Un feuilleton de Stéphane Thépot.

( [Autruches] Des expérimentateurs (3/7) - Revue SESAME


Croiser le faire

Published on 23 mai 2017 |

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[Autruches] Des expérimentateurs (3/7)

Un feuilleton de Stéphane Thépot.

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Comme pour « Les autruches de Conques », nouveau nom commercial de la ferme de La Besse, ou « l’Autruche Rieuse » de Montmachoux, la plupart des élevages qui ont survécu aux illusions originelles ouvrent leurs portes au public et pratiquent la vente directe. Avec parfois des trésors d’ingéniosité pour pousser la diversification aussi loin que possible. En Charente, un vétérinaire qui s’est lancé dans l’aventure pour « faire plaisir à sa femme », comme il aime à le répéter, a ainsi mis au point une gamme de cosmétique à base de graisse d’autruche. « Ce sont des expérimentateurs », s’enthousiasme Anne-Marie Brisebarre, anthropologue au CNRS. L’universitaire accompagne l’association des éleveurs d’autruches qui s’est constituée pour pallier l’absence d’une véritable filière structurée. « Je suis devenue leur attachée de presse », confesse Mme Brisebarre, qui connaît personnellement près de la moitié de la cinquantaine d’élevages existant encore en France. Elle cite l’exemple de cet éleveur de Sologne qui lorgne sur le marché de la viande halal, avec ses charcuteries d’autruche garanties sans porc. A Montmachoux, Emmanuel Robert, qui se définit lui-même comme un « chercheur permanent », a lorgné aussi un moment sur la production de vaccins avec l’Institut Pasteur en mettant ses virus à incuber dans des œufs d’autruches, ou à la production médicale de xénogreffes de cornée à base d’yeux d’autruches.

Sur le terrain, cette recherche de diversification tous azimuts n’est pas sans difficultés pratiques. Christian Vigouroux confie son désappointement quand il a cherché un mégissier pour tanner la peau de ses bêtes et un artisan pour transformer le cuir en articles de maroquinerie. « J’ai consulté plusieurs entreprises à Millau, mais je ne suis pas satisfait du résultat ». La production de cuir d’autruche, prisé par l’industrie du luxe, a souvent été présentée comme l’un des débouchés secondaires intéressant. Dans les faits, il semblerait que les grandes maisons de luxe, comme Hermès ou Louis Vuitton, préfèrent s’approvisionner en Afrique du Sud, premier producteur mondial. Les cours ont chuté avec la grippe aviaire qui a frappé à deux reprises l’Afrique du Sud, entraînant des abattages de masse et la constitution de stocks importants de peaux à écouler sur un marché étroit. On a même vu récemment du cuir d’autruche sur des baskets Adidas. Contrairement aux élevages européens, la peau tannée des autruches rapporterait bien davantage que la viande en Afrique du Sud. En 1995, le cuir représentait 50% des exportations en valeur, contre 40% pour les plumes et seulement 10% pour la viande.

Elevée d’abord pour sa viande en France, l’autruche ne livre toutefois pas que des magrets géants dans l’assiette. A l’abattage, l’animal qui pèse plus de 100 kilos donne une carcasse d’une cinquantaine de kilos, dont à peine une trentaine utilisables. Au final, une autruche donne en moyenne 16 kilos de filet et 7 kilos de steak. La viande restante n’est pas assez tendre pour être grillée. Elle donnera du bourguignon et de la chair à pâté ou des saucisses. L’éleveur qui veut vendre directement sa production doit donc aussi s’improviser charcutier, ou s’associer avec un artisan des métiers de bouche.

Basé à Guidel (Morbihan), le plus important élevage d’autruches de France proposait ainsi sur son stand du Salon de l’agriculture de Paris des rillettes aux algues ou au piment d’Espelette et un « hot-dog Breizh » garanti 100% autruche, avec une saucisse d’autruche à la place de la traditionnelle Frankfurter. Les plats cuisinés à base d’autruche sont aussi variés qu’il y a de régions de production : « du mijoté aux châtaignes et du civet au Roquefort en Aveyron, des gésiers confits dans le Périgord, du carpaccio à l’huile d’olive et au basilic en Provence, du bourguignon au cidre en Bretagne », énumère Anne-Marie Brisebarre dans un ouvrage collectif co-édité par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris. Pour l’anthropologue, c’est le signe que le ratite originaire d’Afrique a réussi sa « naturalisation » dans nos assiettes. Elle raconte toutefois que lors de la dernière assemblée générale des éleveurs d’autruches, en février 2017, un producteur de Rhône-Alpes s’est plaint d’avoir été contraint de retirer des panneaux publicitaires, sous prétexte qu’il osait présenter ses volatiles comme des « produits du terroir ».

(Suite.)




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