 2,2 milliards d’euros en Allemagne (+8 % en valeur entre 2022 et 2023), 648 M€ en France (+11 % en valeur) et 641 M€ en Italie (+ 8 % en valeur, augmentation portée par l’inflation).

Consolidation à venir

Et du côté des producteurs ? Là aussi, l’heure est au ralentissement. AgFunder a calculé que les investissements dans les start-up du secteur ont reculé de 64 % en 2024 pour n’atteindre « que » 309 M$… contre 854 M$ 2023. Deux raisons sont principalement invoquées par GFI, la remontée des taux d’intérêts et le ralentissement du marché qui incite à plus de prudence du côté du capital-risque. Ce qui se dessine aujourd’hui, selon l’institut, c’est une phase de consolidation. « La chute brutale des financements, associée à la baisse continue des ventes dans de nombreuses régions, signifie que certains fabricants seront incapables d’obtenir des financements et réduiront leurs effectifs, fermeront leurs opérations ou fusionneront avec d’autres organisations. » 

Les revers s’accumulent 

Cette semaine, on a appris l’arrêt de la marque Nurishh créée par Bel pour produire des fromages à partir de végétaux. Un défi de taille, reconnaissait-on chez l’industriel, dans un pays où le fromage est une religion et qu’il s’accorde avec les régimes végétariens. Laissant, naturellement, peu de place aux succédanées. Aux États-Unis, l’emblématique Beyond Meat a revu ses prévisions financières à la baisse pour l’année en cours – elle perd 45 cents sur chaque dollar de produit vendu – elle qui n’a jamais été profitable depuis sa fracassante entrée en bourse. Accumulant plus d’un milliard de dollars de pertes depuis 2019, première année de publication des comptes. Au point que les analystes financiers envisagent aujourd’hui la faillite de l’entreprise pour 2027, quand l’entreprise aura à rembourser un milliard de dollars d’obligations convertibles. Le géant Unilever s’est, lui, débarrassé de Vegetarian Butcher, en cours de rachat par Vivera (une filiale du numéro un mondial de la viande, le brésilien JBS), et la chaîne de restaurant spécialisée américaine Planta s’est mise sous la protection de la loi sur les faillites le mois dernier. Entre autres.

Adéquation faible

Les différents rapports de cabinets de marketing envisagent toutefois, une croissance soutenue pour les prochaines années, avec le passage d’un chiffre d’affaires global de 20 milliards de dollars en 2024 à 46 milliards en 2033, soit une croissance annuelle de 9,68 %. Hypothèse appuyée sur l’idée de « la prise de conscience grandissante des consommateurs des enjeux du bien-être animal, de la protection de l’environnement, du développement du nombre de consommateurs vegan et de l’implication de grands groupes industriels de l’agroalimentaire. » Une autre étude, publiée en début d’année, promet les mêmes envolées, en tablant surtout sur l’augmentation des consommateurs vegan et l’augmentation du nombre de personnes intolérantes au lactose… On voudrait « ne pas désespérer Billancourt » qu’on ne s’y prendrait pas autrement. L’avenir nous dira si ces projections avaient du sens mais les défis restent colossaux. « Pour que le marché connaisse une croissance soutenue, les produits devront mieux répondre aux attentes des consommateurs en matière de goût, de prix et de commodité, tout en offrant des propositions claires pour inciter les consommateurs à passer à autre chose » analyse sèchement encore le Good Food Institute. 

Le goût justement

Le patron de Redefine Meat regrette que, pour faciliter l’accessibilité à ces produits, les détaillants jouent uniquement sur le prix : « Le problème est que ces produits sont tellement bon marché que les fabricants ne peuvent pas fournir un produit de qualité. Par exemple, les saveurs et les arômes naturels coûtent cher, donc lorsque vous réduisez le coût du produit, vous réduisez probablement aussi le goût et la texture. Le danger est que les consommateurs qui essaient un produit pour la première fois, sur la base de leur expérience négative, seront au minimum peu enclins à réessayer les produits à base de plantes et, pire encore, partageront peut-être leurs commentaires avec d’autres personnes. C’est donc toute la catégorie qui s’en trouve affectée » explique-t-il dans une interview récente. Si le goût est un élément central, le prix n’a rien à lui jalouser. C’est peut-être même la clé, comme l’explique Food Navigator, l’équivalence de prix entre produits végétaux et produits d’origine animale restant le levier le plus efficace pour favoriser l’adoption par les consommateurs… Et comment jouer sur le prix ? Par une éventuelle augmentation du prix des produits de protéines animales ou, peut-être plus sûrement, par le changement d’échelle, répondent en cœur les industriels. L’exemple Beyond Meat montre que l’affaire n’est pas forcément simple et cela vaut pour les alternatives à base de plantes tout autant que pour la viande de synthèse. D’ailleurs, cette dernière pourrait plus facilement voir ses coûts de production reculer sous ceux des succédanées à base de végétaux. Pour en devenir un ingrédient de produits hybrides ?

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