Publié le 27 novembre 2024 |
0Un bug dans la farine ?
Produire des insectes pour les manger ou les réduire en farine et soulager un peu le reste de la planète. Mais qu’en est-il du bien être des vers de farines et des mouches ? C’est le fil du mercredi 27 novembre 2024.
Alors celle-là, franchement, on ne l’avait pas (vraiment) vu venir. Au moins aussi tôt, vous en conviendrez, et ce n’est pas faute de surveiller le sujet comme un lait de soja sur le feu. Quid du bien-être des insectes qu’on élève pour les transformer en protéines ? Quand on se met à chercher, en fait, il y a déjà pas mal de gens qui planchent sur le sujet. La principale difficulté soulevée, on en a déjà abondamment parlé dans les colonnes de Sesame pour les autres catégories d’animaux, c’est de définir ce qu’est le bien-être d’un insecte. Et donc d’abord d’imaginer comprendre ce qu’il ressent… Or les références manquent, cruellement, pour sonder le ver de farine.
En attendant, la première question qui surgit, c’est celle de la mise à mort. Puis celle des conditions de vie (lumière, températures, promiscuité, etc), qui peuvent avoir un impact sur l’efficacité économique de l’élevage des insectes. Pour faire avancer cet agenda nouveau, on se réfère souvent aux années soixante quand on ne se préoccupait guère de savoir ce que ressentaient les oiseaux. Or, fait remarquer un chercheur, on en sait plus aujourd’hui sur les insectes que sur les volatiles à l’époque. Bref, le sujet est d’importance et vous avez là un papier fort bien fichu qui vous résume tout. Sachez aussi qu’il existe The Insect Institut aux États-Unis (financé par Open Philantropy) et que le Centre national de référence pour le bien-être animal français (CNR BEA) suit le sujet de près, en particulier par le biais d’une veille, ici ou là.
Du côté de la réglementation, Singapour, toujours en avance question « novel foods» a autorisé la commercialisation pour la consommation humaine et animales de 16 espèces d’insectes, l’Australie, trois. C’est d’ailleurs dans ce pays que les chercheurs ont tiré la sonnette d’alarme sur le risque allergène en montrant que les protéines issues de cultures d’insectes étaient susceptibles de provoquer des allergies chez les sujets déjà sensibles aux crustacés (jusqu’à 4 % de la population…) et que c’est difficilement détectable par les kits de tests commerciaux.
Vous vous dites à ce moment-là qu’il y a pourtant un moment qu’on n’a plus entendu parler de ces farines d’insectes. Ce n’est pas faux, la hype s’est un peu évaporée, les startups se font plus discrètes, surtout quand elles ne parviennent pas à sortir de leur cocon pour devenir des licornes… Comme Ynsect par exemple, la « pépite » française qui peine à convertir ses process en succes-story industrielle. Parmi les problèmes avancés, la question du changement d’échelle est primordiale, tout autant que celle de la rentabilité. Et c’est là que cela coince parce que pour l’instant, les protéines à base d’insectes sont surtout un succès dans l’alimentation animale et dans le petfood, les aliments pour chiens et chats. Les développements dans ce secteur se font à mesure de la progression de l’acceptabilité. Une étude récente conclut que 52 % des propriétaires de chiens et 62 % des propriétaires de chats portaient un regard positif sur ce type d’aliments. Le marché, lui, pourrait atteindre 16 milliards de dollars en 2031 contre 8,31 l’an passé.
La question du bien-être des insectes pourrait donc venir troubler un peu cette donne. Et la bataille des tribunes est déjà en route dans la presse. Ainsi Dustin Crummett, directeur de l’Insect Institut, plaidait dans le Guardian que contrairement à ce que l’on pourrait croire, la consommation d’insectes ne va pas « sauver la planète » mais plutôt rajouter « une couche inefficace et coûteuse au système alimentaire que nous avons déjà. » Et de vanter le recours à des protéines alternatives (viande de synthèse) et/ou surtout végétales. Le propos avait été développé dans une étude à laquelle il avait collaboré qui notait que « les entreprises d’élevage d’insectes ont souvent recours à des aliments de haute qualité déjà demandés par d’autres secteurs » en l’absence de déchets compatibles ou faute de quantité suffisante, ce qui fait tomber le mythe de l’économie circulaire. Argument souvent cité comme une des vertus de l’élevage d’insectes.
Le sujet est pris très au sérieux et pourrait devenir un facteur valorisant pour les marques de Pet Food écrit Tim Wall dans PetFood Industrie. « Parce que les détenteurs d’animaux domestiques sont plus enclins à prêter attention aux questions de bien-être animal. » Et leur permettre de se différencier dans une forêt de labels durables et de droits des animaux. À moins que finalement, la solution des insectes soit déjà dépassée et que l’avenir soit dans la fermentation pour produire des protéines ? Ou encore que la viande de synthèse vienne balayer l’espoir des startups? Son incorporation vient d’être autorisée dans les aliments pour animaux domestiques au Royaume-Uni. De quoi s’affranchir des questions éthiques liées au vivant mais pas forcément de celle de la rentabilité économique.