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Déchiffrages Commission europenne

Publié le 13 mai 2024 |

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Traités internationaux : des « clauses miroirs » pas si limpides

Pour la grande majorité des économistes mais aussi pour les entrepreneurs et les États, l’échange international de marchandises semble aller de soi, perçu comme naturel et bénéfique. Les vertus attribuées au libre-échange ont toutefois été souvent contestées et, lorsqu’elles ne l’étaient pas dans leur principe, ces critiques ont conduit à adopter des mesures visant à protéger les acteurs économiques d’une concurrence trop lourde à supporter.  Une chronique de Thierry Pouch pour la revue Sesame n°15.

Dans l’absolutisme concurrentiel qui caractérise la période actuelle et dans lequel le secteur agricole est impliqué, les débats ont resurgi, en particulier à la faveur des traités commerciaux de libre-échange que négocie et que parvient parfois à signer la Commission européenne. Les produits agricoles et alimentaires constituent un domaine sensible, dans la mesure où ils se situent au croisement de l’économie, de l’environnement, du bien-être animal et de la santé publique. C’est pourquoi, depuis au moins l’accord trouvé et provisoirement appliqué avec le Canada (Ceta), et plus encore avec les pays du Mercosur (Paraguay, Uruguay, Argentine et Brésil), la légitimité de la réciprocité des normes de production est posée. Elle a pris une épaisseur supplémentaire avec le retour de la notion de souveraineté alimentaire dans les débats.

Imposer des normes réciproques de production entre pays

Afin de surmonter ou de réduire les distorsions de concurrence entre deux pays ou, en l’occurrence, entre l’Union Européenne (UE) et des nations avec lesquelles elle s’engage dans des relations commerciales bilatérales ou régionales durables, la proposition d’introduire des « clauses miroirs » a pour objectif de mettre en conformité la politique commerciale de l’UE et ses ambitions en matière de transition écologique. Pour la France, notamment lors de sa présidence du Conseil de l’UE au cours du premier semestre 2022, il s’agissait de protéger le revenu des agriculteurs. On sait par exemple que l’importation de cerises en provenance de nations productrices incorporant une substance comme le diméthoate est interdite depuis 2016 en France et depuis 2019 dans l’UE. De même, restreindre les importations de produits agricoles et alimentaires ayant provoqué de la déforestation constitue une mesure de plus en plus pratiquée dans l’UE. Pour y parvenir, un levier approprié : l’application de l’article 188 bis de l’OMC portant sur la possibilité d’interdire des importations de produits agricoles et alimentaires s’écartant des normes de l’UE.

Fondamentalement, l’introduction de « clauses miroirs » a pour ambition d’imposer des normes réciproques de production entre deux pays. C’est la législation la plus stricte en ce domaine s’imposant au pays qui, historiquement, évolue avec des normes plus faibles. Dans le cadre d’une mondialisation qui n’a pas débouché sur des résultats partagés par tous les acteurs et qui est suspectée de laisser subsister des distorsions de concurrence, les agriculteurs, les ONG environnementalistes ainsi que des acteurs politiques (ministres, députés, sénateurs…) jugent légitime la réciprocité dans les normes de production, notamment lorsque des producteurs affichent des performances économiques amoindries par une concurrence qualifiée de déloyale.

En clair, l’objectif des « clauses miroirs » est triple : il s’agit d’abord d’élargir la protection de l’environnement, de la santé des citoyens et du bien-être animal au-delà des frontières européennes ; de promouvoir ensuite les bonnes pratiques culturales ou d’élevage au-delà des frontières européennes ; enfin, de réduire les risques de concurrence déloyale entre les agriculteurs européens et ceux des pays considérés comme plus laxistes à propos de leurs standards de production. Un objectif qui s’est centré sur le cas des pays du Mercosur et plus spécifiquement le Brésil, ce qui, à première vue, semble logique, puisque 64 % de la forêt amazonienne se situent sur le sol de cette nation et que l’élevage y occupe une place prépondérante.

Lourdes inconnues

L’introduction des « clauses miroirs » pose toutefois un certain nombre de difficultés qui conduisent à appréhender cette mesure davantage comme une déclaration d’intention que comme un moyen suffisamment contraignant pour inciter les pays cocontractants à s’aligner sur les normes européennes. Côté européen, outre l’absence pour le moment de convergence totale entre les vingt-sept États membres sur cet impératif commercial, la problématique des contrôles est clairement posée. Contrôles dans les pays exportateurs, en amont de l’acte même de la production ? Ou bien contrôles à l’arrivée des marchandises sur le territoire de l’UE ? Et par qui seront-ils effectués (autorités sanitaires, douanes…) ?

Ensuite, beaucoup se sont interrogés sur le degré de compatibilité entre ces « clauses miroirs » et l’OMC. De par la réglementation commerciale internationale, cette institution admet que des exceptions au commerce des produits agricoles pour un motif de protection de l’environnement ou pour des raisons sanitaires soient appliquées. Cette tolérance est inscrite à l’origine dans l’article XX, alinéas b et g du GATT1. C’est d’ailleurs l’un des arguments repris par différentes institutions françaises pour justifier les « clauses miroirs » (Institut Veblen, fondation Nicolas-Hulot…). Enfin, pour rester dans ce registre de la concurrence sur les marchés mondiaux, appliquer des « clauses miroirs » pourrait être considéré par le ou les pays ciblés comme un protectionnisme déguisé, passible d’un dépôt de plainte auprès de l’OMC, pour distorsion de concurrence.

Les exigences de l’UE en matière de lutte contre le changement climatique ont même récemment conduit l’Australie à surseoir à la signature d’un accord de libre-échange avec Bruxelles. Même au titre de la préservation de l’environnement, tout obstacle à l’échange est perçu comme une perte potentielle de gain économique. Une autre question a trait à la rétroactivité des « clauses miroirs » pour les accords antérieurs. De telles clauses seront-elles uniquement applicables pour tout futur traité commercial ou bien devront-elles concerner les précédents (Ukraine, Japon, Canada, Singapour…) ?

Et maintenant ?

Complexes à mettre en œuvre, ne suscitant guère de convergence dans l’UE pour les concrétiser et les infliger à des États souverains avec lesquels Bruxelles négocie, les « clauses miroirs » illustrent à elles seules l’état de conflictualité qui caractérise le commerce international. Leur application n’exclut pas que ces États souverains adoptent des mesures de rétorsion (rétablissement de droits de douane, embargos, rupture de l’accord de libre-échange par exemple), lesquelles porteraient en contrepartie sur des secteurs agricoles qui, en France, composent l’excédent agroalimentaire : produits viticoles et fromages, par exemple. De fait, l’agriculture est régulièrement la cible de telles actions de rétorsion.

Par ailleurs, l’adoption de « clauses miroirs » envers des nations exportatrices laisse manifestement en suspens la question des règles concurrentielles intra-communautaires qui sont loin d’être harmonisées. Dans leur colère récente, les agriculteurs ont aussi mis en exergue les préjudices engendrés par l’intensité concurrentielle exercée par des États membres, comme l’Espagne en fruits et en légumes ou la Pologne dans le domaine de l’aviculture. Qu’en sera-t-il de l’avenir et du processus de concrétisation de ces « clauses miroirs » ? On en saura sans doute davantage à l’issue des élections européennes de juin prochain et, surtout, après l’installation de la nouvelle Commission européenne. En fonction de la future répartition des pouvoirs au sein de l’UE, la politique commerciale pourrait être différente. Elle requiert en tout cas plus de cohérence.

  1. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Le GATT, mis en place en 1947, a été remplacé par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1995.

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