Par ailleurs colère agricole

Published on 27 mai 2024 |

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« Entendez-vous l’écho… de la grogne ? »

Fin 2018, alors que la France connaissait un mouvement social de masse, des manifestants irakiens à Bassorah, à plus de 5 000 km de nos ronds-points, revêtaient eux aussi des gilets jaunes. Inspirés par les images qui circulaient sur les réseaux sociaux, les Irakiens se sont emparés de ce vêtement symbolique pour s’inscrire dans le sillon d’une France « exemple de révolutions populaires réussies », comme le disaient les figures de la fronde antigouvernement en Irak. Cette nouvelle crise en Europe est-elle contagieuse ?

Une chronique de Matthieu Brun, directeur scientifique de la Fondation pour l’Agriculture et la Ruralité dans le Monde (FARM), pour le quinzième numéro de la revue Sesame,

Les mobilisations agricoles en France et en Europe ne sont pas rares, en particulier lorsque le calendrier des campagnes agricoles et celui des campagnes électorales se rejoignent et qu’elles s’annoncent difficiles. Mais ces mouvements s’inscrivent dans un ensemble plus vaste. Comme l’a rappelé le leader paysan malien, Ibrahima Coulibaly, « being a peasant is about resistance, it means refusing to be marginalized and making our voices heard »1 (« Être paysan c’est résister, c’est refuser d’être marginalisé et faire entendre sa voix. »).

Depuis le début de cette décennie, des Amériques à l’Asie en passant par l’Europe ou l’Afrique, les agriculteurs ont pris la rue, protesté ou se sont mobilisés à bas bruit contre des situations extrêmement différentes. Elles ne semblent avoir qu’un seul point commun : le fardeau difficilement supportable de l’incertitude économique et politique dans un contexte de bouleversements climatiques. On lit partout la colère issue de la rupture du contrat social qui lie, liait ou n’a jamais lié les producteurs et leurs gouvernements. En Inde, en 2020-2021, les agriculteurs avaient marché sur Delhi pour protester contre les réformes du Premier ministre Modi, sur lesquelles il était finalement revenu. Mais, en début d’année et à quelques mois des élections législatives, dans le pays le plus peuplé du monde où près d’un Indien sur deux travaille en agriculture, les manifestations ont repris, avant d’être arrêtées momentanément en raison de la mort tragique d’un jeune agriculteur de vingt-deux ans. Les manifestants demandent que soit appliqué un prix minimum garanti de soutien, appelé parfois prix plancher.

Des promesses non tenues en Inde, quand, au Sri Lanka, c’est la politique du pays qui a poussé les paysans dans les rues. Du jour au lendemain, ceux-ci se sont trouvés privés d’intrants chimiques dans un État au bord du gouffre économique. Le contrat social, si faible eût-il été, s’est rompu et les producteurs ont dû porter le fardeau économique de ces choix politiques. Dans de nombreux pays du Sud, on leur demande de s’ajuster aux changements de normes de production et de commercialisation – avec par exemple les impacts de la règlementation européenne sur la déforestation importée – mais aussi au changement climatique, plus vite que leurs capacités financières ou techniques ne le leur permettent et sans recevoir en contrepartie une juste rémunération. Vous y voyez des similitudes ?

Outre-Atlantique, les producteurs et organisations professionnelles ou syndicales suivent de près ce qui se passe en Inde et en Europe, se remémorant la crise du secteur que le pays a connue dans les années 1980. Bien qu’encore relativement silencieux, les producteurs américains vont connaître en 2024 une baisse significative de leurs revenus, environ 25 % par rapport à 2023. Selon le Département d’agriculture américain, l’USDA, il s’agirait de la plus forte baisse enregistrée depuis que ces calculs sont réalisés ! Entre baisse des cours sur les marchés, hausse des coûts de production et incertitudes sur le Farm Bill, l’année agricole 2024 pourrait être fortement chahutée aux États-Unis… et sur la planète.

Lire aussi

  1. Coulibaly, Ibrahima & Grajales, Jacobo. (2023). « Being a peasant is about resistance : West African peasant movements and the struggle for agrarian justice ». The Journal of Peasant Studies.

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