De l'eau au moulin produits du terroir

Published on 26 juin 2023 |

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La recherche du « vrai » dans l’alimentation : les produits de terroir dans une économie mondialisée

Par Samy Belaid, Professeur, EM Normandie Business School ; René-Pierre Beylier, Enseignant-chercheur en Sciences de gestion, Universités d’Avignon et de Montpellier ; Jérôme Lacœuilhe, Professeur, Université Paris-Est Créteil et IUT Sénart-Fontainebleau.

Quelle peut être la valorisation des produits dits « de terroir » dans une économie postmoderne et mondialisée ? Quels paradoxes soulève leur succès, celui d’objets patrimoniaux comme les AOC, ou de produits du marketing ?  Trois spécialistes se sont penchés sur ces questions. 

C’est en France que fut inventée la notion de terroir, et que des produits alimentaires issus de terroirs particuliers firent pour la première fois l’objet de définitions patrimoniales et de certifications : ce sont les Appellations d’Origine Contrôlées (AOC). Depuis, certains produits dits « de terroir » – sans autre précision – se sont développés comme des objets de marketing (ENS, 2017 : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/terroir).

Le « terroir », au sens commun, c’est l’idée qu’il existe un lien, d’une part entre le local et une certaine authenticité répondant à une recherche de sens (composante clé de la vie contemporaine) et, d’autre part, entre le local et la qualité de l’expérience de consommation (mieux manger et vivre mieux), un autre phénomène de l’ère postmoderne. Dans une mondialisation toujours plus prégnante, la notion de terroir peut alors être vue comme recouvrant la diversité des milieux, des cultures, des agricultures et des alimentations.

Offrir des alternatives aux produits industriels standardisés

Dans bon nombre de sociétés, les consommateurs sont en quête de qualité, d’authenticité, d’expériences gustatives et sensorielles. Ils choisissent certains produits selon leur origine et/ou leur provenance et leur traçabilité. Cependant, l’intégration des produits de terroir dans les grandes chaînes de distribution peut conduire à une standardisation à la fois de la production et de l’offre et donc provoquer une perte de sens par rapport à cette demande d’authenticité.

Dans cette perspective, des chercheur.se.s comme Yuna Chiffoleau ou Gomez et Naves1 recommandent la promotion des initiatives locales telles que les réseaux alimentaires alternatifs, les circuits courts et/ou de proximité et les marchés de producteurs. Ainsi, la valeur que le consommateur accorde aux produits de terroir doit être pensée pour contribuer à une production et une consommation plus responsables, précisément en offrant des alternatives aux produits industriels standardisés.

A la recherche du sens et du « vrai » : la crédibilité  des produits de terroir

Tendanciellement, la consommation de produits dits de terroir – tous produits confondus, des AOC aux marques comme « Produit en Bretagne » – s’accroît en France et l’opinion semble les plébisciter2.

La question de la place des produits de terroir dans une économie en constante évolution et mondialisée est donc un enjeu crucial de l’agroalimentaire contemporain, dans un contexte de postmodernité où l’acte de consommation permet de s’exprimer et de se différencier de ses semblables ; ces produits pourraient sembler dépassés, comme des reliques d’un passé révolu. Au contraire, la recherche de sens, de qualité et de traçabilité des consommateurs peut parfaitement conduire à les valoriser et à les intégrer dans une économie responsable et ouverte sur le monde.

“Ces initiatives rendent une place centrale aux producteurs locaux”

Les réseaux alimentaires alternatifs comme les AMAP ont émergé ces dernières années pour répondre à cette quête de sens et de qualité. Ils cherchent à rapprocher les producteurs et les consommateurs, à valoriser les produits locaux et à favoriser une production et une consommation plus responsables. Les circuits courts et les marchés de producteurs – notamment les marchés réservés aux producteurs en circuits courts et de proximité tels que le marché de Grabels (Hérault), de Carpentras (Vaucluse) – mettent eux aussi en avant des produits de terroir et de l’agriculture biologique. En privilégiant les échanges directs, ces initiatives rendent une place centrale aux producteurs locaux et veulent garantir aux consommateurs une authenticité maximale.

Cette authenticité comprend six dimensions majeures : la proximité, qui valorise le local et renforce l’appréciation du produit, car il représente une part de l’identité du consommateur (Camus, 2004)3 ; la confiance envers le producteur que favorisent les méthodes traditionnelles et la relation personnelle ; la transparence, assurée par la divulgation des méthodes de production et des informations spécifiques; l’éducation, qui permet au consommateur d’apprécier davantage le produit ; enfin la régulation et la certification, qui en garantissent l’authenticité et le récit, ou storytelling, qui crée un lien profond avec le consommateur.

“Ne pas tomber dans le piège de la standardisation”

La quête de sens et d’authenticité, comme la recherche d’une alimentation saine et durable a contribué à valoriser les produits de terroir. Divers labels et certifications, depuis les “AOC/AOP” jusqu’au logo « Produit en Bretagne », garantissent à différents niveaux l’origine, la qualité et les méthodes de production de ces produits. Ces labels apparaissent comme un gage de crédibilité pour les consommateurs souhaitant consommer des produits locaux et/ou durables. Ils permettent également de protéger les producteurs locaux en évitant les pratiques de contrefaçon ou de concurrence déloyale.

Cependant, les grandes chaînes de distribution ont intégré ces produits à leur offre, avec un inconvénient : renvoyer à une standardisation de la production et à une perte de sens. Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre la valorisation de l’identité culturelle locale et l’ouverture sur le monde « globalisé ».

Dans l’économie postmoderne, globalisée, la recherche de sens est importante pour le consommateur et la place de ces produits est un enjeu majeur pour le secteur agroalimentaire. Les initiatives locales, les labellisations et les certifications peuvent garantir l’origine, la qualité, la traçabilité et la durabilité de ces produits. Parallèlement, la grande distribution souhaite acquérir une certaine forme de légitimité en faisant connaître sa politique de RSE via les caractéristiques de son offre. Il est donc important de promouvoir les produits de terroir en préservant leur authenticité et leur caractère local, et en veillant à ne pas tomber dans le piège de la standardisation ni dans celui de l’exclusion des autres cultures.

La perception et les motivations des consommateurs

La question de la perception des produits de terroir ne peut être appréhendée que dans sa complexité. Les travaux d’Aurier et Fort (2005), Lenglet et al. (2015) le confirment4 : les consommateurs percevant ces produits sous le prisme d’une recherche de qualité, d’authenticité et d’expérience gustative. Les consommateurs les considèrent comme étant de qualité supérieure aux produits industriels standardisés, car ils sont produits localement avec des méthodes artisanales, et comme plus sains et plus respectueux de l’environnement.

“Un engagement porteur d’une identité culturelle et d’une histoire collective

Mais la consommation des produits de terroir est bien plus qu’une simple question de goût et de qualité. En effet, les consommateurs cherchent à y retrouver des saveurs et des savoir-faire traditionnels, à renouer avec des pratiques culinaires anciennes et à découvrir des produits locaux typiques. Au-delà donc des motivations fonctionnelles (qualité, goût, traçabilité, effet bon pour la santé), identitaires (région d’appartenance, d’origine et culture culinaire), émotionnelles (souvenirs d’enfance, patrimoine à protéger, à transmettre), consommer des produits de terroir est aussi un acte relationnel (avec les producteurs), de résistance (achat direct chez les producteurs contre achats en grande distribution), et in fine un engagement porteur d’une identité culturelle et d’une histoire collective.

Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’importance des aspects socio-économiques et environnementaux de cette consommation. Par altruisme, les acheteurs cherchent à soutenir les producteurs locaux et à préserver les ressources naturelles. Les produits de terroir sont alors considérés comme ayant une valeur sociale, car ils contribuent au maintien du tissu socio-économique local et à la préservation de l’environnement.

En somme, la consommation des produits de terroir est un acte engagé, qui répond à des motivations multiples et complexes. Cette démarche citoyenne et responsable mérite d’être encouragée et soutenue par les distributeurs, parce qu’elle répond à des objectifs de durabilité largement partagés dans la société et qu’il en va de leur responsabilité sociale.

Du côté des distributeurs : une offre de « terroir(s) » 

Impossible désormais d’ignorer l’importance des produits de terroir dans notre économie : ce sont 22,94 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour l’ensemble des produits sous AOP, dont 20,6 pour les produits alcoolisés et 2,3 milliards d’euros pour les produits agroalimentaires (source INAO, 2020). La recherche dans le domaine du marketing permet de mieux comprendre les motivations et les attentes des consommateurs, et les distributeurs ont compris l’importance de proposer des produits de qualité, avec une histoire et une identité culturelle.

Pour répondre à ces attentes, les distributeurs doivent donc proposer des produits sous labels de qualité, et dont la traçabilité est garantie. L’aspect altruiste de la consommation des produits de terroir étant une dimension cruciale pour les consommateurs, les distributeurs sont dans l’obligation de mettre en avant les producteurs locaux, leurs savoir-faire et leurs méthodes de production respectueuses de l’environnement.

En somme, les distributeurs doivent proposer des offres de produits du terroir, de qualité, authentiques, porteurs de sens et durables. Leur valorisation doit être poursuivie et approfondie. notamment en renforçant le lien entre le produit et son origine : publicités ciblées, événements spéciaux, visites chez les producteurs ou dégustations… les moyens ne manquent pas.  Les marchés locaux et foires agricoles offrent ainsi aux producteurs une plateforme pour présenter leurs produits et partager leur passion. Enfin, une stratégie numérique solide, incluant des sites web dédiés, des blogs ou des réseaux sociaux, peut permettre d’atteindre un public plus large.

Quelques recommandations aux professionnels

Pour conclure notre réflexion, nous proposons quelques recommandations destinées aux professionnels de l’alimentaire et de l’agro-alimentaire. Il s’agit de s’écarter des pratiques qui « artificialisent » l’expression terroir en référençant par exemple des produits dont on ne connaît pas la traçabilité, et qui admettent des ingrédients non « sourcés ».

Ces propositions consistent à offrir des produits de terroir respectueux des savoir-faire ancestraux, de l’environnement, du territoire et de toutes les parties prenantes. De plus, elles permettraient aux professionnels de l’agro-alimentaire, s’ils les suivaient, d’être en phase avec les attentes des consommateurs, en matière de responsabilité sociale et de durabilité, tout en préservant l’authenticité et la valeur culturelle (mais aussi la confiance du consommateur, donc la valeur commerciale) des produits « de terroir ».

Nos recommandations se déclinent ainsi :

1- Établir des partenariats durables avec les producteurs locaux. Ces partenariats doivent être fondés sur une collaboration équitable, de toutes les parties prenantes impliquées dans la production et la distribution des produits5. La traçabilité peut renforcer la qualité, informant sur l’origine des produits, leur élaboration et parcours, facilitant ainsi un choix éclairé du consommateur. Notons que les contrôles de la qualité et la traçabilité ne sont pas l’apanage des industries ; petits producteurs et agriculteurs s’y engagent aussi, par certification biologique ou vente directe, garantissant la confiance.

2 – Privilégier les pratiques respectueuses de l’environnement. Les pratiques agroécologiques et les méthodes de production durables sont à privilégier pour préserver les ressources naturelles, l’environnement et la biodiversité. Elles doivent être encouragées afin de garantir l’authenticité des produits de terroir et leur pérennité sur le long terme.

3 – Adopter une communication transparente et responsable en informant les consommateurs sur l’origine, la qualité et les pratiques de production des produits de terroir. Cette information a un impact significatif sur leurs comportements (Symoneaux et Maître, 2010). Les connaissances sur le terroir sont, elles, essentielles pour pouvoir identifier le produit (Charters et al., 2017)6.

4 – Valoriser les savoir-faire et les traditions locales mises en œuvreen collaboration avec les acteurs locaux tels que les associations, les institutions et les experts. Ainsi, l’authenticité et la valeur culturelle de ses produits seront renforcées. Il semble nécessaire de dépouiller les pratiques de l’artifice et de laisser le « terroir » s’exprimer en le débarrassant des goûts parasites, des techniques correctrices, de bannir les pratiques commerciales douteuses et trompeuses afin de revenir à « l’expression du terroir » (nature, culture, tradition, typicité et authenticité).

5 – Des labels de qualité reconnus, crédibles et respectueux de l’environnement seraient donc les bienvenus pour garantir la traçabilité et l’authenticité de tous ces produits. La protection de l’authenticité des terroirs (notamment des Indications Protégées) devrait davantage veiller aux excès de sophistications techniques ou de particularités qui l’emportent sur les caractéristiques singulières à chaque terroir. L’élaboration du cahier des charges et/ou du référentiel permettant de juger de la conformité doit être revu et resserré sur cette « expression du terroir ». Faire participer le consom’acteur au travail de qualification de l’authenticité des terroirs et à leur reconnaissance contribuerait à une meilleure perception de leur qualité (Ilbert et al., 2005)7.

6 – Développer une culture d’innovation respectueuse de l’environnement et des territoires. En, effet, l’innovation contribue à l’amélioration de la qualité et assure la durabilité des produits de terroir tout en respectant l’environnement et les territoires. Les initiatives innovantes dans le domaine peuvent inclure la redécouverte d’ingrédients locaux pour créer de nouveaux produits, l’adoption de packagings écologiques qui mettent en valeur l’histoire du terroir, la création de plateformes de vente en ligne spécifiques, et l’introduction de formules de vente découverte (box) ou d’abonnements.

En mettant en œuvre ces recommandations, les professionnels de l’agro-alimentaire peuvent contribuer à renforcer la culture du terroir, l’identité locale et les processus collectifs ancrés dans un territoire, en offrant des produits de qualité respectueux de l’environnement et en répondant aux attentes des consommateurs. Que pourrait-on souhaiter de mieux ?

LIRE AUSSI :

  1. Chiffoleau Y., Akermann G., Canard A., 2017. Les circuits courts alimentaires, un levier pour une consommation plus durable ? Terrains travaux, 31.2, 157-177. Voir aussi : Gomez A., Naves P., 2018. Le gouvernement des circuits courts et de proximité à l’épreuve des territoires: une illustration dans quatre départements. Revue française de socio-économie 1, 259-277.
  2. 71% des Français déclarent consommer des produits de terroir (CREDOC, Enquêtes comportements et attitudes alimentaires en France 2021), et selon un sondage OpinionWay (Nov. 2021) 99% des Français consomment des produits de terroir, https://www.reussir.fr/sondage-opinionway-99-des-francais-consomment-des-produits-du-terroir
  3. Camus S., 2004. L’authenticité marchande perçue et la persuasion de la communication par l’authentification. Une application au domaine alimentaire. Recherche et Applications en Marketing, 19, 4, 119.
  4. Aurier P., Fort F., 2005. Effets de la région d’origine, du produit, de la marque et de leurs congruences, sur l’évaluation des consommateurs: application aux produits agroalimentaires. Recherche et Applications en Marketing (French Edition) 20.4 : 29-52. Voir aussi Lenglet F., Muller B., 2015. Le rôle de la proximité géographique sur la formation des attentes à l’égard d’un produit de terroir et de son packaging: le cas du reblochon. 31ème Congrès de l’Association Française de Marketing, May 2015, Marrakech, Maroc ⟨hal-01810517⟩
  5. Chaque AOC définissant l’unicité d’un produit de terroir par son aire géographique et son sol, son climat, son mode de culture, ses techniques de production, est le résultat de processus de négociations assez complexes entre parties prenantes, voir C. Compagnone, 2007, https://www.cairn.info/revue-negociations-2012-2-page-63.htm
  6. Symoneaux R., Maître I., 2010. Perception des attributs du terroir par les consommateurs de vins. Revue Suisse Vitic. Arboric. Hortic 42.6, 370-375. Voir aussi : Charters S., Spielmann N., Babin B.J., 2017.  The nature and value of terroir products. European Journal of Marketing, 51(4):748-771.
  7. llbert H. et al., 2005. Produits du terroir méditerranéen : conditions d’émergence, d’efficacité et modes de gouvernance. Rapport final CIHEAM-IAMM, Montpellier, 298 p. 

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