« La monoculture de la vigne est aujourd’hui risquée »
Un entretien avec Iñaki Garcia de Cortazar Atauri, ingénieur de recherche Inrae, directeur de l’unité AgroClim en charge des études d’impact du changement climatique. Dans le cadre de l’enquête « Arracher les vignes, et après ? » pour le 17ème numéro de la revue Sesame (mai 2025).
Stéphane Thépot : On lit dans la presse grand public que, avec le réchauffement climatique, on pourrait bientôt voir des champs d’oliviers autour de Bordeaux. Est-ce un futur possible ou juste une manière de marquer les esprits ?

(Dessin par Gilles Sire (© tous droits réservés))
Iñaki Garcia de Cortazar Atauri : Les changements sont déjà visibles aujourd’hui dans tous les domaines de l’agriculture et ils sont encore plus importants au nord de la France qu’au sud. On assiste à un dérèglement du cycle végétatif qui impacte aussi l’élevage par la pousse du fourrage. Partout, cette question se pose : comment gérer les systèmes agricoles face à ces conditions climatiques changeantes ? La succession d’événements extrêmes qui ont donné lieu à des calamités agricoles a frappé les esprits. Les raisins séchés sur pied dans l’Hérault lors de la canicule de juin 2019 ont vraiment fait peur à toute la profession ; en 2021, on a eu du gel sur plusieurs vignobles et vergers ; en 2022-2023, ce fut une sécheresse sévère, suivie d’épisodes de fortes pluies qui ont gravement impacté les récoltes. Quand on est confronté chaque année à un événement extrême, cela remet en question nos systèmes, qui étaient conçus et optimisés pour un climat stationnaire.
Vous avez des solutions ?
La diversification me semble être un véritable enjeu. Si on ne cultive qu’une seule espèce, on est bien plus exposé aux risques. On peut bien sûr introduire plusieurs cépages en les combinant avec différents porte-greffes mieux adaptés à cette variabilité climatique. Mais la spécialisation de certaines régions dans la monoculture de la vigne est aujourd’hui risquée. Il faut préciser que le phénomène est assez récent. On a tendance à oublier que, dans le Vaucluse par exemple, le blé était la culture principale au XIXe siècle et qu’on y trouvait des fermes en polyculture jusque dans les années 1950-60.
Aujourd’hui, d’autres cultures peuvent s’intégrer dans les vignobles. Je suis conscient que c’est facile à dire et bien plus compliqué à appliquer. Certains producteurs osent pourtant franchir le pas. Le cas le plus emblématique que je connaisse est celui d’un viticulteur du côté du Ventoux qui s’est lancé, il y a environ cinq ans, dans la culture du blé et qui élargit chaque année le nombre d’espèces cultivées dans son exploitation. Il s’est équipé d’un moulin pour fabriquer de la farine et a trouvé un boulanger pour faire du pain. Selon lui, la vigne seule ne peut subvenir aux besoins alimentaires. Son objectif est de retrouver la vocation première de tout agriculteur : donner à manger à ses voisins. Sans toutefois laisser la vigne de côté, laquelle « sécurise son revenu », comme il dit.
Qui vient vous consulter à Avignon et que vous demande-t-on ?
Nous sommes d’abord une unité de service pour l’ensemble des chercheurs d’Inrae. Ensuite, on ne peut pas répondre à l’échelle du producteur mais nous collaborons avec les chambres d’agriculture ou les instituts techniques qui assurent l’interface. Nous sommes en mesure de leur fournir des outils et des méthodes pour explorer les impacts, définir des stratégies locales d’adaptation. Nous les accompagnons via notamment le Réseau mixte technologique ClimA1.
On nous demande parfois s’il faudrait cultiver des fruits comme des citrons ou des papayes mais nous nous devons de mettre en garde la profession. Concernant les espèces exotiques comme l’avocat, la banane ou la mangue, ces plantes tropicales ne supportent pas le gel et ont besoin d’un climat humide. Il faut tenir compte des ressources locales, notamment en eau. Ce que l’on doit éviter à tout prix, c’est la maladaptation. Par exemple, en remplaçant la vigne par l’amandier. Certes, il pousse facilement en bord de route mais, si on veut des fruits, il faut irriguer les vergers, comme en Espagne.
Pour d’autres espèces historiques de la Provence, comme la pistache ou la grenade, la question est de savoir pourquoi leur culture a été abandonnée. La réponse est une nouvelle fois économique. Elle dépend des filières déjà en place pour approvisionner les marchés et de la capacité à en développer de nouvelles qui seront concurrentielles et « robustes ». Dans le Vaucluse, la chambre d’agriculture a démarré un travail d’accompagnement vers la diversification. C’est un gros chantier, mais une prise de conscience est en train de s’opérer visant davantage de durabilité pour avoir des exploitations résilientes.
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- Le RMT ClimA rassemble un collectif d’experts de la recherche, de la formation et du développement pour accélérer la conduite et le transfert des travaux de R&D sur l’adaptation des exploitations agricoles au changement climatique. Il est porté par Chambres d’agriculture France et coanimé avec Arvalis.