Publié le 18 mars 2020 |
0Abattage de veaux : longtemps le même scénario ?
Une fois de plus, des images insoutenables d’une vidéo tournée par L214 diffusée le 20 février montrent le calvaire de veaux dans un abattoir en Dordogne… S’en suit une série de mesures qui font polémiques : enquête diligentée par le ministère de l’Agriculture qui rapporte des dysfonctionnements et des problèmes de formation (non-conformités majeures en ce qui concerne la manipulation des animaux, les techniques de mise à mort, l’étourdissement…), fermeture de l’abattoir le 28 février 2020, réouverture partielle de son activité 4 jours après…
Sans entrer dans cette polémique (d’autant que l’abattoir appartient à un groupe néerlandais) et à l’heure où les consommateurs nourrissent une défiance de plus en plus vive envers les institutions et le système agroalimentaire, la revue Sesame de la Mission Agrobiosciences-INRAE a demandé à Jean-Luc Angot, Chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire, président du Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb), si ce scénario allait encore longtemps se répéter. Réponse sans langue de bois.
Quelle est votre réaction sur ce scandale de l’abattoir de veaux en Dordogne ? Une affaire de plus…
Jean-Luc Angot : Cette affaire corrobore les recommandations que nous avons émises dans notre avis 1. Nous avions, en effet, mis en avant le besoin d’optimiser les contrôles des services de l’État. Manifestement, pour cet abattoir, des contrôles ont été réalisés par la DDPP, la direction départementale de la protection des populations, mais la brigade nationale d’enquête vétérinaire dépêchée sur place a détecté la persistance de non-conformités majeures.
Autre volet, très important, la sensibilisation et la formation du personnel mais aussi des sacrificateurs et le travail sur les évolutions des pratiques. Je veux dire ici qu’au sein du CNEAb les discussions avancent avec les représentants du Conseil français du culte musulman et du Consistoire israélite. Nous espérons aboutir dans l’année à un consensus sur l’étourdissement post-jugulation, qui permet de réduire la souffrance des animaux à quelques secondes.
Reste la question économique de l’investissement, dans les abattoirs, technologique et en matière de bien-être animal. Sur ce dernier point, il existe des aménagements assez simples, comme les couloirs d’amenée grâce auxquels les animaux ne voient pas leurs congénères se faire abattre, des pentes assez douces…Les équipements doivent être adaptés et opérationnels. Nous pensions qu’avec la loi Egalim et le grand plan d’investissement, les abattoirs pourraient profiter de fonds pour investir. Mais ça n’a pas été le cas.
Pour quelle raison ?
Il est assez compliqué d’accéder à ce grand plan dédié à des investissements lourds. Je trouve dommage qu’on ne l’adapte pas pour des projets moins chers. Je pense notamment aux petits abattoirs publics gérés par des communes ou des communautés de communes qui n’ont pas les moyens d’investir.
Enfin, nous devons mener un travail d’information auprès du consommateur, et mettre en place une base de données enrichies par les professionnels et les services vétérinaires qui servirait au maillage territorial, car, vous le savez sans doute, les consommateurs demandent davantage d’abattage proche de la production.
Justement, où en est-on de ce projet de l’abattage de proximité ?
Dans le cadre de la loi Egalim, deux expérimentations ont été prévues : une sur la vidéosurveillance 2. A ce jour, il y a trois abattoirs candidats, bien qu’une dizaine l’aient déjà mise en œuvre ; et une expérimentation sur l’abattage mobile, sachant qu’il en existe deux catégories. Les « vrais » abattoirs mobiles autonomes, une expérience notamment portée par l’association le Bœuf éthique d’Émilie Jeannin 3qui s’est inspirée de ce qu’il se fait en Suède – même si ce système a été abandonné dans ce pays pour des questions de viabilité de modèle économique. Et puis, il y a le système des caissons, qui sont des extensions de l’abattoir : on y fait la mise à mort et la saignée de l’animal, mais la carcasse est ensuite transférée à l’abattoir pour être habillée et découpée. C’est sur cet abattage en caisson que porterait l’expérimentation.
Pour quelle raison ?
Notamment pour des raisons de coûts. Les carcasses devant être soumises à une inspection sanitaire poussée réalisée à l’abattoir ; la configuration des caissons est moins onéreuse.
Je voudrais dire aussi, qu’il faut une évolution des mentalités. Nous avons eu jusque-là une approche hygiéniste qui était légitime, notamment à cause de la tuberculose et de la brucellose, qui expliquent encore ces contrôles systématiques. Aujourd’hui, nous devons développer la même approche sérieuse, rigoureuse, respectueuse dans le domaine du bien-être animal, en collaboration notamment avec les référents protection animale dans les abattoirs. Un réseau qu’il faut animer…
Bref, nous avions identifié différentes pistes dans notre avis, qui n’ont pas encore été suffisamment explorées ni par l’État ni par les professionnels. Et puis il y a la question des moyens… A force de réduire les effectifs, la pression de contrôle a diminué.
Il va bien falloir pourtant accélérer le processus…
Nous y travaillons tous les jours ! L214 a certainement d’autres vidéos en magasin qui sortiront régulièrement et le consommateur a besoin de savoir. Depuis les trois dernières années, la perception sociétale du bien-être animal a beaucoup évolué, le processus est irréversible. Si l’on ne prend pas le taureau par les cornes, cela aura des répercussions énormes sur le devenir de l’élevage et sur la crédibilité de l’État, puisque ce sont les associations abolitionnistes avec leurs vidéos qui feront évoluer les choses. Nous ne devons pas être à la traîne…
- https://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/cna_avis-82-comite-ethique-abattoirs6.pdf
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https://revue-sesame-inra.fr/peches-de-chair-au-nom-de-la-souffrance-animale/ -
https://revue-sesame-inra.fr/mourir-dans-la-dignite-les-animaux-de-ferme-aussi/