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À mots découverts

Publié le 16 novembre 2021 |

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[Réintroduction] Pas à pas

par Laura Martin-Meyer

Lire la première partie de l’article « [Réintroduction] Pourquoi en faire un cas d’espèce ? »

Une bonne dose de patience et d’obstination. C’est au moins ce qu’il faut pour qui souhaite assister à ce moment unique qu’est le lâcher d’animaux préservés. Car, avant d’en arriver là, le chemin promet d’être long et tortueux. Elle est loin l’époque de la bricole où l’on capturait, sur des dépôts d’ordures afghans, des gypaètes ensuite transférés en Haute-Savoie ; celle où l’on engageait des braconniers pour aller subtiliser des espèces rares, hors de nos frontières 1. Un peu de sérieux ! À présent, l’espèce élue doit d’abord faire l’objet d’un Plan national d’action qui vise, d’après le ministère de la Transition écologique, « à assurer la conservation ou le rétablissement dans un état de conservation favorable d’espèces de faune et de flore sauvages menacées ». Même dans ce cadre, la réintroduction n’est pas automatique. Et puis, souligne F. Sarrazin, « il n’existe pas de grand architecte de la réintroduction qui déciderait des priorités d’actions à entreprendre ». C’est surtout aux acteurs locaux eux-mêmes de se mobiliser pour le retour de telle ou telle espèce, « dans une logique plus bottom up [ndlr : de la base vers le centre du pouvoir] que top down [l’inverse] ».

Un mal de chien

Après avoir étudié toute la gamme des alternatives possibles, vient l’étape redoutée de la faisabilité. L’objectif ? Monter un projet solide et crédible, afin d’obtenir l’approbation du Conseil National de la Protection de la Nature (CNPN). Un refus et c’est la mort assurée du projet. Mieux vaut donc avoir réponse à tout : quelles sont les causes de l’extinction ? L’environnement est-il favorable au retour de l’espèce envisagée, avec une disponibilité alimentaire suffisante ? Dispose-t-on, en captivité comme dans d’autres régions du monde, d’assez d’individus candidats aux lâchers ? Combien en faut-il, avec quelle méthode, quels moyens et à quel rythme procéder à ces transferts ? À cette étude de faisabilité, exigeante, s’ajoute une analyse de risques : à ce stade, on s’intéresse aux possibles perturbations que pourrait causer le retour de tel animal, dans tel territoire, en termes d’atteinte aux écosystèmes et de concurrence avec les activités humaines. Même si, confie celui qui a participé à de nombreux cercles de réflexion en la matière, « cela reste encore complexe ». Et C. Mounet de soulever une dimension parfois négligée, l’impact sur les « territoires d’origine » des animaux réintroduits. Exemple, en 2014 : suite à une opération de réintroduction de bouquetins fournis par l’Espagne dans les Pyrénées françaises, c’est à notre tour d’adresser des gélinottes à l’État ibérique. L’idée ? Capturer les oiseaux dans le parc naturel régional du Vercors, lequel s’y oppose fortement. D’après son conseil scientifique, l’opération pourrait en effet fragiliser un compromis trouvé entre chasseurs et naturalistes, en matière de conservation de l’espèce. Malgré tout, le transfert des gélinottes vers l’Espagne est amorcé à l’automne 2018. Dans cette configuration, analyse C. Mounet, la réintroduction « répond à une logique de marchandisation de la biodiversité, sans réelle attention aux impacts sur l’équilibre social du territoire d’origine 2. »

En cas de pépin…

Dès lors qu’un projet de réintroduction est accepté et financé, il reste à accompagner ceux qui, sur le territoire, pourraient être touchés de près par le retour de l’espèce menacée. « Améliorer la viabilité d’une espèce ou le maintien d’écosystèmes fonctionnels, ça engage la collectivité tout entière. Mais n’oublions pas que certaines personnes sont plus susceptibles que d’autres d’en subir les conséquences. » D’où l’importance de s’interroger sur les leviers et les moyens de solidarité (indemnisation des éleveurs, effarouchement…) que la collectivité est prête à actionner en cas de pépin. Pas sûr, pour autant, que ces approches, curative ou préventive, soient les plus pertinentes pour éviter les accrochages… Sans compter, pour C. Mounet, que ces dernières « négligent une foule d’autres enjeux, plus généraux, que sont le travail, la production alimentaire ou encore l’entretien des paysages ». Comprenez que dans les territoires ruraux et montagnards, il n’y a pas que la conservation de la biodiversité qui compte. Problème, souligne la géographe, « on ne croise jamais ces entrées-là ».

À bonne distance

Entre humains et autres animaux, la cohabitation s’avère parfois impossible, voire insupportable. D’ailleurs, d’après Joëlle Zask, elle n’est pas franchement souhaitable : « La réalité, c’est qu’on est tous entourés d’êtres qui se trouvent à proximité géographique de nous. Je ne les choisis pas et ils ne sont, dans l’absolu, ni mes ennemis ni mes amis ; ils sont juste là. Deux éventualités pourraient s’offrir à moi : ou bien tous les tuer à partir du moment où ils me dérangent, ou bien les introduire dans l’intimité de mon existence, en cohabitant avec eux comme si on formait une grande famille. À partir du moment où j’évacue ces deux possibilités absolument irréalistes, qu’est-ce que je fais ? Je propose une troisième voie, plus prudente et peut-être moins romantique, qui est celle du voisinage. Dans mon immeuble, si les voisins étaient bruyants, j’attendrais des architectes qu’ils prévoient des murs insonorisés… plutôt que d’en venir aux mains. Sans passer par les registres psychologique ou émotionnel, il est ainsi possible d’examiner les modalités d’un « vivre ensemble » plus satisfaisant. C’est pareil avec les animaux sauvages : il ne s’agit pas d’éradiquer tous ceux qui me posent problème mais plutôt de trouver des solutions matérielles et concrètes me permettant de conserver cette distance nécessaire à ma survie comme à la leur. Les êtres ne sont pas fondus les uns dans les autres ; ils sont profondément différenciés et la symbiose naturelle n’existe pas. Cette distance, on en a besoin, sinon on étouffe. […] Impossible, donc, de former une grande communauté avec les animaux. En revanche, intégrer la considération de leur survie et du respect des conditions nécessaires à leur perpétuation devrait faire partie de la communauté démocratique interhumaine ». 3


  1. Isabelle Mauz, « Introductions, réintroductions : des convergences, par-delà les différences », 2006. https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2006-Supp.1-page-3.html
  2. Gaëlle Ronsin et Coralie Mounet, « Les gélinottes, les sangliers et les cerfs. L’émergence d’une vision cosmopolitique dans le conseil scientifique du Vercors », 2020.
  3. Propos recueillis le 16 septembre 2021. Retrouvez l’entretien en intégralité : [Animaux sauvages] « Conserver cette distance nécessaire à ma survie, comme à la leur »

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