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Les échos & le fil L'accaparement des terres ne concerne plus seulement les terres arables © archives Yann Kerveno

Publié le 29 octobre 2025 |

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Vous allez aimer le green grabbing

Vous avez aimé le land grabbing, l’accaparement des terres par des pays ou de grands conglomérats ? Vous allez adorer le green grabbing. C’est le fil du mercredi 29 octobre 2025.

Photographie : L’accaparement des terres ne concerne plus seulement les terres arables © archives Yann Kerveno

On connaissait les seigneurs de la guerre, voici (re)venu le temps des seigneurs de la terre ? C’est en tout cas le nom retenu pour un récent rapport sur la propriété des terres sur la planète publié avant l’été. Réalisée par deux ONG, Fian International et Focus on Global South, cette enquête lève le voile sur les dix premiers opérateurs terriens du monde, qu’ils soient propriétaires ou en assument le contrôle, qui ont aujourd’hui entre leurs mains, au bas mot, près de 39 millions d’hectares sur la planète (sur une surface agricole utile d’environ 5 milliards d’hectares, prairies comprises, dont 1,6 milliard de terres arables)… Jetons donc un œil sur ce palmarès dominé de la tête et des épaules par l’entreprise Blue Carbon, sise à Dubaï, créée en… 2022. Entreprise qui a acquis, en quelques mois, 24 millions d’hectares, principalement en Afrique, pour en faire des crédits carbone. Elle contrôle ainsi 10 % de la superficie du Libéria et de la Tanzanie, 20 % du Zimbabwe. Avec, en filigrane, peut-être la possibilité d’effacer complètement les émissions de carbone des Émirats arabes unis, un des principaux producteurs de pétrole au monde. Sur la deuxième marche du podium, on trouve une entreprise australienne, Macquarie Group, qui opère dans son pays mais aussi au Brésil, aux États-Unis et jusqu’au Royaume-Uni. Elle contrôle ou possède 4,7 millions d’hectares, mais là encore, il n’est pas question d’exploitation, Macquarie Group est une banque et les terres sont un actif qu’elle gère parmi d’autres, entre aéroports, sociétés d’autoroute ou de fourniture d’eau potable. Les terres servent à d’autres entreprises, notamment Paraway Pastoral Company pour plus de 4 millions d’hectares destinées à l’élevage de 450 000 bêtes (bovins et ovins).

Asie, Amérique du sud…

En troisième place, se trouve la première entreprise agroalimentaire, Olam Group, basé à Singapour, qui contrôle 2,36 millions d’hectares, majoritairement en Afrique mais aussi en Indonésie, en Australie et aux États-Unis. Olam possède en particulier des forêts, des plantations d’hévéa, d’huile de palme, des amandiers (20 000 hectares) que l’entreprise ne semble pas vouloir lâcher malgré sa restructuration… Deux autres entreprises contrôlent ou possèdent plus d’un million d’hectares, la société canadienne Manulife Investment Management, qui comme son nom l’indique est un gestionnaire d’actifs. Son patrimoine compte 2,35 millions d’hectares, principalement des forêts, seuls 160 000 hectares sont consacrés à l’agriculture et plus spécialement à l’arboriculture. Enfin, Arauco, société chilienne qui figure parmi les producteurs de pâte à papier de premier plan à l’échelle de la planète, contrôle et exploite 1,71 million d’hectares, plantant des eucalyptus destinés à alimenter ses usines. On trouve ensuite dans ce top 10 le pétrolier Shell (par sa filiale Raizen) pour la production de canne à sucre et d’éthanol, le fonds de pension américain Tiaa et Nuveen son bras armé pour la gestion d’actifs, le groupe Benetton qui détient l’argentin Compañia de tierras del sud argentino et des terres consacrées en grande partie à l’élevage, Cresud, une entreprise argentine dont le portefeuille compte essentiellement des terres arables en Amérique du Sud et enfin Wilmar, une autre société basée à Singapour qui fait autorité dans la production d’huile de palme. Bon, mais là, nous ne parlons que de grandes entreprises privées, sachant que les États, et en particulier la Chine, ne sont pas en reste. Les Chinois contrôleraient ou posséderaient près de 20 millions d’hectares dans le monde, mais pas uniquement en Afrique (Mozambique, Zambie) comme on serait tenté de le penser. Non, ils se sont surtout préoccupé de s’implanter non loin de leur base, en Asie du Sud-Est, Cambodge, Laos, Myanmar, Vietman.

Land Squizz. Ipes Food 2024

La situation que dépeint l’étude n’est pas nouvelle, le « land grabbing » (l’accaparement des terres) existe depuis des siècles mais ce qui est relativement nouveau, c’est l’apparition d’un nouveau champ de motivation, les crédits carbone, donnant naissance à un nouveau terme, le « Green grabbing ». « Environ 20 % des transactions foncières importantes sont désormais des accaparements verts, qui excluent souvent les utilisateurs locaux et les petits producteurs. Les gouvernements ont consacré de vastes zones à des initiatives de réduction des émissions de carbone, les marchés de la compensation carbone et de la biodiversité connaissant une croissance rapide, avec une valeur estimée à 414 milliards de dollars en 2023 et qui devrait atteindre 1 800 milliards de dollars d’ici 2030 » écrit ainsi le panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables dans un rapport tout récent (2024) et fort complet. Alors que jusqu’ici, les motivations tournaient autour de la souveraineté des approvisionnements, avec des modalités différentes -propriété des terres, des semences, du matériel, de la récolte, locations longue durée…- voire pour engranger les aides apportées par les états à l’agriculture dans certains pays. C’est qu’expliquait très bien Michel Griffon : produire soi-même chez les autres, c’est une manière de tenter de se mettre à l’abri d’un marché mondial sans foi ni vraiment de loi… Avec à la clé une progression du prix des terres qui rend leur accès plus complexe aux agriculteurs locaux. Une étude chinoise récente (2021) a passé en revue plus d’une centaine de publications scientifiques consacrées au sujet et en a tiré quelques enseignements intéressants. On y apprend ainsi que la majorité des cas de land grabbing survient dans l’hémisphère sud en Afrique et en Asie, qu’il est principalement réalisé (les études concernées ont été publiées entre 2007 et 2020, donc avant que la thématique carbone s’impose a priori) à des fins de plantation (huile de palme, caoutchouc, sucre ou biocarburants) et que les fonds ne viennent pas forcément de l’étranger, un tiers étant réalisé par des entreprises issues du pays concerné. Par contre, ce qui ne change pas, comme le rappellent le rapport de Fian et cette étude, ce sont bien les atteintes à l’environnement et aux droits des peuples autochtones souvent spoliés de leurs terres par ces appétits foncier. Les chercheurs chinois ont calculé que 70 % des cas impliquaient des impacts négatifs : pertes de terres, dégradation de l’environnement (61 % des cas étudiés), socioculturels (86 %).

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