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De l'eau au moulin

Publié le 15 octobre 2019 |

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[Oasis] La diversité variétale des dattiers : un patrimoine à valoriser

Par Khaled Amrani, laboratoire PACTE Territoires (université Grenoble Alpes, CNRS, Science Po) et laboratoire Bioressources sahariennes, université Kasdi Merbah Ouargla, Algérie.

La diversité variétale joue un rôle essentiel dans la durabilité des palmeraies. Pour préserver cette diversité, des variétés de dattes dont la valeur marchande est faible aujourd’hui pourraient être valorisées dans de nouveaux produits. Tout un système agroalimentaire dattier serait possible grâce à la diversité. Démonstration… et dégustation.

Le patrimoine phœnicicole algérien est composé, actuellement, de 18 millions de palmiers dattiers répartis en 950 variétés dans les différentes écorégions sahariennes. Une dizaine seulement font l’objet d’une commercialisation dans le pays1 et à peine deux en France : la Deglet nour et la Ghars (avec laquelle est confectionnée la pâte de dattes).

Des variétés à déguster

Pour faire connaître et promouvoir d’autres variétés potentiellement compétitives sur le plan organoleptique et économique, nous avons initié une série d’ateliers dégustation.

Le premier s’est déroulé à l’occasion d’une veillée naturaliste à la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) de l’Isère le 19 décembre 2012. Par la suite, trois autres ateliers ont eu lieu avec famille, amis et collègues de travail afin de diversifier le « panel de dégustateurs ». En 2018, à l’occasion d’une projection-débat à l’université de Grenoble-Alpes, un autre atelier dégustation fut organisé. Les échantillons à goûter étaient composés de 12 variétés de dattes originaires des oasis algériennes d’Ouargla, de Ghardaïa et de Biskra auxquelles ont été ajoutées deux variétés tunisienne et iranienne en guise de référence, du fait de leur disponibilité sur les marchés français. 

Lors des premiers ateliers en 2012-2013, il fallait classer les variétés par ordre de préférence, comme sur un podium. En 2018, il fallait leur attribuer une note de 1 à 10, la note maximale pour les dattes les mieux appréciées.

Diversité variétale et durabilité

La diversité variétale joue un rôle important en agriculture durable car elle limite le recours aux intrants chimiques dangereux pour l’homme et son environnement naturel. C’est  davantage vrai pour les oasis à palmiers dattiers, qui subissent une pression anthropique effrénée du fait des pratiques culturales.

Les bioagresseurs qui affectent les dattes et déprécient leur valeur marchande sont principalement la cochenille blanche (Parlatoria blanchardi. Targ.), la pyrale (Ectomyelois ceratoniae. Zeller) et le boufaroua (Oligonychus afrasiaticus. Mc Gregor). Les trois ravageurs pullulent, littéralement, dans les palmeraies à monoculture de Deglet nour.

En effet, ces ravageurs ont des préférences vis-à-vis de certaines variétés. La Deglet nour est la plus exposée à la pyrale, car plus abondante, avec un taux de 13% d’attaques en fin de maturité. Les variétés les plus sensibles sont Takermuste (avec un taux d’infestation de l’ordre de 57%) et Timdjouhert avec 30% d’attaques (Idder et al, 2009). Mais comme elles sont moins répandues, 7% pour Takermust et 0,4 % pour Timdjouhert (Amrani, enquête. pers., 2014), les dégâts sont moins impressionnants. En revanche, les variétés Ben-Azizi, Ghars, et Tafezouine sont les moins attaquées (de l’ordre de 2 à 3%).

Quant au boufaroua, il s’agit d’un acarien aussi redoutable que la pyrale. Il s’attaque aux dattes dès la nouaison et peut occasionner des dégâts bien plus importants, de l’ordre de 70 % du rendement (Guessoum, 1986 et Djerbi, 1994). Ces dégâts sont aggravés par le sirocco qui favorise la pullulation du ravageur (André, 1932).

S’agissant de la cochenille blanche, elle  recouvre le feuillage d’une substance cireuse qui empêche, au fur et à mesure, la photosynthèse. Selon Wallon (1986), elle serait même stoppée par l’effet d’une toxine injectée par l’insecte notamment en cas de très fortes infestations. Les palmiers de 2 à 8 ans sont les plus touchés. Il est alors conseillé de sacrifier les régimes pour ne pas affaiblir davantage les jeunes palmiers (Toutain, 1979).

L’alternance des variétés résistantes et sensibles dans les palmeraies permet de « casser » les cycles biologiques des ravageurs tout en préservant la biodiversité phytogénétique dattière. L’intérêt de diversifier les plantations paraît à ce titre évident mais à condition de pouvoir valoriser les produits et, in fine, de les vendre et d’en tirer une rémunération « décente » pour garantir la pérennité de l’entreprise.

En Algérie, les grands réservoirs de la diversité des palmiers dattiers se trouvent dans les oasis du Sahara central (Touat, Gourara et Tidikelt) dans le département d’Adrar, dans la Saoura, à Béchar et dans une partie du piémont ouest de Tamanrasset. Les cartes 1 et 2 donnent un aperçu de cette diversité.

Alterner les variétés, un moyen de lutte et de préservation

Mettre en place cette alternance suppose de très bien connaître, d’une part les différents cultivars de dattiers et leurs exigences écologiques en termes de température et d’hygrométrie et d’autre part l’éthologie des ravageurs. Nous avons vu dans un précédent article que les cultivars précoces et tardifs, porteurs de variétés sèches ou molles exprimaient des besoins différents en cumul de température (voir ici).

Concernant les ravageurs, il s’agit de connaître leurs optimums de croissance et les différents pics de pullulations. La lecture croisée de ces informations permettra d’aménager au mieux cette alternance dans les plantations dattières. Cela sous-entend, par ailleurs, le recours au monitoring écologique2.

Pour favoriser à la fois la diversité et l’économie oasienne3, les cultivars à dattes sèches, qui ont besoin de perdre de l’humidité, seront donc installés à la périphérie de la palmeraie et feront office de brise-vent face à la rudesse du macro-climat. Dans les rangs intermédiaires seront disposées les variétés à dattes demi-sèches et demi-molles. Au centre seront installées les variétés dites molles qui ont besoin d’humidité. La figure 1 ci-dessous esquisse ce plan d’aménagement.

Figure 1. Proposition d’aménagement d’une palmeraie (Amrani, 2019)

Cette configuration permet, par ailleurs, de procurer une ambiance climatique favorable aux cultures intercalaires. Elle contribue également à faire tampon aux effets de la rudesse climatique. Installée à proximité des zones habitées, sous forme d’une trame verte, elle s’avère un excellent moyen pour lutter contre les îlots de chaleur urbaine (Amrani et al., 2013).

Les résultats des ateliers

Lors du premier atelier, sur l’ensemble des variétés consommées, entre 58 et 87 % ont été classées dans les cinq préférées (Tableau 1).

Ce résultat est confirmé par le deuxième atelier (Tableau 2) et vient renforcer notre hypothèse selon laquelle les variétés de dattes dites à « faible valeur marchande » sont simplement méconnues. Leur potentiel économique est réel à condition d’opérer les aménagements nécessaires, en premier lieu l’organisation des acteurs économiques oasiens autour d’un intérêt commun.

Cette méconnaissance est le résultat d’une marginalisation des variétés de dattes. En effet, hormis les variétés « célèbres », Deglet nour et Ghars, principalement, les autres cultivars figurent dans une même colonne ‘Dgoul’ 4 dans les inventaires officiels des services de l’agriculture en Algérie. Nous prenons comme exemple, le recensement officiel des services agricoles à Ouargla. Le tableau 3 représente le nombre de palmiers dattiers par variété.

Par ailleurs, cet atelier a été l’occasion d’esquisser une première carte de parfums où les goûts caramel, fruité, bonbon, châtaigne, miel et chocolat se sont distingués.

Les variétés actuellement considérées comme à faible valeur marchande pourraient donc faire l’objet de valorisation sous forme de transformations, par exemple, en vue d’élaborer de nouveaux produits. C’est le cas des variétés Harchaya et Hamraya, entre autres, utilisées dans la fabrication d’un vinaigre traditionnel doux. De même, la farine de datte est fabriquée à partir des variétés sèches. Les Iraniens valorisent leurs dattes en fabriquant du sucre. Au Maroc, on fabrique de la mélasse qui est exportée en Europe. L’industrie agro-alimentaire dattière reste encore méconnue bien qu’elle puisse amorcer une réelle dynamique économique.

Vers un système agro-alimentaire dattier grâce à la diversité…

Les résultats des ateliers démontrent le potentiel économique des différentes variétés de dattes de bouche. À cela s’ajoutent les variétés destinées à la transformation (vinaigre, confiture, sirops…) susceptibles de dynamiser une économie locale de petits producteurs, organisés en coopératives et/ou en PME de tri, d’emballage ou de transformation.

La petite agriculture familiale, diversifiée, est favorable à l’expression du savoir-faire détenu par les petits agriculteurs locaux. Les fédérer autour d’un intérêt commun permettrait de revitaliser la filière phoenicicole, actuellement peu organisée et trop marginalisée pour être compétitive. Cette dynamique locale peut alimenter d’autres secteurs économiques telle la prestation de service et de conseil pour améliorer les connaissances et optimiser les procédés, la logistique, les unités de transformation agro-industrielles pour les variétés de datte sèches, par exemple, qui peuvent être transformées en farine une fois le sucre extrait.

Cependant, avant d’y parvenir un grand chantier d’identification du potentiel variétal paraît incontournable. Les données concernant la phoeniciculture et les dattes sont encore très lacunaires et dispersées dans des études qui n’ont pas été vulgarisées.

Conclusion

Le potentiel de la filière dattes et dérivés ne se réalisera qu’avec l’organisation des acteurs locaux. En effet, comme nous l’avons déjà évoqué (dans les précédents articles de Sesame), le peu d’intérêt et de valorisation dont fait l’objet le secteur phoenicicole algérien rend peu compétitif le produit du terroir (la datte). Pour comprendre ce manque de considération, il faut comprendre le dilemme qui oppose d’une part, l’agriculture commerciale tributaire d’intrants car basée sur la monoculture dattière et, d’autre part, une agriculture de terroir marginalisée bien que fondée sur la biodiversité.

Cette monoculture se caractérise par de grandes surfaces dont la variété Deglet nour est très gourmande en eau. La multiplication des forages encouragée par l’État, en vue de promouvoir cette variété demandée sur le marché international a provoqué un déséquilibre à l’échelle de la société oasienne. De généreuses subventions ont été accordées à des investisseurs au détriment des petits producteurs pratiquant une agriculture diversifiée pour minimiser leurs dépendances aux intrants (voir Sésame n° 2, novembre 2017, pp. 52-57 et ici). Un sentiment d’injustice sociale s’est emparé de la société oasienne. Il provoque des conflits d’usage des ressources et une rupture des liens sociaux. La solidarité d’antan qui caractérisait les sociétés oasiennes a quasiment disparu.

Voir ici les références bibliographiques de l’article


  1. L’inventaire variétal de Hannachi et al. (1998) fait état de plus de 950 variétés réparties dans trois catégories : dattes molles, demi-molles et sèches
  2. Il s’agit d’observer et de suivre dans le temps des espèces indésirables dans notre cas d’étude (ravageurs par exemple) afin d’identifier leur « zone de confort vital » et d’empêcher leur installation
  3. Du point de vue de l’économie oasienne, alterner les cultivars pour casser les cycles biologiques des ravageurs permet d’éviter à la fois une baisse des rendements et de la valeur marchande des fruits
  4. Les dattes ‘Dgoul’ au pluriel, regroupent toutes les variétés à faible valeur marchande, désignées comme étant des dattes destinées à l’autoconsommation pour une agriculture d’autosubsistance. Ce terme a une connotation subjective voire péjorative qui s’est ancré dans les pratiques et les mentalités. À la base, c’est un terme qui désignait une variété de pays non reconnue, issue d’un noyau de datte et non pas d’un rejet. Son utilisation « abusive », par défaut de langage, pour désigner des variétés connues contribue à la dévalorisation de la biodiversité. En effet, hormis la Deglet nour et la Ghars, les variétés proposées à la dégustation sont classées dans cette catégorie par les services de l’agriculture, ce qui favorise leur marginalisation.

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