Publié le 25 septembre 2017 |
0[Oasis] Un système politico-institutionnel défaillant (2/3)
Une lecture rétrospective des réformes agraires engagées à l’échelle nationale en Algérie permet de mieux comprendre les mutations des agrosystèmes oasiens du modèle traditionnel au modèle d’aujourd’hui. Notre approche critique de ces réformes relève des anomalies dans leur organisation et des obstacles dans leur développement.
Khaled Amrani, doctorant de l’université Grenoble Alpes, laboratoire PACTE Territoires, khaled.amrani@umrpacte.fr
Les réformes agraires de 1971
La Révolution agraire algérienne, mise en œuvre à partir de 1971 sous le contrôle de l’État et sous le mot d’ordre « la terre à qui la travaille », se proposait de bouleverser la structure agraire afin de permettre l’intensification de la production, de lutter contre le sous-emploi et d’aménager l’espace rural. Sur le modèle des industries industrialisantes, elle avait pour ambition la mise en place d’une politique d’investissement au travers de trois plans de développement (1967-1969, 1970-1973 puis 1974-1977). Au terme de ces dix années, les résultats furent assez décevants faute de maîtriser les circuits d’approvisionnement, de commercialisation, les structures de financement et de vulgarisation. La faible rémunération des producteurs s’inscrivait comme le revers de la volonté de l’Etat à fournir des produits à bas prix. Il en résulta une extension du secteur public agricole, une limitation de la redistribution des terres et une stagnation de la production. Cet échec de la réforme se manifesta par la marginalisation de l’agriculture subordonnée à l’industrialisation (Adair, 1982)
La restructuration des domaines agricoles et la loi APFA en 1983
L’objectif de la loi sur l’Accession à la Propriété Foncière Agricole (APFA) était de redimensionner les Domaines Agricoles Socialistes (DAS) de façon à en faciliter la gestion à taille humaine et d’en améliorer la rentabilité. Concernant explicitement les terres sahariennes, elle fut dans la pratique étendue aux terres de parcours steppiques. Elle avait pour but d’encourager l’acquisition de terres agricoles ou à vocation agricole appartenant jusque-là à l’État (domaine public) et stipulait que toute terre relevant du domaine public et mise en valeur par un individu lui donnait droit à un titre de propriété par le versement d’un dinar symbolique avec le concours des services de l’Etat (Ben Hounet, 2013). Cela favorisa l’assistanat au point d’entraver le bon fonctionnement du programme, les bénéficiaires étant constamment dans l’attente d’une aide pour agir (Bouammar, 2010).
La loi 87-19 marqua la rupture avec le secteur socialiste agricole. Les domaines furent désormais découpés en exploitations de tailles homogènes et adaptées au nombre d’affectataires, composant ainsi de nouvelles Exploitations Agricoles Collectives (EAC), et, exceptionnellement, des Exploitations Agricoles Individuelles (EAI). Cette restructuration fut également un échec, marginalisant les paysans au profit de candidats investisseurs souvent étrangers au monde rural et dépourvus du savoir-faire approprié.
La politique d’ajustement structurel des années 2000 et le PNDA
Le Plan National de Développement Agricole (PNDA), vaste programme de relance économique lancé dès 1999 cherchait à développer une agriculture mieux organisée et plus performante selon deux axes prioritaires : développement des productions agricoles par amélioration de la productivité en réhabilitant des produits bénéficiant d’avantages comparatifs (agrumes de la Mitidja, maraîchage primeur, production de dattes) ; protection du potentiel productif et préservation des conditions de développement agricole durable. Ce plan s’articulait autour d’incitations et de soutiens aux exploitants agricoles pour développer, adapter et moderniser les exploitations au travers de cinq actions :
- Le développement de productions agricoles de large consommation et de celles à avantage comparatif avéré au travers de trois fonds : Fonds National de Régulation et du Développement Agricole (FNRDA), Fonds de Lutte contre la Désertification et de Développement du Pastoralisme et de la Steppe (FLDDPS), Fonds de Développement Rural et de Mise en Valeur des Terres par la Concession (FDRMVTC) ;
- L’adaptation des systèmes de cultures aux différents milieux naturels ;
- Le reboisement réorienté vers un boisement utile et économiquement rentable ;
- Le développement des zones de parcours et de production de steppe ;
- La mise en valeur des terres par la concession et avec une approche nouvelle dans le sud.
Malgré l’importance des fonds mis à disposition et les efforts des pouvoirs publics, ce programme ne semble pas avoir atteint l’objectif escompté. L’absence de consultations publiques, la mise à l’écart des acteurs concernés et la non prise en compte de la composition sociale ont sans doute contribué à l’échec de ce plan comme en témoignent d’ailleurs l’approche participative et l’objectif d’acceptabilité sociale figurant dans la politique du Renouveau Agricole et Rural (RAR) à partir des années 2010.
Le PNDA a cependant permis un taux de croissance de la production agricole de l’ordre de 6%, mais la balance commerciale des produits alimentaires est restée fortement déficitaire (avec plus de 3100 millions d’équivalent dollars d’importations contre moins de 100 millions d’exportations seulement), maintenant le pays dans la dépendance (MDDR – CNDR, 2006).
La politique du Renouveau Agricole et Rural (RAR)
La politique du RAR voulait renouveler la vision et les objectifs assignés au milieu rural. Le contexte et l’environnement institutionnels du secteur agricole ont évolué ces dernières années. La détérioration des conditions de vie en milieu rural, durant les années 1990, ne pouvait se poursuivre sans remettre en cause l’équilibre global de la société. Dans ces conditions, le développement rural était perçu comme la démarche permettant aux pouvoirs publics, de stabiliser les populations, accroître les opportunités économiques et garantir un équilibre indispensable entre les zones urbaines et les zones rurales.
Les pouvoirs publics semblent avoir orienté les différents axes stratégiques de cette politique en tirant les enseignements des échecs précédents. La politique de renouveau agricole et rural a pour ambition de répondre au défi de renforcer durablement la sécurité alimentaire nationale au moyen d’un partenariat public-privé et grâce à une forte implication des différents acteurs, mais aussi à l’émergence d’une nouvelle gouvernance dans la politique agricole, à travers l’accompagnement.
La mise en œuvre de cette politique décrite dans un rapport de 435 pages, mobilise trois volets d’action : le renouveau agricole, le renouveau rural, le renforcement des capacités humaines et de l’appui technique aux producteurs.
Cette politique identifiait 400000 exploitations agricoles disposant de capacités de compétitivité qui seraient accrues au moyen d’une recherche scientifique et d’appuis technico-économiques efficients, en renforçant l’organisation des marchés, en recentrant les organisations professionnelles et syndicales et en promouvant les offices interprofessionnels (MDDR – CNDR, 2006).
A travers le concept des « territoires ruraux », cette politique adoptait une nouvelle vision du monde rural qui consiste à penser mondial, régionaliser l’approche et territorialiser l’action avec des objectifs en matière d’emploi, de revenu, et de stabilisation des populations. La Stratégie Nationale de Développement Rural et Durable (SNDRD) a alors mis l’accent sur la décentralisation et la responsabilisation des acteurs au niveau local, mais aussi sur le développement rural participatif. Le Rar semblait ainsi répondre aux défaillances des politiques publiques antérieures. Longtemps considérés comme secondaires, voire marginaux, les enjeux locaux apparaissent dans les exigences collectives, remettant profondément en cause les modes d’action publique. A mesure que l’Etat se concentre sur ses grandes fonctions, le territoire est renforcé en tant que cadre d’organisation, de coordination de politiques diverses et de régulation. Il y a là un vaste chantier dont on commence à saisir les contours.
Pour retrouver les références bibliographiques de l’article, voir ici