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Les échos & le fil

Publié le 20 novembre 2024 |

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Quitte ou trouble

On se bouscule au portillon pour le poste de « ministre » de l’agriculture de la prochaine administration Trump. Un ministère qui sera peut-être sous l’emprise du bouillant secrétaire d’État à la santé, R.F. Kennedy Jr.

La réélection de Donald Trump à la tête des États-Unis va forcément bousculer la marche du monde tel que nous le connaissons. Et le vaste secteur de l’agriculture en particulier. On s’inquiète déjà, de ce côté-ci de l’Atlantique, de possibles rétorsions commerciales qui viendraient mettre à mal nos exportations rémunératrices. Mais ce n’est rien en regard des interrogations du monde agricole américain. Regardons déjà du côté du prochain gouvernement qu’est en train de constituer Donald Trump. On ne connaît pas encore le nom de celui qui sera en charge de l’agriculture mais la liste ne cesse d’enfler à mesure que les jours passent. Ils ont été jusqu’à une quinzaine de prétendants et/ou pressentis dont seulement deux femmes. Et le jeu est en partie dirigé par le nouveau secrétaire d’État à la santé, on y reviendra.

En attendant, revue de troupes

Le 8 novembre, Farm Progress dressait sa liste et pointait du doigt Thomas Massie, inventeur prolifique, libertarien passé à la politique mais sans attaches dans le monde agricole même si c’est un élu du Kentucky. Autre nom, celui de Kip Tom qui, lui, est agriculteur dans l’Indiana et ancien ambassadeur, sous Trump 1, des États-Unis auprès de la FAO. Il n’a pas caché son intérêt pour le poste. Le texan Sid Miller, qui s’est naturellement illustré dans le rodéo et dont le style doit beaucoup à son mentor Trump, est aussi sur les rangs selon Farm Progress. Enfin, pour compléter sa liste, ce journal inclut Glenn Thompson. De son côté, Politico présentait le 12 novembre une liste comprenant Sarah Frey, créatrice de Frey Farm, plus importante ferme productrice de citrouille des États-Unis (sur qui lui vaut le surnom de reine des citrouilles) qui joue à la fois, de façon très américaine, des codes glamour et agricole, ainsi qu’un « vieil et fidèle allié » de Trump, l’éleveur Charles Hebster à qui l’on doit, entre autres, l’enchère la plus élevée jamais emportée pour un taureau Angus d’un an, 2,14 M$, et qui fut accusé d’avoir agressé sexuellement huit femmes.

Vieux routier

AgWeb a aussi proposé une liste, où l’on retrouve Thomas Massie, Sid Miller, mais à laquelle sont ajoutés, Mike Conaway, un candidat de poids puisqu’il a présidé deux fois la commission agriculture, Zippy Duvall, éleveur et président de l’American Farm Bureau, ou encore Abel Madonado, agriculteur prospère et fils de travailleur agricole immigré mexicain, Ray Starling, Ted McKinney un vieux routier des questions agricoles, aussi bien dans le privé que le public et qui fut sous-secrétaire au commerce et aux affaires agricoles étrangères de l’USDA (le département de l’agriculture des Etats-Unis).

Dernière heure

En début de semaine, un nouveau nom est ajouté à la liste par Dairy Herd, celui de Jimmy Emmons, héraut du non-labour aux États-Unis et chantre de l’agriculture regénérative. Dans la liste mise à jour ce lundi, le site ajoute les noms de Gregg Doug, économiste passé par la fédération nationale des producteurs de lait, entre autres organisations agricoles, et le ministère de l’agriculture, ainsi que le nom d’Aurelia Skipwith Giacometto qui a dirigé l’agence fédérale des poissons et de la vie sauvage entre 2020 et 2021. Hier, mardi, Successful Farming publiait une short list officieuse où ne subsistaient que les noms d’Abel Maldonado, Zippy Duval, Kip Tom, Mike Conaway, Sid Miller et Ray Starling. Exit les dames. N’en jetons plus et attendons.

Le problème Kennedy

Mais n’oublions pas que les enjeux sont majeurs, en particulier à cause de l’arrivée du rejeton Kennedy au portefeuille de la santé avec un appétit d’ogre, il est donc d’ailleurs cité comme étant largement à la manœuvre pour la nomination du patron de l’USDA. Si Robert F. Kennedy Jr inquiète les milieux agricoles, c’est en raison de son parcours et de ses opinions mais aussi de l’influence qu’il semble avoir dans la nouvelle administration… Un personnage ambigüe : il est antivax, on l’a déjà écrit par ici, a été un des avocats de Dewayne Johnson qui ont conduit à la condamnation de Monsanto, a fait sa carrière d’avocat sur les questions environnementales, s’est exprimé contre le glyphosate, l’agriculture industrielle qu’il accuse de tous les maux, se réclame de la science tout en s’estimant plus pertinent que les scientifiques… Dans sa chronique de l’événement Amanda Zaluckyj, qui tient le blog réputé The Farmer’s Daughter, affirme que la nomination de Kennedy est un doigt d’honneur à l’agriculture du pays qui a pourtant été le socle de son avènement.

Utopie biologique régénératrice

En annonçant la nomination de Kennedy, Trump a écrit que « le ministère de la santé jouera un rôle important en veillant à ce que tout le monde soit protégé contre les produits chimiques nocifs, les polluants, les pesticides, les produits pharmaceutiques et les additifs alimentaires qui ont contribué à l’écrasante crise sanitaire que connaît notre pays. » Ambiance. La blogueuse redoute que la « libre parole » garantie par Trump à son ministre vienne bousculer la réglementation, que ce soit pour les produits phytos, dont il veut éliminer l’utilisation ou les OGM… « RFK Jr. rêve de transformer l’agriculture américaine en une utopie biologique et régénératrice (devrions-nous lui parler de l’utilisation de certains pesticides dans l’agriculture biologique américaine?) » ironise-t-elle avant de craindre les conséquences d’un rejet massif de la technologie et d’inviter chacun de ses lecteurs concernés d’en appeler à son sénateur pour faire échouer la confirmation par le Sénat.

« Déportation »

Mais la nomination de Kennedy, qui a été loué par Sid Miller (gardons peut-être ça à l’esprit), n’est pas le seul épouvantail outre-Atlantique… Il y a aussi l’impact sur bien d’autres sujets comme le commerce par exemple. Une étude récente de l’association nationale des producteurs de maïs estime qu’une guerre commerciale avec la Chine pourrait coûter 7,3 milliards de dollars par an aux producteurs de soja et de maïs. Le risque est d’autant plus grand que le Brésil est en embuscade et devait signer des accords commerciaux sur les fruits, les viandes bovine et porcine ce mercredi avec Pékin. Ce sont aussi 30 à 60 milliards de dollars qui pourraient s’évaporer si l’administration Trump met en œuvre son projet de déportation massive (comment est-il possible d’écrire cela aujourd’hui sans mettre de guillemet ? ndla) des immigrés sans papiers qui représentent près de la moitié des travailleurs agricoles du pays, presque un million de personnes. Le calcul a été fait par l’American Business Immigration Coalition (un groupe de pression axé sur les politiques d’immigration qui soutiennent les industries dépendant de la main-d’œuvre immigrée) en réponse à l’inquiétude (euphémisme) du secteur agricole.

Semences, Europe…

Des questions se posent également pour le délicat sujet de la concentration des entreprises, une des marottes de la première administration Trump qui n’avait pas de prévention, en débit de son approche libérale, contre l’émergence d’oligopoles. Ainsi, dans le monde stratégique à plus d’un titre des semences, le marché américain est-il aujourd’hui dominé par quatre entreprises, Bayer (+ Monsanto), Corteva Agriscience (né de DuPont et Dow chemical), Chemchina (qui possède Syngenta) et BASF et personne ne peut prédire quelle sera la politique menée par la nouvelle administration sur la question de la brevetabilité du vivant… Enfin, quid des relations avec l’Europe ? Jean-Christophe Debar estime que l’excédent commercial dont bénéficie l’Union européenne en fait « une cible de choix dans une stratégie protectionniste. » Autant dire qu’on n’a pas fini d’écrire des lignes et des lignes sur le sujet. Et que la personnalité du prochain patron de l’USDA pèsera lourd dans la balance pour freiner, ou non, les ambitions du ministre de la santé.

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