par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue.

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Bruits de fond

Published on 14 juin 2018 |

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Dans la peau de quelqu’un d’autre

par Sergio Dalla Bernardina, ethnologue.

Les contre-exemples ne manquent pas : tout le monde sait que Naomi Campbell, après avoir milité pour la cause animale, a changé d’avis et posé sans scrupule pour un grand fourreur newyorkais. Les nostalgiques font même de la provocation, comme la maison Fendi qui, en juillet 2017, a présenté au théâtre des Champs-Élysées sa nouvelle collection « Haute-fourrure » signée, comme les années précédentes, par Karl Lagerfeld. Mais, si les irréductibles persévèrent dans un choix vestimentaire de plus en plus idéologique (« Je suis riche et méchant, et alors ? »), le déclin de la fourrure en Europe est flagrant 1 : après le Royaume-Uni, l’Autriche, les Pays-Bas, l’Allemagne et la République tchèque, même la Norvège, le plus grand exportateur au monde de peaux de renard, s’apprête à bannir les élevages. On trouve les fourrures, qu’elles soient « domestiques » ou « sauvages », de plus en plus anachroniques : nous ne sommes plus à l’époque où Napoléon, déguisé en Jupiter, posait pour Ingres dans un manteau d’hermine.

L’animal-fourrure

Il fut un moment, dans la perception collective, où le lien entre la fourrure et son « fournisseur » avait disparu. En Italie, dans les années du boom économique, lorsqu’on parlait du vison on ne se référait plus à l’animal mais directement à la pelliccia (la fourrure) : « Ha regalato alla moglie uno splendido visone » (« Il a offert à sa femme un merveilleux vison »). Tout Italien voulant prouver sa réussite sociale au temps de Sophia Loren et Claudia Cardinale devait offrir à son épouse un meraviglioso visone. C’était un peu comme au temps de l’« animal-machine » de Descartes et Malebranche : qu’est-ce que le vison ? C’est un dispositif pour produire des fourrures.

Dans la peau de qui ?

Mais endosser la peau d’un animal n’est jamais un geste anodin : on a toujours le doute que l’âme de l’ancien propriétaire soit encore là, tapie quelque part entre les poils et la peau. Dans certaines sociétés c’était une évidence. Comme le rappelle Georges Dumézil, les Berserkir, ces anciens guerriers scandinaves qui avant la bataille s’enveloppaient dans des peaux de loup, d’ours ou de sanglier « […] ne ressemblaient pas seulement à des loups, à des ours, etc. par la force et par la férocité ; ils étaient à quelque degré ces animaux mêmes 2 ». C’est un peu pareil pour les gardes de la reine d’Angleterre : leurs gros bonnets poilus ne se limitent pas à symboliser les vertus du grizzly, ils les transmettent par contiguïté.

Vraies-fausses fourrures

On comprend mieux alors le malaise que peut produire, même chez les plus cyniques, le fait de savoir que la bête qui a « donné » sa fourrure a vécu dans une cage de 90 sur 70 centimètres : « Ne va-t-elle pas nous transmettre son malheur ? » Et on comprend le dégoût ressenti par ces amateurs de fourrures artificielles ayant découvert, dans le quartier chinois de Milan , qu’ils avaient acheté des fourrures authentiques : « Mais alors, il faut que je sache, c’étaient les peaux de quelles espèces ? Lapins ? Chats ? Chiens ? Quelle horreur, j’ai passé deux ans dans la peau d’un chow-chow. Ne deviendrai-je pas un loup-garou ? »

  1. Même si les Russes et les Chinois, impatients de rejoindre le modèle occidental, semblent donner à ce secteur un nouveau souffle.
  2. Georges Dumézil, Heur et malheur du guerrier, Paris, Champs Flammarion, 1985, p. 208.

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