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De l'eau au moulin foret

Publié le 13 décembre 2024 |

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Forêts : quel rôle joue la diversité des essences ?

En quoi la diversité des essences permet-elle à un écosystème forestier de mieux fonctionner, de résister aux aléas, d’héberger plus de biodiversité et de mieux protéger les sols ? Est-il possible de favoriser les forêts mélangées pour mieux adapter ces écosystèmes aux conditions futures ? Le point sur les connaissances actuelles.

Par Xavier Morin, directeur de recherche au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, CNRS, pour le 16e numéro de la revue Sesame,

Les forêts occupent une place privilégiée dans les écosystèmes naturels, couvrant par exemple presque un tiers de la surface de l’Europe ou du territoire hexagonal – où près de la moitié des sites classés Natura 2000 sont définis comme forêts. Les écosystèmes forestiers abritent une grande part de la biodiversité européenne et française. Ainsi, la région méditerranéenne possède les écosystèmes forestiers avec la plus forte diversité en arbres et arbustes de la zone tempérée, avec plus de 300 espèces présentes rien qu’en France. Plus généralement, les forêts sont des systèmes socioécologiques complexes qui apportent de nombreuses contributions à l’homme et au vivant en général.

Cependant, comme la plupart des écosystèmes de la planète, les forêts françaises, en particulier métropolitaines, sont de plus en plus touchées par le changement climatique en cours. Celui-ci modifie leur structure, leur biodiversité, altère leur fonctionnement et menace jusqu’à leur renouvellement. Réduire la vulnérabilité et augmenter la résilience des forêts face à des aléas naturels multiples est devenu un objectif central pour la gestion forestière.

Dans le même temps, la pression pour la décarbonation de l’économie s’accroît, avec une forte demande de produits forestiers biosourcés et une volonté d’augmenter le stockage du carbone en forêt et sa séquestration dans des produits bois. Et cela alors que les attentes sociétales en faveur des écosystèmes forestiers sont plus prégnantes que jamais (hébergement de biodiversité, qualités esthétiques, santé et bien-être, cadres de vie ou de loisirs, etc.). Les politiques publiques liées à la forêt sont ainsi actuellement en pleine refonte, dans le but de promouvoir l’adaptation de nos forêts au changement climatique et notamment de leur permettre de continuer à stocker du carbone.

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Dans ce contexte, la diversification des peuplements forestiers, en termes d’espèces d’arbres (ou essences), est considérée comme une orientation prometteuse pour l’adaptation de ces milieux, que ce soit pour limiter leur vulnérabilité ou maintenir leurs contributions, telle leur fonction de stockage de carbone. Au cours des dernières années, de nombreux travaux ont quantifié les différences entre forêts monospécifiques et diversifiées ou plutôt mélangées.

Cet article cherche à présenter l’état de ces connaissances sur les fonctions écologiques et les bénéfices que le mélange d’essences peut procurer, tout en abordant les défis actuels auxquels les écosystèmes forestiers font face.

Que désigne la diversité ?

La diversité des essences se réfère à la variété des espèces d’arbres et d’arbustes présents dans un écosystème forestier. Cette notion inclut donc non seulement le nombre d’espèces, mais aussi la diversité génétique au sein de chaque espèce.

Nous nous focaliserons ici sur les aspects interspécifiques, même s’il est important de souligner qu’un nombre croissant d’études mettent en évidence le rôle de la diversité génétique au niveau intraspécifique.

Comme évoqué ci-avant, le terme de « forêt mélangée » fait référence à une forêt comprenant plusieurs essences forestières. La « diversité » mentionnée sera donc une diversité d’espèces d’arbres. De plus, on parlera ici uniquement d’un mélange à petite échelle, c’est-à-dire « pied à pied » ou encore « intime », car la majeure partie des travaux scientifiques se concentre sur cette échelle.

Par la suite, nous allons illustrer divers aspects des forêts mélangées par rapport aux forêts monospécifiques. Ces différentes facettes sont résumées dans la figure 1.

Effet du mélange d’espèces sur le fonctionnement de l’écosystème

Les différences de productivité en biomasse ou en volume sont un des premiers effets qui ont été testés entre forêts mélangées et forêts monospécifiques, que ce soit empiriquement ou expérimentalement. En moyenne, les études montrent une « surproductivité » du mélange par rapport au peuplement avec une seule espèce. Cet effet varie fortement selon les essences concernées, l’âge des peuplements, mais aussi les conditions environnementales, notamment climatiques.

Plusieurs hypothèses, non exclusives, ont été proposées pour l’expliquer. La majeure partie d’entre elles invoque la complémentarité entre espèces quant à leur architecture et à leur utilisation des ressources, au niveau de la lumière, de l’eau et des nutriments.

Cet effet se retrouve aussi dans le temps : une forêt plus riche en essences montre généralement une plus grande stabilité temporelle de sa productivité. Autrement dit, le fonctionnement des forêts mélangées connaîtrait des variations interannuelles atténuées par rapport aux forêts composées d’une seule essence.

Sur la résistance face aux aléas et perturbations.

Sécheresses

Même s’il n’y a pas de consensus scientifique sur cette question du fait qu’il existe de nombreux contre-exemples, il semblerait que les forêts mélangées résistent mieux aux sécheresses que les forêts monospécifiques. Comprendre pourquoi certaines associations d’essences sont plus résistantes que d’autres constitue actuellement un front de science. Là encore, plusieurs hypothèses ont été proposées pour expliquer chaque cas. Une hypothèse générale à tous les aléas est celle du « portefeuille » : une forêt plus diversifiée a plus de chances d’inclure une espèce capable de mieux résister à un aléa, comme la sécheresse, et ainsi de compenser les impacts subis par les autres espèces – du fait que chaque essence possède un seuil de tolérance et une capacité d’adaptation spécifiques par rapport à la sécheresse. Une hypothèse plus fonctionnelle est celle de la « remontée capillaire » ou « remontée hydraulique », selon laquelle l’eau serait redistribuée dans le sol par les racines des arbres, grâce aux différences de profondeur d’enracinement entre les essences. Ainsi, certaines espèces d’arbres absorbent l’eau des couches plus profondes la nuit, quand la transpiration est réduite, et redistribuent ensuite cette eau vers les couches plus superficielles du sol. Ce phénomène permet aux plantes avec des réseaux racinaires moins profonds de réduire leur stress hydrique en comparaison d’une situation monospécifique.

Tempêtes

Il semble que les forêts mélangées aient également une résistance accrue face aux tempêtes. Ceci serait dû au fait que le mélange d’essences induit souvent une structure de la canopée plus complexe, faite de plusieurs strates. Ce meilleur étagement de surface foliaire du peuplement forestier permettrait de mieux dissiper l’énergie du vent et donc de réduire les impacts (casse de branches, déracinement) des forts coups de vent, par rapport à une forêt avec une essence dominante. Il faut cependant noter que cette complexité de structure peut parfois être observée en forêts monospécifiques quand celles-ci présentent diverses classes d’âge, comme c’est le cas avec les futaies irrégulières.

Pathogènes et ravageurs

Les forêts diversifiées présentent une résistance accrue face aux maladies et aux ravageurs. Là encore diverses hypothèses sont formulées pour expliquer ce phénomène. Les pathogènes et ravageurs sont souvent hôtes spécifiques : ils s’attaquent à une essence en particulier. Lorsque cette espèce prédomine, une infestation peut rapidement se propager et provoquer davantage de ravages que lorsqu’elle est mélangée avec d’autres. Ainsi, dans le cas d’un insecte ravageur tel que le scolyte, qui sévit dans les forêts de conifères en situation de stress hydrique, l’espèce cible comme l’épicéa sera moins attaquée car plus difficile à détecter par l’insecte.

Incendies

Le risque d’incendies de forêt est plus fort du fait du contexte du changement climatique. Les forêts mélangées, comprenant à la fois des espèces résistantes au feu et des espèces moins sensibles, peuvent réduire la propagation des flammes. Certaines essences peuvent même agir comme de véritables coupe-feu, protégeant ainsi les zones environnantes. Reste qu’une forêt plus diversifiée, qui peut être plus productive et ainsi comporter plus de biomasse, peut aussi proposer plus de combustible qu’une forêt moins productive. Sur ce point, donc, il est difficile de donner un avis tranché, d’autant plus que très peu d’études portent sur l’effet de la diversité en essences par rapport au risque incendie.

De meilleures fonctionnalités écologiques ?

Habitats pour la faune

Il est difficile d’étudier toute la biodiversité d’une forêt en même temps en inventoriant l’ensemble des communautés animales, végétales, fongiques et microbiennes. Or, ici, la question d’échelle spatiale est centrale. Il semble cependant possible d’avancer que les forêts mélangées hébergent en moyenne davantage de biodiversité que les forêts monospécifiques. En effet, une plus grande richesse des espèces d’arbres offre davantage d’habitats pour la faune et la flore forestières.

Microclimat forestier

Un nombre croissant d’études quantifient le microclimat en forêt : sous couvert forestier, les extrêmes climatiques (température, humidité) sont atténués par rapport à un terrain découvert. Il semblerait de plus que cet « effet tampon » du climat soit plus fort dans les forêts diversifiées, même s’il y a encore peu d’études sur ce sujet. Le mélange d’essences crée une stratification végétale (canopée, sous-bois, sol) qui régulerait mieux les variations de température, d’humidité et de vent. De plus, les différentes structures et besoins hydriques des arbres favorisent la redistribution de l’eau (comme la remontée hydraulique) et le maintien de l’humidité du sol, ce qui réduit les écarts thermiques et protège la forêt contre les sécheresses et les températures extrêmes. Ceci aurait également pour conséquence de réduire les risques d’incendie en saison sèche.

Protection des sols, régulation du cycle de l’eau et filtrage de l’air

Les forêts jouent un rôle fondamental dans la régulation du cycle de l’eau, et les forêts mélangées seraient, en ce domaine également, plus efficientes. La diversité des racines et des canopées permet une meilleure infiltration des eaux de pluie et une rétention accrue dans le sol, réduisant ainsi le risque d’érosion et d’inondation. Cette capacité à retenir l’eau est particulièrement importante dans les régions sujettes à des événements climatiques extrêmes. De même, la capacité de filtrage de l’eau serait meilleure dans les forêts avec une plus grande diversité d’espèces.

Les forêts diversifiées sont également plus efficaces dans le filtrage de l’air. Chaque espèce d’arbre a des caractéristiques uniques de feuillage, d’écorce et de canopée qui influencent la capture des particules fines, liées aux polluants atmosphériques (comme l’ozone et le dioxyde de soufre). Cette diversité structurelle augmente la surface de contact entre l’air et les plantes, optimisant la capacité de filtration de la forêt. En absorbant une gamme variée de polluants, les forêts diversifiées réduisent la pollution de l’air et améliorent la qualité de l’atmosphère environnante, comme cela a été récemment montré dans une étude à l’échelle de l’Europe.

Lire aussi : Forêt, entre espoirs et embûches

Alors que les menaces sont de plus en plus pressantes et que de grandes incertitudes demeurent quant à la capacité de réponse des forêts, le mélange d’essences constitue un levier d’action important pour améliorer leur adaptation aux conditions futures. Cette voie doit cependant être empruntée de façon raisonnée et appropriée, en se reposant sur le savoir-faire de générations de forestiers. Pour l’heure, force est de constater que la piste d’adaptation la plus subventionnée par les programmes nationaux privilégie en France les plantations, lesquelles sont en majeure partie monospécifiques.

S’il est parfois nécessaire de planter, il semble évident que les projets de reforestation devraient privilégier les espèces locales, et surtout variées, pour garantir non seulement une meilleure adaptation au climat de la région, mais aussi pour renforcer la résilience de l’écosystème face aux perturbations. Mais, avant tout, alors que la forêt française est composée pour moitié de forêts monospécifiques, la diversification doit se faire dans ces peuplements existants. Plusieurs solutions existent pour y parvenir, par exemple en favorisant la sylviculture mélangée à couvert continu ou par enrichissement via des plantations sous couvert. Plus généralement, de nombreuses études récentes soulignent que les forêts anciennes, qui présentent souvent une grande diversité d’essences, restent non seulement productives, mais agissent comme des réservoirs de biodiversité et sont essentielles pour le maintien des fonctions écologiques.

Enfin, je ne peux m’empêcher de souligner le besoin crucial d’améliorer nos connaissances sur la manière dont la diversité des essences impacte le fonctionnement des écosystèmes ainsi que la résistance et la résilience des forêts face aux aléas et perturbations. Seule cette meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents nous permettra d’adapter durablement nos stratégies de gestion. Le programme national FORESTT1, lancé en septembre 2024, devrait contribuer à apporter des éléments concrets sur ces questions.

La préservation de la diversité et ses effets sur l’écosystème forestier n’est en effet pas seulement une question d’écologie forestière, elle met en jeu également la durabilité économique et sociale, essentielle pour notre bien-être et pour celui de notre planète.

Pour aller plus loin

  • Ammer C., 2019. “Diversity and forest productivity in a changing climate”. New Phytologist, 221(1), 50-66. https://doi.org/10.1111/NPH.15263
  • Messier C., Bauhus J., Sousa-Silva R., Auge H., Baeten L., Barsoum N. et al., 2022. “For the sake of resilience and multifunctionality, let’s diversify planted forests!Conservation Letters, 15(1), e12829. https://doi.org/10.1111/CONL.12829
  • Van der Plas F., 2019. “Biodiversity and ecosystem functioning in naturally assembled communities.Biological Reviews, 94, 1220-1245. https://doi.org/10.1111/brv.12499

Lire aussi

  1. FORESTT est un programme de recherche interdisciplinaire sur la transition socioécologique des systèmes forestiers, en zones tempérées et tropicales. Ce programme s’inscrit dans le cadre du plan d’investissement France 2030. Doté d’un budget de 40 M€ sur 7 ans (2024-2030), il mobilise l’ensemble de la communauté scientifique française pour accroître les connaissances et améliorer la résilience de ces écosystèmes.

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