Bruits de fond

Published on 30 mars 2020 |

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Liban : comment faire pomme neuve ?

par Hala Abdallahet Selma Tozanli, 1

Depuis la nuit des temps, les pommeraies se fondent dans le paysage montagnard et rural du Liban et leurs fruits garnissent les tables des ménages. Selon la FAO, la production nationale est passée d’environ 100 000 tonnes dans les années 1960 à près de 130 000 au début des années 70, un chiffre demeuré stable et dont 40 % est voué à l’export, particulièrement vers  l’Égypte (deux tiers des exportations en volume), l’Arabie Saoudite et les autres pays du Golfe et du Moyen-Orient. Un débouché essentiel pour les producteurs libanais mais qui, malheureusement, ne cesse de diminuer : leur part dans les exportations mondiales de pommes a accusé une perte de trois points entre les années 1960 et 2010, pour n’en représenter désormais qu’à peine 1 %, voire moins. 

Il faut dire que, au cours de ces vingt dernières années, le poids de la Chine, des pays de l’UE, principalement l’Italie et la Pologne, des États-Unis, du Chili et de l’Afrique du Sud a sensiblement progressé. Une nouvelle concurrence qui ne cesse de grignoter les parts de marché du Liban sur ses  débouchés traditionnels, en Égypte et dans les pays du Golfe. 

Non seulement la filière subit ces fortes pressions sur le plan international, mais elle paie également un défaut de savoir-faire pour améliorer les pratiques culturales, la faiblesse des structures d’appui, l’absence de maîtrise en aval, pour organiser efficacement la commercialisation et la distribution. Résultat : en 2016, la baisse des exportations s’est soldée par des millions de caisses de pommes invendues, provoquant la colère des producteurs. Face à cette crise, l’État a interdit les importations, tenté de trouver des marchés alternatifs et promis des aides financières, que les producteurs n’ont toujours pas reçues. Une intervention contreproductive, qui étouffe l’innovation et fragilise la compétitivité alors qu’il aurait fallu commencer par dresser un inventaire des contraintes et des faiblesses de la filière. 

Cet inventaire, nous l’avons réalisé en septembre 2017 avec toutes les parties prenantes. Conclusions ? Une part significative des handicaps se situe en amont : absence d’un système de crédit bancaire permettant, moyennant un faible investissement, de renouveler les vergers et d’introduire de nouvelles variétés ; présence de maladies et nuisibles provoquant la perte de plus de 30 % des fruits sur pied ou après récolte, un taux qui peut aller jusqu’à 90 % en raison notamment de l’inefficacité des pesticides importés de Chine. Par ailleurs, la filière souffre d’une trop faible coordination des acteurs entre l’amont et l’aval : d’un côté les producteurs sont peu ou mal organisés, de l’autre le soutien de l’État en matière d’assistance technique et d’outils de promotion marketing fait défaut. Viennent enfin les problèmes liés à une qualité sanitaire défaillante, non conforme aux normes internationales, et à des coûts de production élevés. Conséquence : un manque de compétitivité sur les marchés internationaux et une part importante de gaspillage. Un sombre tableau que noircit encore l’absence d’industries de transformation dignes de ce nom à même d’absorber les invendus à l’export. 

Face à un État manquant de moyens financiers et organisationnels, c’est le secteur privé qui prend la main : la coopérative Sannine, l’entreprise Liban Village ou eBiomass stimulent la structuration de la production, l’adoption de pratiques culturales raisonnées et/ou biologiques et travaillent à une répartition plus équitable de la valeur créée. Des initiatives qui devraient se multiplier dans le proche avenir tant elles contentent producteurs aussi bien que consommateurs. 

  1. ministère de l’Agriculture libanais, doctorante SupAgro Montpellier  et économiste, ex-enseignante chercheuse au CIHEAM-IAMM (Centre International de Hautes Études Agronomiques Méditerranéennes-Institut Agronomique Méditerranéen de Montpellier)




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