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Quel heurt est-il ? Enfant à Mayotte © Aude Sturma

Publié le 10 février 2025 |

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Mayotte : « Avant le cyclone, 30% de la population ne disposait pas d’eau courante »

À Mayotte, le passage du Cyclone Chido a engendré des dégâts d’une rare ampleur. La population mahoraise, et en particulier les habitants les plus précaires, en subit les lourdes conséquences. Les impacts sur l’habitat, l’accès à l’eau et à l’alimentation risquent de provoquer une bombe sanitaire à retardement dénoncée récemment par la sociologue Aude Struma[1]. Cette catastrophe naturelle est aussi le révélateur de fortes inégalités sociales. Entretien avec Aude Sturma, sociologue (Certop, Toulouse). Propos recueillis par Valéry Rasplus. Crédit photo : Aude Struma

Valéry Rasplus : Pouvez-vous nous indiquer quelle était la situation de l’habitat à Mayotte, et plus particulièrement de l’habitat précaire, lors des dernières décennies ?

Aude Sturma : Avant les années 1960-1970, l’habitat est majoritairement léger, en torchis, que l’on nomme Banga, et qui désigne aujourd’hui les bidonvilles faits de tôle. Après les années 1970, s’y ajoutent des habitations en dur et en tôle. On estime que jusqu’alors, 110 000 personnes vivaient dans ces abris précaires. Les logements locatifs privés, en dur, sont rares et chers. Ils sont inaccessibles financièrement pour une grande partie de la population.

À ces problèmes se joint la question des fortes inégalités d’accès à l’eau potable.

Cette question est liée à l’aménagement du territoire. Dans le cadre d’une urbanisation spontanée d’habitats précaires, il est souvent impossible techniquement de poser des tuyaux là où les terrains ne sont pas carrossables. Cela suit le cours historique de l’implantation des bidonvilles à Mayotte. Avec une accélération, en raison de la forte croissance démographique.

De fait, on estime qu’avant même le passage de Chido, 30% de la population de Mayotte ne disposait pas d’eau courante à l’intérieur du domicile, ce qui pose problème en termes d’hygiène. D’autant que s’y ajoute l’accès ou non à l’assainissement pour le traitement des eaux usées et autres problèmes sanitaires. Or seulement 30 % des Mahorais bénéficiaient d’un assainissement collectif. Le reste de la population utilise des dispositifs individuels souvent traditionnels : des trous creusés dans le sol sans cuve de récupération. D’où la problématique de la pollution des sols, des nappes phréatiques peu profondes et des puits qui peuvent servir de points d’approvisionnement en eau.

Notons également que l’accès à l’eau ne fonctionne que par alternance : des coupures pouvaient durer plusieurs heures, ce qui engendrait un problème de sécurité de la potabilisation de l’eau. Car, quand l’eau a stagné dans les tuyaux, il faut la laisser couler en continu pendant un bon moment avant qu’elle redevienne potable. On recommandait de la faire bouillir. Mais cela demande de l’énergie, ce qui suppose de disposer de bois pour faire du feu, ou de pouvoir acheter du gaz en bombonne, sachant que le revenu médian est d’environ 260 € par mois. Tout ceci peut être un frein aux gestes de potabilisation. On est dans une situation qui reste assez critique.

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Qu’en est-il concernant les bornes fontaines monétiques, autorisant un accès à l’eau par l’intermédiaire d’une carte prépayée ?

Le maillage territorial de ces fontaines était insuffisant. Leur faible nombre ne permettait pas de couvrir l’ensemble des besoins. D’où l’existence de zones noires sans aucun accès à l’eau. De fait, des populations sont obligées d’aller à la rivière, de s’alimenter dans des puits, des sources résurgentes ou encore d’acheter de l’eau en bidon à des particuliers, à des prix fixés sans aucun contrôle.

Quand bien même vous disposez d’une borne fontaine non loin, vous ne pouvez l’utiliser qu’avec une carte, dont l’unique point d’achat est situé au-dessus de Mamoudzou, à Kawéni plus précisément. Celles et ceux qui n’ont pas de situation régulière n’osent pas se déplacer sur le lieu de vente. Et puis, il y a le problème du transport et du stockage de cette eau de fontaine, de manière à sécuriser sa potabilité.

Enfin, alors même que le nombre d’abonnés augmentait, l’investissement n’était pas au rendez-vous. D’où une crise de la production : Mayotte n’est pas en capacité de produire et de distribuer suffisamment d’eau potable pour couvrir l’ensemble des besoins. Avec le changement climatique, cela devrait s’aggraver.

Pensez-vous qu’en plus des maladies hydriques déjà courantes à Mayotte en temps ordinaires, la population pourrait faire face à des problèmes de malnutrition malgré l’arrivée de l’aide gouvernementale ?

En fait, c’était déjà le cas avant. Quand j’étais sur le terrain, par exemple entre 2019 et 2020, je travaillais avec la Croix-Rouge française présente sur le territoire et elle rendait compte de Kwashiorkor chez les enfants, un syndrome de malnutrition par carence en protéines. Le cyclone n’a pas amélioré les conditions. Il est raisonnable d’augurer de nouveaux problèmes de malnutrition. On est aussi dans une situation où il y a eu des cas de choléra à Mayotte quelques mois avant l’arrivée de Chido. Il n’est pas impensable qu’une bombe sanitaire puisse arriver. Personne n’avait anticipé les conséquences catastrophiques que pouvait avoir un cyclone d’une telle intensité.

Mais alors, quelles seraient les actions les plus vertueuses pour endiguer une potentielle bombe sanitaire ? 

Pendant ce temps de crise, il est impératif d’améliorer l’accès à l’eau et au soin pour tout le monde, sans discrimination.  La population ne doit plus avoir peur de se rendre sur les lieux de soin.

Il y a aussi des actions de solidarité, comme des maraudes sanitaires, qui se montent avec des associations ou des collectifs, notamment d’infirmiers et d’infirmières, proposant des soins directs et se positionnant dans les quartiers les plus précaires. Il faut favoriser ce type de santé de proximité et soutenir financièrement ces organisations pour qu’elles puissent embaucher et faire grossir leurs équipes de soignants.

La question du risque a-t-elle été oubliée à Mayotte ? 

 Face à la difficulté qu’il y a à enrayer une crise due à un cyclone et sachant qu’on ne peut éviter la survenue d’un tel phénomène météorologique, il est essentiel de travailler sur la mémoire du risque.  Face à un changement climatique qu’on ne peut plus ignorer, on a tout intérêt à apprendre de ce type d’événement pour ne pas refaire à chaque fois les mêmes erreurs.

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[1] Aude Sturma et Kevin Goldberg, « La vulnérabilité structurelle des services de santé à Mayotte fait craindre une surcatastrophe sanitaire », Le Monde, 27 décembre 2024. En ligne : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/27/la-vulnerabilite-structurelle-des-services-de-sante-a-mayotte-fait-craindre-une-surcatastrophe-sanitaire_6469400_3232.html?random=140360519

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