Publié le 17 novembre 2020 |
0Accès à la terre : l’Argentine lutte de pied ferme
Par Agustín Suarez, coordination nationale de l’Union des Travailleurs de la Terre (Unión de Trabajadores de la Tierra, UTT).
Sur la photo, en chemise à carreaux.
En Argentine, l’accès à la terre est une problématique historique, dont les origines remontent à la fondation du pays. À l’époque, la majorité des terres a été répartie entre une poignée de grands propriétaires terriens. Malgré plusieurs tentatives de redistribution et de réformes agraires, qui ont contribué à l’émergence d’une classe moyenne au sein du monde agricole, le problème est toujours d’actualité. Depuis les années 90 et la libéralisation de l’agriculture – un phénomène mondial qui a été particulièrement prononcé en Argentine –, les paysans qui cultivent des terres pour leur subsistance, sans titre de propriété, sont régulièrement expulsés au profit de la culture du soja. Il est désormais possible de cultiver le soja dans des zones où les conditions climatiques ne le permettaient pas auparavant, ce qui contribue à repousser la frontière agricole et, ainsi, renforcer la désertification des zones rurales. La libéralisation à l’œuvre depuis une trentaine d’années a également engendré un appauvrissement des zones rurales, poussant les petits producteurs à vendre leurs terres.
70 % des aliments produits en Argentine sont issus de terres en location
Aujourd’hui, 90 % des familles de petits producteurs ne possèdent pas de terres, tandis que plus de 70 % des aliments produits en Argentine sont issus de terres en location. La hausse des loyers les pousse à migrer constamment et ainsi vivre dans des conditions très précaires. Or, ce sont ces familles qui produisent les fruits et légumes consommés par des millions d’Argentins ! L’accès à la terre représente donc un enjeu majeur en matière de souveraineté alimentaire. Pour ces familles, la propriété est synonyme de dignité, car elle leur permet de planifier leur vie sur le long terme et d’espérer laisser un héritage à leurs enfants.
Des colonies agroécologiques
L’Union des travailleurs de la terre rassemble ces familles de petits producteurs qui militent ensemble pour l’accès à la terre. Nous avons commencé par mener un grand nombre d’actions directes, comme l’occupation de terres ou l’organisation de marches. En septembre 2016, nous avons rendu public, pour la première fois, un projet de loi pour l’accès à la terre, à l’occasion d’un verdurazo (distribution gratuite de légumes) devant le Congrès de la Nation, à Buenos Aires. Cette proposition d’envergure nationale a également été présentée, en juin 2020, à plusieurs sénateurs de la province de Buenos Aires. Elle se décompose en deux axes : l’octroi de lignes de crédit et la transformation de terres qui appartiennent à l’État en « colonies agroécologiques ». Au sein de celles-ci, chaque famille dispose d’un ou plusieurs d’hectares et accède à des outils mis à la disposition de l’ensemble de la communauté. Grâce à des appuis locaux, plusieurs colonies ont déjà vu le jour, à commencer par celle de Luján, dans la province de Buenos Aires, qui s’étend sur 84 hectares. À nos yeux, cette agriculture sans intrants chimiques est une riposte au modèle de production intensive.
Des batailles historiques
Les modes de production et l’accès à la terre sont des problématiques universelles. Nous sommes donc très attentifs au développement de la paysannerie et du secteur rural dans le monde, et notamment en Amérique latine pour des questions de proximité. Les luttes pour l’accès à la terre et la préservation des semences locales sont deux grandes batailles historiques que nous devons poursuivre. Nous produisons les aliments, nous avons un rôle social très important et nous devons faire en sorte que le reste de la société le comprenne.
Propos recueillis et traduits par Laura Hendrikx, journaliste scientifique et ingénieure agronome.
Visionner la vidéo d’Agustín Suarez (2’) : Vu de l’Argentine : quand l’accès à la terre devient primordial