Union Libre Clément Coulet © Gilles Sire 2024

Published on 28 juin 2024 |

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« Il y a un risque d’opposer les populations »

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Troisième partie du dossier “Mangez jeunesse !”, en collaboration avec la Chaire Unesco Alimentations du Monde, extrait du quinzième numéro de la revue Sesame,
Un entretien avec Clément Coulet, coordinateur « Accès à l’alimentation pour tous » au sein du réseau Civam.
Par Lucie Gillot
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Dessin : © Gilles Sire 2024

Derrière ses lunettes et son visage juvénile, se cache un jeune homme au verbe tranché. Invité à conclure le colloque de la chaire Unesco Alimentations du Monde, Clément Coulet n’a pas mâché ses mots, déplorant que la seule chose qui unirait la jeunesse serait sa précarisation et pointant du même coup les limites de politiques alimentaires qui ratent trop souvent leurs cibles. Entretien. 

Les Civam sont des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural. À cet égard, vous êtes donc sur le terrain, aux côtés des agriculteurs et des agricultrices. Bien que ce ne soit pas votre mission principale, avez-vous également constaté la précarisation et la fragmentation de la jeunesse ?

Clément Coulet. Effectivement, notre travail n’est pas axé vers une catégorie d’âge plus qu’une autre. Pour autant, nous observons deux choses. Tout d’abord, la précarisation de la jeunesse est réelle, en ville comme à la campagne. En tant que Civam, cette situation nous questionne forcément dans le contexte actuel de renouvellement des générations agricoles et de tension sur le foncier : une jeunesse précaire sera moins encline à embrasser une carrière agricole, laquelle nécessite souvent des capitaux pour s’installer. L’enjeu est important : on peut discourir sur l’importance de s’alimenter sainement et durablement, mais cela va être conditionné par le renouvellement de la profession et les modes de production de ces futurs agriculteurs.

Ensuite, il y a une invisibilisation assez évidente des jeunes ruraux, comme d’une jeunesse ouvrière ou employée, en comparaison d’une jeunesse étudiante plus visible dans le sens où elle est mieux représentée et organisée. J’ajouterai toutefois cette nuance : là aussi des inégalités se font jour, selon les écoles et les diplômes préparés.

Tout cela pose nécessairement question dès lors qu’il s’agit de penser des politiques alimentaires à destination de la jeunesse…

Lorsqu’on parle de politique alimentaire pour la jeunesse, j’ai l’impression que l’on va déployer des choses autour de l’éducation nutritionnelle et de la durabilité des modèles. Avec souvent cette idée – ce préjugé pourrait-on dire : il faut éduquer et informer. Or, à mon sens, il s’agit d’abord de donner à chacun les moyens de choisir son alimentation, sans oublier le fait que, selon votre lieu de résidence, l’offre alimentaire va considérablement varier. Cela implique en outre de penser des politiques ou des actions qui soient universelles, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Prenons l’initiative des repas à 1 euro des Crous, lancée pour lutter contre la précarité étudiante. Celle-ci présente au moins deux angles morts. Le premier, assez évident, c’est l’exclusion des étudiants non boursiers du système, alors même qu’ils constituent la majorité de ceux qui fréquentent l’aide alimentaire. L’autre, signalé par un rapport de l’Assemblée nationale, c’est l’absence de Crous dans certaines villes éloignées des campus, ce qui est notamment le cas des villes moyennes qui accueillent des antennes universitaires. Pour le seul cas des étudiants, les moyens mis en œuvre génèrent donc des inégalités.

En ciblant ainsi les aides et les politiques, il y a un risque d’opposer les populations : d’un côté, ceux qui y seront éligibles, de l’autre, ceux qui en seront exclus, lesquels ne manqueront pas de se sentir mis de côté. Voilà pourquoi au sein du réseau Civam, nous nous battons pour des politiques plus universelles. D’où notre choix, pour ce qui concerne la lutte contre la précarité alimentaire, de défendre l’idée d’une Sécurité sociale de l’alimentation.

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