Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


De l'eau au moulin

Publié le 20 juillet 2018 |

1

[Oasis] L’oasis et la menace climatique : aperçu et scénario probable

Par Khaled Amrani, Univ. Grenoble Alpes, CNRS, Science Po Grenoble*, PACTE, 38000 Grenoble, France. khaled.amrani@umrpacte.fr
* School of Political Studies Univ. Grenoble Alpes.

La menace climatique globale n’est plus à démontrer. En revanche, les prémices d’éventuelles perturbations sociétales sont mal perçues et des efforts d’anticipation seraient nécessaires. Retour sur les oasis du Sahara algérien, sortes d’avant-postes des écosystèmes arides, depuis toujours à l’avant-garde de l’adaptation, pour les hommes comme pour les plantes.

 

L’augmentation annoncée des températures va d’abord affecter les écosystèmes et les êtres vivants qui en dépendent, en particulier par l’érosion de la biodiversité et la récurrence de phénomènes de pullulations. Nous voulons ici porter un regard sur les écosystèmes arides, notamment les oasis à palmiers dattiers qui ont permis la sédentarisation de l’homme, autrefois nomade. Sans cette espèce végétale et le mésoclimat qu’elle peut offrir, le Sahara n’aurait jamais pu être aussi peuplé.

Le palmier dattier, curiosité botanique

Le palmier dattier (Phoenix dactylifera) est un « faux » arbre (sans tissu secondaire) qui appartient à la classe des monocotylédones (Liliopsideae) et à la famille des Arecaceae. Sa croissance est apicale, résultant de divisions successives de cellules méristématiques non différenciées. Il est composé de palmes sur lesquelles sont insérées des folioles le long d’un rachis dont la base élargie, cornaf, constitue une pièce du stipe (faux tronc). Les palmes sont disposées en trois couronnes, basale, médiane et centrale, d’où l’inflorescence est émise. Elle se présente sous la forme d’un régime composé d’une hampe et d’épillets sur lesquels sont insérées les dattes ou le pollen quand il s’agit d’un pied mâle (voir le dessin ici).

C’est une espèce dioïque ‒ les pieds mâle et femelle sont séparés ‒, et hétérozygote1. Cette particularité génétique est à l’origine d’une diversité variétale illimitée. Chaque dattier issu d’un noyau de datte est l’amorce d’une autre variété avec des caractéristiques physiques uniques en termes de couleur, de forme et de goût.

Une espèce liée au climat saharien

Le palmier dattier est une espèce thermophile. Son zéro de végétation se situe entre 7 °C et 10 °C2 selon les cultivars. L’intensité maximale de l’activité photosynthétique est atteinte entre 30 °C et 35 °C. A partir de 40 °C, la production décroît rapidement, bien que la plante puisse résister et se maintenir à des températures supérieures à 50 °C (Munier, 1973 ; Nixon et Carpentier, 1978).

Deux facteurs importants limitent l’aire de culture du dattier : la température et l’hygrométrie. La somme de températures nécessaire à la maturité des dattes (cumul supérieur à 18 °C à partir du stade nouaison3) se situe entre 583 °C et 1800 °C selon les cultivars, précoces ou tardifs. Ces exigences limitent l’aire de culture du palmier dattier entre le 24e et le 34e parallèle de latitude nord, soit de Biskra en Algérie à Djibouti jusqu’en Éthiopie plus au Sud où, dans la vallée de l’Awash, les palmiers introduits en guise d’essai se sont bien acclimatés et développés (Gérard, Ferry et Toutain, 1999 ; Peyron, 2000). Des particularités mésoclimatiques existent toutefois du fait de la géomorphologie et de la stratification végétale. Elles conditionnent les possibilités d’adaptation des cultivars dans leur terroir d’origine mais le réchauffement climatique risque de les affecter.

En effet, le climat exerce une action phénotypique qui confère aux différentes variétés des spécificités « territoriales inféodées ». C’est le cas, par exemple, de la fameuse variété Deglet nour de Biskra qui, avec sa texture moelleuse, est très renommée à l’international. Hors de son aire de prédilection, cette variété de palmier donne des fruits de texture ou de qualités organoleptiques différentes. La Deglet nour de Ouargla diffère de celle de Ghardaia ou de Touggourt.

C’est cette action phénotypique des conditions climatiques qui requiert notre attention car elle sera à l’origine de modifications des dattes et des dattiers.

Dans le cas de la Deglet nour de Biskra, ces spécificités ont donné lieu au label IGP à l’origine d’une dynamique économique locale. Pour une même surface de palmier, le chiffre d’affaires généré est, au minimum, deux fois supérieur qu’ailleurs pour le même effort agrotechnique fourni, en termes d’intervention et d’entretien de la palmeraie.

La menace climatique : des conditions extrêmes qui risquent de s’aggraver

Au Sahara, on distingue le climat régional qualifié de macroclimat, le mésoclimat4 qui règne au sein des oasis et le microclimat à l’intérieur d’une palmeraie (Toutain, 1979).

Le macroclimat saharien est connu pour son aridité extrême avec des hivers assez froids et des étés  très chauds : 3,8 °C en février et 50,9 °C en juillet. La pluviométrie y est très faible, même si parfois des pluies torrentielles s’abattent sur la région5.

Le mésoclimat s’exprime par l’ambiance que procurent les palmeraies de l’oasis. Avec des palmiers judicieusement disposés, ni trop serrés, ni trop espacés, la rudesse macroclimatique est atténuée. On estime qu’une équidistance de 8 x 8 à 10 x 10 m entre les palmiers optimise cette ambiance climatique, favorable par ailleurs à l’épanouissement de cultures intercalaires (Amrani, Dollé et Toutain, 2011).

Cependant la densité à l’hectare peut aller bien au-delà, jusqu’à 400 palmiers dans les palmeraies traditionnelles qui forment une futaie jardinée née du savoir-faire ancestral.

Dans les régions sahariennes, les conditions climatiques rudes limitent l’installation de la biodiversité  à l’exception de celle qui se retrouve concentrée dans les oasis. Les espèces sont soit endémiques, soit acclimatées avec des capacités d’adaptation leur permettant de survivre dans des conditions d’aridité élevées (Houari et al, 2012 ; Houari et al, 2013).

Cette adaptation s’est faite au fil du temps. Le changement climatique risque de bouleverser ce processus naturel.

L’évolution des températures sur une période de 70 ans (entre 1950 et 2020) laisse entrevoir une augmentation de + 2,37 °C (voir figure). Cette tendance qui aura des conséquences sur la flore et la faune est très préoccupante en termes de durabilité. L’action anthropique aggrave cette situation. Les modèles monoculturaux d’agribusiness favorisent le recours aux intrants chimiques pour doper les cultures et optimiser les rendements. Ils contribuent par conséquent à l’appauvrissement de la biodiversité. Par ailleurs, les facteurs climatiques pourraient affecter de façon négative les cycles biologiques des êtres vivants notamment quand ils sont peu diversifiés.

Conséquences pour le palmier dattier

Comme nous l’avons indiqué plus haut, les stades phénologiques6 des dattiers répondent à des sommes de températures qui doivent être atteintes à des périodes précises. La fructification débute à la nouaison et se termine à la maturation des dattes. Elle varie de 120 à 200 jours selon les cultivars et les régions (Djerbi, 1994). Les besoins des variétés molles se situent entre 2000 et 2500 °C, les variétés demi-molles ou demi-sèches exigent entre 2500 et 3500 °C et les variétés sèches ont besoin de plus de 3500 °C (Babahani et Eddoud, 2012). Selon Munier (1973), l’indice thermique de la Deglet nour de Touggourt est de 1854 °C.

L’augmentation constatée des températures provoquerait une atteinte prématurée des indices thermiques, ce qui pourrait affecter la qualité et la quantité de dattes produites. Cette précocité n’est pas forcément de bon augure. Pour la Deglet nour de Biskra, les spécificités territoriales qui ont été à l’origine du label IGP pourraient changer : l’assèchement de la datte lui ferait perdre cette appellation, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner sur le plan économique.

Le réchauffement pourrait également accentuer le dérèglement du régime des précipitations. Plus irrégulières et parfois torrentielles, les pluies pourraient intervenir à des périodes néfastes pour  la culture. Si la tendance se confirme, les stades phénologiques « sensibles » pourraient être affectés. À titre d’exemple, lors de la pollinisation, les pollens risquent d’être lessivés et durant la période de récolte, les dattes risquent de fermenter sur pied.

Conséquences pour l’entomofaune

Par ailleurs, des pullulations d’insectes risquent de se manifester plus fréquemment à l’image du  Boufaroua (Oligonychus afrasiaticus), un bio-agresseur très néfaste durant les étés particulièrement chauds. Idem pour les invasions du criquet pèlerin (Schistocerca gregaria) et du criquet migrateur (Locusta migratoria). La phase grégaire provoque des essaimages spectaculaires durant les années caniculaires. Avec ce risque : si leur fréquence augmente, ils pourraient entraîner des mesures impératives de traitements aériens aux abords des oasis. Non seulement coûteux, ces traitements sont également préjudiciables à l’environnement, car ils anéantissent la faune auxiliaire (Ould el Hadj, Abdi et Doumandji, 2007).

Maintenir et améliorer l’existant

Les palmeraies dites traditionnelles sont celles qui présentent le plus de résilience face aux changements. Elles offrent en effet une diversité phytogénétique élevée, résultat empirique d’un savoir-faire acquis au fil des générations dans une conjoncture où il fallait disposer de denrées alimentaires tout au long de l’année. Ainsi, les palmeraies traditionnelles disposaient d’une diversité de variétés précoces, tardives, molles et sèches de façon à répondre aux besoins des ménages. Par la même occasion, la cohabitation de ces variétés contribuait au maintien de l’équilibre écologique et prévenait les pullulations de ravageurs, favorisés au contraire par la monoculture et les modèles qui l’encouragent, à savoir l’agribusiness (voir ici notre premier article : Quelle durabilité pour les oasis du Sahara algérien ? Revue Sésame n°2, novembre 2017. pp. 52-57).

Dans un prochain article, nous utiliserons la cartographie de la biodiversité des ressources phytogénétiques dattières pour localiser le savoir-faire des habitants du Sahara en termes de sélection massale7 répondant aux besoins des ménages. Nous identifierons des leviers de développement concrets autour de l’amélioration de ces savoirs et de ces pratiques existants car leur marginalisation du fait de l’agribusiness et les conséquences du réchauffement climatique risquent d’avoir des effets irréversibles…

Les références bibliographiques de l’article sont consultables ici

 

  1. La plante hétérozygote possède deux gènes différents, l’un dominant, l’autre récessif, au niveau de chaque chromosome d’une cellule
  2. Le zéro de végétation est la température à partir de laquelle la plante démarre sa croissance
  3. Transformation de l’ovaire de la fleur en fruit
  4. Le mésoclimat concerne les caractéristiques et les nuances climatiques d’une région donnée par opposition à macroclimat (continental, océanique, méditerranéen) ou à un microclimat (exposition au sud, fond de vallon…)
  5. Par exemple 90,93 mm le 17/11/1983, 92,87 mm le 19/05/2000 et 103,11 mm du 19 au 22/01/2009 à Ouargla (Données Climat Data TuTempio, 2015)
  6. La phénologie est l’étude de l’apparition d’événements annuels périodiques dans le monde vivant, déterminée par les variations saisonnières du climat
  7. Sélection empirique des plantes par le choix des fruits des palmiers les plus intéressants pour la plantation ou la replantation

Tags: , ,




One Response to [Oasis] L’oasis et la menace climatique : aperçu et scénario probable

  1. Pingback: Mes travaux | Durabilité des oasis à palmiers dattiers

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut ↑