Publié le 25 juin 2018 |
0Agribashing, vraiment (I) ? Du blues au (bad) buzz…
Par Rémi Mer, ex-journaliste et consultant
Depuis peu, le terme agribashing est entré en force dans le jargon professionnel du monde agricole, en tout cas de celui qui est connecté et donc très présent sur les réseaux sociaux.
Utilisé pour désigner toute critique ou accusation rendue publique dans les médias et largement relayée dans les réseaux sociaux, le terme d’agribashing apparaît à un moment où l’agriculture est déjà fortement secouée par les crises. On assiste à une sorte de burn-out collectif, de dépression sournoise… mais pas généralisée ; car certains s’en sortent, et même bien ! A l’opposé, de très nombreux agriculteurs ont le dos au mur et sont criblés de dettes…
Des questions multiples
Comme si cela ne suffisait pas, attaques, apostrophes et interpellations semblent se multiplier. Certaines relèvent de questionnements « normaux » légitimes (?) de la société ; elles pourraient même préfigurer la « montée en gamme » nécessaire pour sortir de la concurrence mondiale et de la tendance au low-cost. Certaines, comme les vidéos de l’association L214, remettent en cause l’activité même d’élevage.
Pourtant ces questions ne sont pas nouvelles. Depuis 1985 et les crises de la vache folle, elles sont même récurrentes.
L’actualité récente a interrogé la responsabilité des pratiques agricoles. Inondations, érosion des sols, coulées de boues, perte de la biodiversité (diminution du nombre d’oiseaux, d’insectes, dépérissement des abeilles), utilisation du glyphosate, des néonicotinoïdes… Compte tenu des interactions de l’activité agricole avec les problèmes d’environnement, de santé, d’alimentation, de culture et même de religion (dans le cas de l’abattage rituel), ces questions sont normales. Parallèlement, on assiste à la montée de signes d’opposition, de conflictualité ou de non acceptabilité, et à l’apparition croissante de discours «anti», par exemple anti-viande.
L’ensemble de la profession n’est pas nécessairement préparée à gérer cette complexité.
Or cette succession de questions – et de critiques – sur une courte période intervient à un moment-clé pour son avenir. L’agriculture est en crise (faibles revenus, concurrence impitoyable, volatilité des cours…). Les pressions se multiplient et sont parfois contradictoires, d’où qu’elles viennent : normes, réglementations, interdictions, cahiers des charges, montées en gamme…
Beaucoup d’agriculteurs perdent confiance. Le moral en berne, ils sont tentés par l’abandon, voire le suicide. Ils ont le sentiment de ne pas être soutenus, d’être lâchés, par les politiques, par l’opinion publique.
L’agriculture s’est momentanément trouvée au centre du débat politique et parlementaire, suite aux Etats Généraux de l’Alimentation (EGA). La démarche, à l’origine plutôt bien reçue et même consensuelle est devenue, avec le vote de la Loi Alimentation, un facteur de division des politiques, soumis aux groupes de pression, voire aux lobbies, une sorte de rendez-vous manqué avec l’opinion publique et la société… Enfin, la profession est elle-même diverse et divisée dans ses projets, ses filières, ses acteurs, mais aussi entre diverses attentes économiques et sociétales sur les modes de production (produits sans OGM, sans pesticides, avec tant de jours de pâturage, signes de qualité, bio) auxquelles ils doivent répondre.
C’est dans ce contexte tendu que peut naître et se développer le sentiment d’agribashing. Mais qu’en est-il vraiment ?
Agribashing, vraiment ?
Revenons d’abord à la définition commune du « bashing ». Le terme définit un « dénigrement systématique et répété » qui concerne un individu, une entreprise, un groupe social, un secteur d’activité ou une collectivité, et, par extension, une « forme violente de défoulement », selon Wikipédia. Il évoque également une sorte de jeu, ou une forme de lynchage médiatique, relayé dans les réseaux sociaux. Selon Google trends, c’est un phénomène social récent apparu depuis moins de 10 ans en France à la faveur de quelques épisodes politiques1.
Mais le « food bashing » est bien antérieur à l’agribashing… les deux se confondent facilement alors que ces deux secteurs, l’agriculture et l’agroalimentaire, ont des problèmes d’image ou de réputation très différents. Le terme « food bashing » apparaît à la suite de l’affaire des lasagnes de cheval en 2013. La conférence du SYRPA (Association des communicants agricoles) fait date en 2014, avec l’intervention de Serge Michels2, du groupe Protéines, qui publie une étude sur le sujet. Le mot est lancé.
L’apparition du terme « agribashing » est plus récente. L’expression a fait florès au Salon de l’Agriculture en 2017 et fut reprise lors de nombreux débats en 2018. Le terme est-il adapté au cas de l’agriculture (ou de l’agroalimentaire) ? Sans attendre, il est utilisé à tout va, signe de ralliement revendiqué pour les réactions individuelles ou collectives. Il fédère les animosités, tient lieu de mot d’ordre. Il devient même le thème central d’assemblées de jeunes et de moins jeunes, au risque de désigner le responsable (notamment les médias) et d’éviter de se poser les bonnes questions. Nous y reviendrons.
De fait, il y a là un paradoxe : plus on parle de l’agribashing, notamment dans la presse et plus encore dans les réseaux sociaux, plus on accrédite l’idée que l’agribashing existe bien – puisqu’on en parle ! Même s’il faudrait un peu plus de recul et de distance…
(Lire la suite) Agribashing vraiment (II) ? Du buzz et des réseaux sociaux
- En 2014, la France était l’objet d’une campagne de French bashing. Voir par exemple le documentaire de Jean-Baptiste Péretié : http://television.telerama.fr/tele/programmes-tv/french-bashing,95639791.php
- Serge Michels est l’auteur du livre « Le Marketing de la peur » paru en 2015