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Quel heurt est-il ?

Publié le 19 avril 2022 |

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[Microbiote] Soigner les relations

Par Lucie Gillot et Nina Sipp

Microbiote. Impossible que le terme vous ait échappé tant il s’est imposé comme un sujet incontournable en santé, aussi bien dans la littérature scientifique que dans la presse grand public. Exit la figure du microbe pathogène à terrasser à grands coups d’antiseptique. Qu’elles peuplent la peau, la bouche et les voies nasopharyngées, les poumons, le vagin ou l’intestin, ces invisibles bestioles ont la cote. Parmi elles, notre bonne vieille flore intestinale, avec ses 100 000 milliards de bactéries mais aussi des champignons, des parasites et des virus, est passée du statut de boîte noire à peine entrouverte à celui « d’organe » central. Ainsi, les chercheurs ont pu constater une altération de la composition de cette flore dans un nombre considérable de pathologies – des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin à l’obésité –, sans en saisir encore parfaitement les mécanismes. Souvent abordé sous cet angle santé, le sujet occasionne pourtant d’importants questionnements philosophiques et éthiques, bousculant la conception même d’être humain.

Joël Doré en est le premier étonné. Depuis plus de quarante ans que ce directeur de recherche Inrae étudie le microbiote intestinal, il a vu son sujet de prédilection passer de l’ombre à la lumière, et pas qu’un peu. En moins d’une dizaine d’années, les recherches dédiées au microbiote ont littéralement explosé, à l’instar du nombre de publications scientifiques sur le sujet : 5 000 en 2014 contre 20 000 en 20201. Les raisons ? Elles sont tout d’abord à chercher du côté de l’essor de la génomique, cette science de la biologie qui, comme son nom l’indique, étudie le génome. Le perfectionnement des techniques d’analyse a permis « de caractériser le microbiote grâce au séquençage massif ». Et donc de connaître bien plus rapidement et précisément les entités biologiques – bactéries, champignons, virus ou encore parasites – qui le composent. C’est d’ailleurs l’un des axes forts de MetaGenoPolis2, dont notre chercheur est le directeur scientifique.
Pour autant, ce boom technologique n’explique pas à lui seul l’attrait de la communauté scientifique pour le sujet. « L’autre moteur du développement des recherches sur le microbiote c’est l’épidémiologie », ajoute-t-il. L’incidence des maladies chroniques s’est considérablement accrue depuis l’après-guerre, si fortement que les seuls facteurs génétiques ne peuvent suffire à l’expliquer. D’autres entités sont à la manœuvre. C’est là qu’intervient le microbiote (Lire encadré « Une affaire personnelle »).
La recherche avait déjà documenté les rapports entre le microbiote et la santé et commencé à étudier son rôle dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin pour lesquelles le lien semblait évident. Progressivement, d’autres pathologies ont rejoint la liste : obésité, diabète, troubles cardiométaboliques, maladies hépatiques, cancers puis, plus récemment, les troubles neurodégénératifs, neuropsychiatriques ou neurocomportementaux3. Dans bien des cas, le constat est le même : le microbiote présente une altération soit qualitative – dans sa composition – soit quantitative via une diminution de la richesse bactérienne : c’est la dysbiose. Si une nouvelle voie s’ouvre dès lors dans la compréhension de ces pathologies, elle plonge la communauté scientifique dans un univers peuplé d’inconnues : quelle est la nature des altérations observées ? Sont-elles récurrentes d’une pathologie ou d’un individu à l’autre ? Quels sont les germes impliqués, quels effets – protecteurs ou aggravants – ont-ils ?…
Au-delà de ces multiples interrogations, ce domaine d’investigation vient en outre bousculer deux conceptions. La première porte sur la place à accorder au microbiote dans la définition de ce qu’est un être humain. Finalement, jusqu’à quel point sommes-nous microbiens ? La seconde en est directement issue : elle pose, comme clé de voûte de la santé, la relation symbiotique entre un hôte et son microbiote. Cette conception s’appuie notamment sur le constat, de plus en plus documenté, que la dysbiose est souvent associée à un ensemble d’autres états pathologiques, tels qu’une inflammation, un accroissement de la perméabilité intestinale ou un stress oxydatif. « Ces signaux d’altération du microbiote vont se retrouver non pas dans une mais dans un ensemble de maladies chroniques », précise J. Doré, suggérant donc l’existence d’un « schéma commun » et une forte interdépendance de tous ces éléments.
Dans ce cadre, le microbiote est désormais vu à la fois comme un nouvel outil de diagnostic et une cible thérapeutique. «Soigner un jour des troubles psychiatriques ou des allergies à l’aide d’un meilleur contrôle de l’identité du microbiote intestinal semble aujourd’hui du domaine du possible », écrit par exemple l’Institut Pasteur4.
Reste que cette démarche d’agir sur « l’identité du microbiote » voire d’en modifier la composition n’est pas sans soulever un certain nombre d’interrogations face aux espoirs qu’elle suscite et son imbrication dans la définition même d’un être vivant. Autant de considérations qu’explore le dialogue entre Anne Buisson, directrice adjointe de l’Afa Crohn RCH, une association de malades, et Béatrice de Montera, éthicienne et biologiste à l’université catholique de Lyon, responsable de la plateforme éthique SOCA (SOCial Acceptability) au sein de MetaGenoPolis.

Lire l’entretien croisé.

Une affaire personnelle.

C’est au moment de l’accouchement que s’amorce la constitution de notre microbiote intestinal. Stérile à la naissance, notre tube digestif va être colonisé progressivement durant les premières années de vie. Si plusieurs éléments vont influencer sa composition – comme le mode d’accouchement, la génétique, l’hygiène ou la rencontre avec un pathogène –, les deux principaux facteurs qui le façonnent sont les médicaments et l’alimentation. En définitive, chaque individu possède son propre microbiote intestinal, qui lui est spécifique sur les plans quantitatif et qualitatif. Selon l’Inserm, « parmi les 160 espèces de bactéries que comporte en moyenne le microbiote d’un individu sain, seule la moitié est communément retrouvée d’un individu à l’autre. Il existerait cependant un socle commun de quinze à vingt espèces présentes chez tous les êtres humains ». Si chaque microbiote est unique, comment savoir si ce dernier est en bonne santé ? « C’est une question importante, pas encore totalement résolue », tranche Joël Doré, le microbiote ayant été « approché plutôt par ses altérations ». Si la richesse des espèces présentes en est un critère important, plusieurs programmes de recherche – « The Human Microbiome Project » (États-Unis) et « The Human Microbiome Action » (Europe) – visent une analyse plus fine, sur un très grand nombre d’individus.

Source : « Microbiote intestinal. Une piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies », Inserm, 2021.


  1. « Microbiote : comment renforcer notre immunité ? » Science et Avenir, n° 190, avril 2021.
  2. Implantée au sein du centre Inrae de Jouy-en-Josas, MetaGenoPolis est une unité dédiée à l’étude du microbiote, axée plus spécifiquement sur les aspects nutrition et santé. Lauréate du Programme d’investissement d’avenir en 2012 et 2020, elle participe à deux principaux projets : le « French Gut » et le « Million Microbiome of Humans Project« .
  3. Anxiété, dépression, troubles de l’humeur ou schizophrénie en sont quelques exemples. Des travaux sont également en cours sur l’autisme et la maladie d’Alzheimer.
  4. « Microbiote : vers une révolution thérapeutique », Lettre de l’Institut Pasteur, n° 108, février 2020.

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