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Les échos & le fil © yann kerveno

Publié le 3 septembre 2025 |

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Gêne dans la morale

Drôle de sujet pour cette rentrée. A-t-on le droit de faire disparaître une espèce au motif qu’elle est gênante ? Comme la Lucilie bouchère par exemple (mais pas seulement) qui grignote avec gourmandise les animaux (et les hommes) vivants ? C’est le fil du mercredi 3 septembre 2025.

Visuel : © yann kerveno

La lucilie bouchère refait parler d’elle. Cette délicate petite mouche qui vient pondre ses œufs dans les plaies des animaux (et des humains à l’occasion) et dont les asticots peuvent conduire l’animal infecté jusqu’à la mort, va faire l’objet d’un investissement de 750 M$ au Texas. C’est le prix de la construction d’une usine destinée à produire des mouches stériles, 300 millions par semaine, destinées à venir enrayer la reproduction de l’espèce. Le monde de l’élevage américain est sur les dents depuis la découverte d’un cas au Mexique, à près de 600 kilomètres de la frontière, cas qui a conduit à la suspension des importations de bétail mexicain aux États-Unis et plus récemment, de l’annonce d’un cas humain détecté sur une personne en provenance d’Amérique centrale. Alors que le cheptel n’a jamais été aussi réduit depuis 70 ans et qu’une apparition de la mouche pourrait coûter 1,8 milliard de dollars au seul État du Texas. En attendant la mise en service d’ici deux à trois années de cette usine d’un genre nouveau, le ministère américain de l’agriculture va consacrer 100 M$ à la surveillance des frontières pour repérer l’éventuel passage d’animaux sauvages porteurs de ces asticots. Si la menace est prise très au sérieux par le monde de l’élevage qui critique à l’envi les autorités sanitaires pour leur manque de transparence sur ce cas, c’est parce que de vieux souvenirs resurgissent. La lucilie bouchère a disparu du paysage des États-Unis depuis les années soixante, au Mexique depuis les années soixante-dix à la suite de campagnes massives de diffusion d’insectes stériles…

Vieille pratique

Cette technique, appelée TIS, consiste à stériliser des mâles en les exposant à des rayons X ou gamma, puis à les relâcher dans la nature afin de diminuer les taux de reproduction de l’espèce… Elle est largement utilisée dans le monde depuis six décennies contre la mouche tsé-tsé, la mouche méditerranéenne des fruits ainsi que les moustiques et présentée comme la plus écologique possible : « La TIS diffère de la lutte biologique classique, qui consiste à introduire des agents de lutte biologique non indigènes, à plusieurs égards : les insectes stériles ne se reproduisent pas et ne peuvent donc pas s’établir dans l’environnement. La rupture du cycle reproductif du ravageur, également appelée lutte autocidaire, est par définition spécifique à l’espèce. La TIS n’introduit pas d’espèces non indigènes dans un écosystème » écrit ainsi l’Agence internationale de l’énergie atomique qui aide au développement de cette technologie. Mais elle est relativement peu efficace pour d’autres ravageurs, typiquement les moustiques tels l’anophèle (vecteur du paludisme) et Aedes aegypti (vecteur de Zika ou du Chihungunya) dont les populations sont trop importantes pour espérer être ainsi régulées. Pour ces cas particuliers, d’autres techniques, appuyées par le génie génétique, ont été imaginées comme celle du « gène moteur » qui va s’auto-propager dans les populations visées jusqu’à, possiblement, l’extinction de l’espèce. Même si techniquement, les choses sont loin d’être aussi simples à mettre en œuvre et surtout à contrôler …

Techniques

De quoi mettre en lumière une étude publiée au printemps dans Science et signalée par AGDaily. Les chercheurs s’y sont en effet demandé dans quelle mesure il serait possible de procéder à l’éradication d’une espèce problématique (pour l’homme principalement mis pas seulement). Les chercheurs ont réfléchi à partir de trois cas emblématiques, la lucilie bouchère (Cochliomyia hominivorax) justement, le moustique Anophèle gambiae, principal vecteur du paludisme (plus de 200 millions de cas et environ 600 000 décès annuels) ou encore la souris ou le rat noir. « Ces cas mettent en évidence la tension entre la valeur intrinsèque d’une espèce et les avantages de l’éradication d’un ravageur nuisible » explique Clare Palmer, professeur de philosophie à la Texas AM University avant de poursuivre « si les souffrances causées par ces espèces sont indéniables, les implications éthiques de la destruction délibérée d’une espèce sont profondes. Nous devons peser soigneusement les implications écologiques et morales de telles actions. » Pour construire leur réflexion, les chercheurs se sont ensuite appuyé sur les différents moyens utilisables, depuis la libération d’insectes stériles, la production et libération de mâles qui vont transmettre un gène qui tue les larves femelles, technique possiblement associée à une autre qui permettrait la diffusion naturelle du gène tueur dans l’espèce pour conduire à sa disparition. Combinaison proposée pour la lucilie et l’anophèle. Pour les rongeurs, c’est une autre voie qui est étudiée celle du forçage génétique, proposé notamment pour alléger la pression sur des populations endémiques mises en danger par la prédation, en particulier dans les îles.

Casse-tête moral

L’étude propose ainsi un cadre de réflexion pour la mise en œuvre de ces technologies en arguant qu’il est en effet possible d’envisager la destruction d’une espèce. À condition que : « L’espèce cause des souffrances extrêmes, qui pourraient autrement être évitées, aux êtres humains ou aux animaux. Les méthodes de contrôle traditionnelles s’avèrent inadéquates ou impossibles à mettre en œuvre. L’espèce n’a pas d’importance écologique cruciale. Le risque de conséquences imprévues reste négligeable. Les communautés locales et les parties prenantes participent de manière significative à la prise de décision. » Clare Palmer, philosophe qui a pris part aux travaux a expliqué qu’elle espérait que cette étude influencerait les politiques publiques et les pratiques de conservation. « Notre objectif est de favoriser une compréhension plus nuancée des dimensions éthiques de la modification du génome. Nous devons trouver un équilibre entre les avantages potentiels et les responsabilités morales que nous avons envers toutes les espèces. » L’étude est là, bonne cogitation, jusque dans les commentaires si vous le souhaitez !

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