Published on 11 septembre 2024 |
0Les vertus stratégiques du dialogue
On connaît les résultats du dialogue stratégique sur l’agriculture engagé en janvier par la Commission européenne. Le document fait 110 pages, pose des principes, émet des recommandations et donne à voir une synthèse qui semble de bon sens entre économie et environnement. Reste maintenant à voir comment tout cela sera injecté dans la nouvelle PAC et résistera au lobbying des uns et des autres ! On met le nez dedans pour ce fil du mercredi 11 septembre 2024.
Visuel : © archives Yann Kerveno
Le dialogue stratégique, c’est une des réponses apportées à la crise qui a secoué l’Europe agricole en début d’année. La promesse d’une remise à plat après les remises en cause du modèle par le green deal et ses ramifications (Farm to Fork, loi de restauration de la nature…).
Avec pour ambition de « définir une vision commune pour l’agriculture européenne ». Et de répondre à une série de questions : « Comment donner à nos agriculteurs et aux communautés rurales dans lesquelles ils vivent une meilleure perspective, y compris un niveau de vie équitable ? Comment soutenir l’agriculture dans les limites de notre planète et de son écosystème ? Comment mieux exploiter les immenses possibilités offertes par la connaissance et l’innovation technologique ? Comment pouvons-nous promouvoir un avenir brillant et prospère pour le système alimentaire européen dans un monde compétitif ? » On a connu chantier moins vaste !
Principes et propositions
Début septembre, les enseignements de ce dialogue, qui a impliqué toutes les parties prenantes du dossier ( monde agricole, protection de l’environnement, consommateurs) ont été rendus publics. Qu’y trouve-t-on ? Des principes très (très) généraux comme « travailler ensemble pour un avenir durable, résilient et compétitif », item qui passera par une adaptation de la PAC, mais aussi « progresser vers des systèmes agroalimentaires durables ; promouvoir une résilience transformatrice ; construire un secteur attractif et diversifié ». Et comme souvent pour trouver grain à moudre, il faut se plonger dans le document lui-même, 110 pages tout rond.
On y trouve dix principes « politiques » qui servent de cadre à la réflexion et aux propositions (page 10). Ils rappellent que la production alimentaire et agricole joue un rôle stratégique dans le nouveau contexte géopolitique européen, que la durabilité économique, environnementale et sociale peuvent se renforcer mutuellement, que les marchés doivent être plus justes, que la technologie et l’innovation sont des leviers de la durabilité et que les zones rurales « attrayantes » sont importantes pour la sécurité alimentaire et la viabilité de la société et de la démocratie libérale .
Soutiens et renforcement
Suivent les propositions. La première porte sur le renforcement de la compétitivité des agriculteurs pour améliorer leur rentabilité et leur assurer un revenu décent. La seconde se consacre à la création d’un référentiel européen d’évaluation de la durabilité dans les exploitations ; la troisième, très vague, rappelle que la PAC doit être adaptée pour assumer la transition vers un système plus durable, plus diversifié, compétitif et rentable, en particulier dans l’optique du prochain élargissement de l’Union. Cela passerait par un soutien socio-économique aux agriculteurs qui en ont le plus besoin, le soutien des actions positives sur l’environnement et le bien-être des animaux, le renforcement des aides aux exploitations les plus fragiles, jeunes agriculteurs, petites exploitations, zones à faibles densités de main-d’œuvre, zones à handicaps naturels… Plus le renforcement des paiements environnementaux.
Gros sous
Et qui va payer tout ça, vous demandez-vous à cet instant de la lecture ? La réponse est dans le point suivant. Le rapport préconise de mobiliser des fonds publics et privés, la création d’un fonds temporaire de transition en dehors de la PAC, un encadrement des prêts bancaires et l’implication de la Banque européenne d’investissement. En réponse aux critiques sur les accords internationaux, le rapport incite aussi la Commission à « mieux reconnaître la pertinence stratégique des produits agricoles et alimentaires dans les négociations commerciales, adapter ses stratégies de négociation et revoir sa méthode d’évaluation d’impact avant les négociations commerciales.»
Les recommandations suivantes enjoignent les Etats à adopter des politiques axées sur la demande pour créer des « environnements alimentaires sains où l’on peut manger équilibré. » Elles reprennent aussi les axes liés à la limitation des intrants, la restauration des espaces naturels, la réduction des émissions de gaz à effet de serre (avec la mise en place là aussi d’un référentiel de calcul unifié), demandent un nouveau cadre réglementaire pour le bien-être animal, un « zéro net artificialisation » des terres agricoles pour 2050, une meilleure prise en compte et prévention des risques et un appui renforcé à la recherche et l’innovation. (Vous avez tout là au bout de ce lien – en anglais).
Socle
Le document était attendu de pied ferme par le monde agricole européen, et même s’il n’est que propositions, il sera le socle de négociation de la nouvelle PAC. Une sorte de synthèse adaptée entre l’impératif économique et l’impératif environnemental. Bref, une révision de Farm to Fork, et les débats risquent d’être fertiles ! S’il a été plutôt favorablement accueilli pour les organisations professionnelles agricoles de toutes obédiences, il a suscité la grogne du côté des défenseurs de l’environnement qui évoquent pour certains d’entre eux une « classique tactique de retardement. » Mais les réactions ont été assez peu nombreuses, rares sont les médias qui y font écho. Il faudra maintenant attendre le prochain document, celui de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à savoir sa « vision pour l’agriculture et l’alimentation » qui doit être rendue publique dans les 100 premiers jours de son nouveau mandat.