Publié le 19 juin 2024 |
0Coup de Jarnac au Conseil de l’UE
Pour un coup de théâtre, c’est un coup de théâtre, et on en parle dans le Fil de Sesame du 19 juin 2024. Alors que l’on croyait enterrée la loi sur la restauration de la nature, la volte-face de Leonore Gewessler, ministre verte autrichienne de l’environnement, contre l’avis du gouvernement auquel elle appartient, a permis l’adoption du texte par le Conseil de l’UE. De justesse.
Ce qui n’est pas du goût d’un de ses partenaires au sein du gouvernement de coalition qui dirige le pays. Le Parti Populaire Européen (PPE) a même annoncé son intention d’assigner la ministre en justice pour abus de pouvoir, une accusation grave dans le droit autrichien qui l’assimile à un fait de corruption et prévoir entre 6 mois à 5 ans de prison et jusqu’à 10 ans. Mais l’affaire ne s’arrêtera pas là puisque le chancelier autrichien Karl Nehammer (du même parti), a indiqué que l’Autriche allait déposer un recours en annulation devant la Cour de justice européenne. La raison : le vote de la ministre n’est pas conforme aux instructions qu’elle avait reçues, l’Autriche devant s’abstenir. Leonore Gewessler a, pour sa part, indiqué qu’elle avait agi en conscience pour « le bonheur des générations futures ».
Volte-face
La polémique autour de ce texte dure quasiment depuis le jour où il a été présenté dans le cadre du Green Deal dont il est un des piliers. C’est principalement le PPE qui a mené la fronde au Parlement européen pour tenter de faire capoter le projet et qui est parvenu à l’édulcorer avec l’appui des manifestations des agriculteurs européens du début de l’année. Au motif que l’agriculture justement allait payer les pots cassés. Plusieurs pays se sont opposés depuis le début, et lundi, lors du vote : la Suède, les Pays-Bas et l’Italie ont voté contre, la Belgique, la Pologne la Finlande, la Hongrie et donc l’Autriche avaient décidé de s’abstenir (alors qu’une étude publiée en mai dernier que le projet de loi bénéficiait d’un fort soutien populaire dans les pays qui s’y opposent). La volte-face a permis d’atteindre le seuil requis (15 pays pour qui représentent 65 % de la population). Le revirement autrichien n’a pas été le seul élément à rendre possible ce vote historique. Il aura aussi fallu que d’autres pays, opposés au départ, y adhèrent, c’est le cas de la Slovaquie, qui pourrait bien avoir monnayé son soutien à un texte qu’elle réprouve en échange de la possibilité d’abattre les ours quand ils s’approchent des villages… Vous avez un très bon résumé des deux ans de discussions autour du texte ici.
Objectifs
Qu’y a-t-il d’aussi clivant dans ce texte ? Une série de mesures destinées à changer le paysage de l’Union européenne, par l’accroissement de la biodiversité, à sécuriser les services rendus par la nature, limiter le réchauffement à 1,5 °C, construire la résilience européenne, prévenir les catastrophes naturelles et réduire les risques portant sur la sécurité alimentaire. Pour cela, le texte prévoit la restauration des écosystèmes terrestres et marins dégradés, au moins 20 % des surfaces d’ici 2030, en commençant par les sites Natura 2000. Les États membres devront prendre des mesures pour restaurer les habitats jugés en mauvais état, au moins 30 % d’ici 2030 et 90 % à l’horizon 2050. Le texte prévoit aussi la fin des détériorations, l’inversion du déclin des pollinisateurs d’ici 2023, la fin de la perte des espaces verts urbains, la restauration des tourbières, la plantation de 3 milliards d’arbres et la restauration du flot de 25 000 kilomètres de rivières d’ici 2030… Vous avez les grandes lignes là.
Financements ?
Bien entendu, du côté des mouvements de protection de l’environnement, on se félicite de cette « grande victoire pour la nature, l’action climatique les citoyens et le futur de l’Europe ». Ou bien l’on se plaint que le texte soit trop affaibli. Du côté du monde agricole, qui avait donc fait de ce projet de loi un des motifs des manifestations du début d’année, les réactions sont pour le moment discrètes. Le Copa-Cogeca, fédération de syndicats agricoles européens, regrette dans un communiqué publié dès lundi que « …Rhétorique politique mise à part, la question du manque de financement clair et cohérent pour la restauration des écosystèmes à travers l’UE reste sans réponse, ce qui explique en partie le grand embarras et la fuite en avant qui entourent cette loi. À cet égard, nous avons manqué ce matin la seule chance de rendre ce texte applicable et acceptable sur le terrain ». Et précise qu’une « seconde lecture aurait pu rendre cette loi plus réaliste ! »