Publié le 16 janvier 2025 |
0Ne pas jeter le bébé avec l’eau du vin
D’accord, c’est un peu tôt pour les rillettes et le petit coup de blanc qui rince les chicots. Mais dans ce fil du mercredi 15 janvier 2025, Sesame fait le tour du tonneau pour voir ce qui se passe dans le milieu du vin. Monde du temps long qui se trouve percuté par le temps court et trépidant du marché. Jusqu’à la mise en péril ?
Visuel : Le « paradis » de la Cave de l’Étoile à Banyuls-sur-Mer © archives yann kerveno
Boire un canon pour sauver un vigneron ne sera peut-être bientôt plus suffisant. S’il y a un secteur en grande tension et ce, dans le monde entier, c’est bien celui du vin. Sommes-nous en route vers la fin de ce breuvage qui a accompagné le développement des civilisations occidentales depuis 8 000 ans ? À moins que ce soit plus récent, 3 000 ans quand même ?
À vrai dire, on entend souvent parler des nouveaux vignobles qui se créent ici ou là dans le monde, on a même vu tout récemment un papier se demander sides vignes pouvaient survenir un jour au Groënland (indépendamment des lubies de Trump). Mais, c’est une réalité, le changement climatique permet de conduire aujourd’hui la vigne dans des contrées où elle ne pouvait s’enraciner (le nord de la France, la Bretagne…) ou de s’implanter avec succès dans des zones encore plus au nord (au Royaume-Uni en particulier où se sont installés quelques grands noms du secteur viticole français, on parle même d’invasion, ironie de l’histoire, et qui compte plus de 400 vignobles).
Mais si ce petit arbre cache, médiatiquement au moins, la forêt, cette dernière est en train de se consumer à petit feu. Parce que s’il est un secteur en crise(s) dans le monde, c’est bien celui du vin.
30 ans en arrière
Imaginez, les surfaces plantées en vigne ne cessent de reculer, comme le donne à voir le dernier état du monde du vin publié l’an passé par OIV – Organisation Internationale de la Vigne et du Vin. En 20 ans, les vignes ont perdu plus d’un demi-million d’hectares que le fort développement du vignoble chinois n’a pas suffi à enrayer (page 6). Toutes les régions du monde ne sont toutefois pas logées à la même enseigne. L’érosion reste, jusqu’en 2023 et depuis 2018, à la marge en Europe et dans les trois principaux pays producteurs (Espagne, France, Italie, dans l’ordre alphabétique), mais est parfois sauvage dans d’autres bassins de production, au Chili par exemple. Qui dit moins de surfaces implique aussi un recul de la production. En 2023, elle fut ainsi, combinée à des événements climatiques, la plus basse depuis… 1961, avec 237 millions d’hectolitres. Les dernières prévisions en date pour 2024 estiment la vendange entre 227 et 235 millions d’hectos.
Et puis, il y a cette consommation qui ne cesse de baisser. L’année 2023 fut par exemple un record en la matière avec un recul de 2,6 % (221 millions d’hectolitres de vins, la consommation la plus faible depuis 1996). L’inquiétude vient notamment du fait que la consommation recule dans les cinq pays qui sont les plus gros buveurs, les États-Unis et la France par exemple, mais surtout en Chine où elle n’était plus, en 2023, que la moitié de ce qu’elle était il y a quatre ans. Mais là encore, comme pour la production, tous les segments ne sont pas concernés au même titre. Les vins pétillants continuent, eux, de progresser.
Une foule de raisons
Pour expliquer cette « déconsommation », plusieurs facteurs sont avancés. L’effet génération, les plus jeunes se détournant du vin au profit de boissons plus alcoolisées ou de plus d’alcool du tout. L’effet de la prévention et des messages invitant à limiter ou stopper toute consommation d’alcool qui viennent s’inscrire dans la longue litanie des choses à éviter si l’on veut espérer rester en bonne santé. L’effet inflation, aussi, largement renforcé depuis la crise du Covid qui a fait prendre deux euros en France à chaque bouteille et a sensiblement déplacé le cœur du marché. Ajoutons, peut-être moins investiguée, l’emprise de plus en plus grande du phénomène des modes sur un produit revendiqué comme culturel donc a priori à l’abri de ces vagues. Pourtant, l’émergence des rosés il y a 15 ans, des blancs aujourd’hui et l’envol des pétillants semblent témoigner d’évolutions parfois brutales qui viennent percuter une production agricole ancrée dans le temps long de la vie de la vigne (40 à 80 ans), handicap majeur quand il s’agit de s’adapter en quelques années.
Une foule de défis
On trouvera auprès du cabinet IWSR la synthèse la plus efficace des challenges qui attendent le monde du vin. Dans une note publiée il y a un an, et portant sur 2024, le cabinet listait : le déclin structurel, dans la production et la consommation comme évoqué ci-dessus, la difficulté à recruter de nouveaux consommateurs, qui, plus jeunes, sont aussi enclins à suivre plus rapidement les modes ; la « premiumisation » de la consommation avec la montée en gamme des attentes des consommateurs un peu partout dans le monde, la maîtrise des taux d’alcools pour rester dans le marché, la concurrence des autres boissons dans la vente par internet et enfin, le changement climatique.
Dans un papier brillant comme souvent, le journaliste américain W. Blake Gray prévient toutefois : il ne faudrait jeter le bébé avec l’eau du vin. Sans rejeter l’idée de la crise, « oui les gens boivent moins de vin, oui toutes les wineries ne survivront pas », il engage à ne pas se laisser séduire par les nouvelles poules aux œufs d’or : vins natures zéro zéro (sans soufre, sans levures ajoutées), changement de contenants (canettes), pour tenter de satisfaire les désirs des jeunes consommateurs. Mais non, pour notre journaliste américain, la stratégie à suivre est simple. Il suffit de faire des bons vins « et ne pas les vendre plus cher qu’ils ne le sont (sauf dans la Napa ou le prix rend les vins plus désirables) » égratigne-t-il en prenant exemple sur le bourbon.
Sauvé par le haut
En crise dans les années 1980, la boisson a été sauvée parce que, explique-t-il, les distilleries qui ont passé le cap ont produit des bourbons de qualité. Et qu’aujourd’hui, ce marché est plus « sain que celui des vins. » Deuxième argument qu’il avance, on sait aujourd’hui que les Millenials, par qui le spectre d’un abandon du vin a surgi, consomment aujourd’hui plus de vins que la génération X qui les a précédés. Rien d’étonnant alors que la génération Z ne soit pas encore prête ! Mais curieusement, si la littérature concernant le futur de la production de vin, face au changement climatique, pousse largement jusqu’en 2050, on trouve bien moins de publications concernant les tendances à court terme.
Même Mike Veseth (The Wine Economist) fait preuve d’une prudence de sioux sur le sujet, se contentant de prédire la fin de la bouteille et du bouchon, de reconnaître que peut-être les marques l’emporteront sur le terroir en précisant que de toute façon, il y a fort peu de chance pour que le futur nous attende à l’endroit où nous l’imaginons. Alors, reste à plonger dans le passé pour savoir d’où l’on vient. Et pour cela se référer aux résultats préliminaires de l’étude menée l’an passé par l’OIV sur un siècle de production viticole (1924-2024). Tchin !