Publié le 15 juin 2021 |
0Vison et Covid-19 : victimes de la mode
Par Anne Judas.
Malgré les actions très médiatisées de l’association PETA (Pour une Éthique dans le Traitement des Animaux) et autres amis des bêtes à plumes ou à poils, la fourrure reste encore très présente dans la mode. Mais, à la faveur de la pandémie, le vison d’élevage, en particulier, vient de faire irruption sur le devant de la scène…
Manteaux, étoles, écharpes, bonnets, jusqu’aux pompons ornant toutes sortes de colifichets dans le grand bazar de l’internet mondial… le marché raffole de ces boules de poils – on en utilise aussi les sous-produits en cosmétique. Voilà pour le vison d’Amérique (Neovison vison) ou vison d’élevage, dont 63 % de la production mondiale vient… de l’Union européenne. Notons, au passage, que ce petit mustélidé, qui s’échappe facilement des élevages, est classé espèce envahissante en Europe. Alors que, pour sa part, le vison d’Europe (Mustela lutreola) n’est élevé qu’à des fins conservatoires car il est en voie d’extinction.
Le vison d’Amérique en Europe
Le cadre afférent à la protection et au bien-être des animaux dans l’Union européenne, en particulier l’article 13 du traité de Lisbonne, n’interdit pas d’élever des animaux pour leur fourrure. Seules sont interdites les importations, exportations et exploitations de fourrure de phoque (animal sauvage) – sous la pression publique et médiatique de la campagne mémorable menée des années soixante-dix pour sauver les « BB phoques » – ainsi que celle de chats et de chiens lesquels, en tant qu’animaux de compagnie, bénéficient d’une protection particulière.
En matière de bien-être animal, comme dans d’autres domaines, les États légifèrent pour aller plus loin dans cette protection s’ils le souhaitent. L’élevage d’animaux à fourrure a récemment suscité débats et manifestations de producteurs en Pologne (deuxième producteur de visons en Europe) car un projet de loi voulait l’interdire. Beaucoup de pays l’ont banni (depuis 2003 au Royaume-Uni) ou restreint1. D’autres envisagent l’interdiction2. En France, la proposition de loi 3661 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale (L. Romeiro-Dias et L. Dombreval et al, LREM) voulait interdire l’élevage des visons dans les deux ans. Après force débats et amendements, l’interdiction serait actée dans cinq ans – alors même qu’il ne reste que quatre élevages en France. Cette proposition de loi a été transmise au Sénat fin janvier 2021, époque à laquelle « Le Monde » titrait : « La proposition de loi contre la maltraitance animale symbolise la prise de conscience de son importance politique ». Toutefois, tous les projets de loi déposés par des députés et/ou sénateurs, toutes obédiences confondues, allaient plus loin que celui qui a été discuté. Une partie de l’opinion publique, emmenée par Hugo Clément, réclamait même un Référendum d’Initiative Partagée (RIP) dans lequel aurait figuré cette mesure. Cent quatre-vingt-cinq parlementaires l’ont soutenu mais en vain. Le projet de loi ne touche ni à la chasse ni à l’élevage…
Chasse au Covid
… Sauf à l’élevage des visons, et encore : actualité oblige. Lors du débat parlementaire, en janvier 2021, alors même que plusieurs députés plaidaient pour une interdiction immédiate, arguant du risque sanitaire engendré par l’élevage de visons, le gouvernement a défendu un délai à 2025.
La commission Relations homme-animaux de l’Académie vétérinaire de France a émis un avis d’expert (20-01-2021) sur le contenu de la loi. Pour ces vétérinaires, vouloir interdire la production de fourrure à partir de visons relève d’autres considérations que le bien-être animal car « élever des animaux pour leur fourrure n’est pas une maltraitance ». Si la « mesure d’interdiction est nécessaire et applicable », cet article de la loi serait « opportuniste et circonstanciel, suscité par la pandémie de Covid-19 ».
Pourtant les zoonoses relèvent aussi de compétences vétérinaires.
Il court, il court le virus
De l’homme au vison, puis du vison à l’homme, le SARS-Cov-2 se transmet dans les deux sens : on parle de rétrozoonose. Réceptif et sensible au virus, l’animal n’en meurt pas. Mais, en Italie, dès l’été 2020, les élevages de mustélidés touchés par le virus ont été fermés pour au moins un an. Les Pays-Bas ont suivi.
En novembre 2020, au Danemark, premier producteur et premier exportateur au monde, le gouvernement avait ordonné l’abattage de quinze à dix-sept millions de bêtes après avoir découvert que le virus muté détecté sur les visons était un variant. Ce qui veut dire qu’il « ne réagit pas autant aux anticorps que le virus normal », a expliqué le responsable de l’Autorité danoise de contrôle des maladies infectieuses (SSI), Kåre Mølbak. « La poursuite de l’élevage de visons impliquerait un risque beaucoup plus élevé pour la santé publique, tant au Danemark qu’à l’étranger », a-t-il souligné. Au Danemark, c’est certain, les élevages de visons ont favorisé l’apparition de nouveaux variants du virus.
Au même moment en France, un élevage était fermé et ses visons abattus pour cause de Covid (l’ONG One Voice dénonçait depuis longtemps cet élevage comme un des pires d’Europe).
Le ministère de l’Agriculture a alors confié, en novembre, à l’ANSES (l’Agence Nationale de SÉcurité Sanitaire) un programme de surveillance des quatre derniers élevages français qui étaient indemnes, privilégiant cette voie plutôt que l’abattage ou la fermeture, avec des recommandations de biosécurité strictes pour ces quelque 19 000 visons3
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Espèces sensibles
Plusieurs espèces domestiques sont réceptives et sensibles au SARS-Cov-2 : les chats, les furets, le vison ou le hamster. L’Anses recommande d’être particulièrement vigilant quant aux contacts entre l’homme et ces espèces réceptives : « Des mesures d’hygiène strictes doivent être appliquées : se laver les mains avec du savon après avoir touché un animal ou après entretien de sa litière, éviter les contacts étroits au niveau du visage, porter un masque en cas de manipulation d’un animal réceptif, etc. Les personnes atteintes par la COVID-19 doivent éviter tout contact étroit avec les animaux, sans pour autant compromettre leur bien-être » (novembre 2020).
À la date du 20 janvier 2021, l’OMS a publié une évaluation du risque de voir se répandre le virus dans et à partir des élevages d’animaux à fourrure, reposant sur les données de très nombreux pays. S’agissant principalement des visons, mais aussi des chiens viverrins et des lapins, le risque est élevé, pour l’Europe et l’Amérique du Nord, que le virus se répande dans les élevages, puis que des élevages il se transmette ou se retransmette à l’homme et contamine des espèces sauvages (martres, furets blaireaux… et visons).
Covid, visons, variants
La propagation possible de variants depuis les élevages de visons à des populations humaines et/ou à la faune sauvage nécessite, selon l’OMS, l’application stricte de mesures renforcées pour éviter tout transfert d’une ferme à l’autre via l’alimentation, le matériel souillé, la récupération du fumier ou des animaux qui s’échappent.
Mais, en janvier 2021, le virus avait été détecté dans 400 élevages de visons, dans huit pays de l’Union européenne – 290 au Danemark, soixante-neuf aux Pays-Bas, vingt et un en Grèce, treize en Suède, trois en Espagne, deux en Lituanie, un en France et un en Italie.
Le 19 février, un rapport conjoint de l’European Centre for Disease Prevention and Control (ECDC) et de l’EFSA (agence européenne de sécurité sanitaire) a considéré que toutes les fermes de visons devraient être considérées comme à risque en raison du SARS-CoV-2 et que la surveillance devrait inclure des mesures actives telles que des tests sur les animaux et sur le personnel, en plus de la surveillance passive par les agriculteurs et les vétérinaires.
Le vison, chaînon manquant dans l’épidémie ?
En janvier 2021, des experts ont été mandatés par l’OMS à Wuhan, à la recherche des causes de l’épidémie qui aurait débuté là-bas à l’automne 2019. Wuhan est aussi un grand centre de recherche sur les virus, en particulier les coronavirus de chauve-souris.
Selon le CIRAD, ces experts devaient étudier diverses hypothèses sur l’origine du virus de la pandémie de Covid-19 : virus ancestral provenant d’un hôte naturel autre que la chauve-souris ; hôte intermédiaire ou passage direct de l’hôte naturel à l’homme ; virus trouvé sur le terrain puis échappé d’un laboratoire, etc.
Selon Étienne Decroly (CNRS), ces hypothèses n’ont pas pu être examinées sérieusement par la commission envoyée par l’OMS, faute d’accès aux données, aux prélèvements sanguins ou aux échantillons, l’accès en étant contrôlé voire interdit par la Chine et la commission n’étant pas indépendante.
Quatre des experts de la mission d’enquête de l’OMS ont recommandé d’enquêter dans les élevages de mustélidés (visons, blaireaux ou renards), où le virus aurait pu se transmettre de la chauve-souris à l’une de ces espèces. Mais la Chine, second producteur de vison au monde, n’a pour l’instant pas facilité les enquêtes dans les élevages.
Ces élevages y sont en pleine expansion. « En avril 2020, le gouvernement chinois avait classé visons, renards polaires et chiens viverrins dans la catégorie “élevage spécial”, plutôt que dans celle des espèces sauvages, afin que ces animaux soient exemptés de l’interdit portant sur leur commercialisation. »
À la recherche des origines du virus
Tout autant que le virus lui-même, les inconnues et les hypothèses diverses sur les origines géographiques du virus empoisonnent l’atmosphère et les relations diplomatiques entre les États-Unis et la Chine, entre la Chine et les pays voisins.
Pourtant, mieux cerner les conditions d’émergence du virus est aussi important dans la lutte que de développer des vaccins ou des traitements. Comme le rappelle Étienne Decroly, « pour les virus de la grippe, on sait que les élevages de canard peuvent favoriser l’émergence de virus potentiellement pandémiques chez l’humain. On surveille donc l’apparition de virus aviaires dans ces élevages et des campagnes d’abattage sont organisées pour éviter les zoonoses ».
L’une des hypothèses sur la table est que l’hôte intermédiaire pourrait être un animal sauvage et/ou élevé en Asie dans des élevages de type familial, en conditions peu contrôlées, où se côtoient plusieurs espèces d’animaux à fourrure, comme le chien viverrin (qui n’est pas un chien), le vison ou d’autres espèces, domestiques et sauvages.
La plupart des pandémies des dernières années sont passées par l’animal. Environ 75 % sont des zoonoses. Mais, faute d’accès aux données brutes ou aux échantillons en Chine (mais aussi ailleurs), on en reste aux hypothèses.
Cependant des chercheurs, chinois autant qu’américains, continuent de publier dans « PNAS » (« Proceedings of the National Academy of Sciences ») et dans « Nature ». Une équipe chinoise appelle à surveiller de près quarante-huit mammifères et leurs virus, dont les animaux domestiques et d’élevage. Un grand nombre de chercheurs s’accordent sur le fait qu’il faut s’intéresser aux conditions d’apparition des zoonoses en échantillonnant les hôtes naturels ou domestiques des virus. Ils recommandent en outre d’étudier particulièrement les changements environnementaux, les rapports entre espèces incluant les espèces en contact avec l’homme, tant de façon géographique que d’un point de vue phylogénique.
La recherche sur le ou les virus
À l’École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, on cherche à comprendre comment les coronavirus peuvent franchir la barrière des espèces. Certains sont très spécifiques et adaptés à leur espèce hôte, d’autres ont une capacité à changer d’hôte. Le but est d’anticiper d’éventuelles émergences de coronavirus chez l’homme ou les animaux domestiques.
À INRAE, « là où il y a eu des hommes contaminés, les animaux sont examinés. On travaille donc sur plusieurs modèles animaux en labo : le hamster est réceptif, le furet aussi. Des essais d’infection expérimentale sont menés sur le porc, les bovins, qui seraient peu réceptifs. Les visons eux sont très sensibles au virus. Il reste des investigations à faire dans la faune sauvage, et le risque n’est pas nul qu’un variant devienne infectieux pour une espèce animale » (Muriel Vayssier-Taussat, Mylène Ogliastro).
Des alliances de recherche se mettent donc en place et une initiative à l’échelle mondiale s’est donné pour mission de tenter de prévenir les pandémies : PREZODE (Prévenir les risques d’émergences zoonotiques et de pandémies).
Top model animal
Sous peu, peut-être le vison ne défilera-t-il plus sur les podiums de la Fashion Week, du moins en Europe ; en revanche il devient un parfait modèle expérimental des maladies respiratoires virales à coronavirus qui peuvent atteindre l’homme. Les élevages sont en première ligne et, si de nouveaux variants apparaissent, dans les élevages ou ailleurs, il faudra développer de nouveaux vaccins, pour l’homme et l’animal. La course ne fait que commencer.
On ne peut qu’espérer la gagner. Mais tout va très vite. Trop ?Des vaccins trop vite développés pourraient avoir aggravé la peste porcine africaine en Chine . « PNAS » vient de publier un tableau4 des virus à zoonose découverts depuis dix ans, par ordre décroissant en fonction du risque de zoonose pandémique. Sur ce podium, le SARS-Cov-2 n’est classé que deuxième et, parmi les douze premiers, on en trouve deux qui infectent le porc.
- La Hongrie récemment, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la République tchèque, la Croatie, la Macédoine, les Pays-Bas, la Norvège, le Luxembourg, la Serbie, la Slovaquie et la Slovénie.
- L’Irlande, la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, le Monténégro, la Pologne, l’Ukraine et la Finlande.
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https://www.anses.fr/fr/content/avis-r%C3%A9vis%C3%A9-de-lanses-relatif-%C3%A0-la-surveillance-de-linfection-par-le-virus-sars-cov-2-au)
- https://www.pnas.org/content/118/15/e2002324118