Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Les échos & le fil © archives Yann Kerveno 2002

Publié le 15 mai 2024 |

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Les gauchos passent à droite (toute)

Cinq mois après son élection, Javier Milei a commencé de mettre l’agriculture Argentine sur les rails de son programme. Et comme attendu, en fait un fer de lance de l’économie de son pays en dérégulant massivement. Sans casse ? Trop tôt pour le dire, mais c’est le fil du mercredi 15 mai 2024.

En 2020, il y a quatre ans déjà, nous nous étions penchés sur l’agriculture argentine qui n’en fait pas moins dans l’ombre de son géant voisin brésilien. Parce que question gigantisme, le pays n’est pas mal non plus. Pour résumer, ce sont 150 millions d’hectares de terres agricoles dont 39,7 millions sont arables. La part de l’agriculture dans le PIB évolue entre 6 et 7 % depuis 2020, (contre 1,7 % en France). Si l’on ajoute les emplois induits, la richesse créée par le secteur agricole du pays agrège 23 % des emplois et génère 23 % du PIB ce qui en fait le premier secteur de l’économie du pays. Les sécheresses et coup du sort météorologique dès cette dernière décennie ont cependant fait perdre à l’Argentine quelques places au classement mondial des pays agricoles, elle est aujourd’hui en 14e position après avoir été longuement dans le top 10. C’est  aussi un grand pays exportateur, maïs, blé, soja… Ainsi que de la viande, principalement à destination de la Chine qui en absorbe les trois quarts, et ce n’est pas fini si l’on en croit les premiers chiffres de 2024… Bref, quand on parle agriculture dans le pays, ça pèse. Alors voilà, quand il y a une élection, on cause forcément agriculture, et quand c’est le super libéral Javier Milei et son programme de grande déréglementation qui sont portés à la tête de l’État, on peut s’attendre à être décoiffé. Et c’est peu dire que le monde agricole, enfin celui de l’agro-industrie, attendait le messie qui romprait avec le péronisme.

L’ambition était grande

Dans son programme, Javier Milei promettait la dérégulation, la libéralisation et l’ouverture des marchés pour que l’Argentine cesse d’être le dindon de la farce (l’expression argentine exacte, c’est : « le canard du mariage »). Parmi les mesures annoncées, il y avait l’application d’un taux de change unique pour les exportations et les importations, la suppression des taxes à l’exportation uniquement argentines et le traitement égal des investissements, la suppression des lois sur les quotas ou les trusts, la simplification, la réduction du poids de l’administration… La plus récente des décisions, elle date de la fin avril ? La fin des quotas d’exportations de céréales mises en place en 2021 pour préserver le marché intérieur argentin et juguler l’inflation. Histoire, justifie le gouvernement, de consolider la place du pays dans le marché mondial comme l’explique Agustín Tejera, sous-secrétaire aux marchés agroalimentaires dans El Litoral : « L’Argentine a une opportunité à saisir. Nous avons l’occasion de nous positionner non seulement en tant que principaux fournisseurs de denrées alimentaires, mais aussi de services biosourcés. Nous nous trouvons dans une région en paix, ce qui nous confère un attribut fondamental. La confiance et la durabilité sont la base de l’insertion de l’Argentine dans le marché mondial, de l’augmentation des exportations et, surtout, de la construction d’une politique de développement territorial dans notre pays ». Au moins c’est clair. L’Argentine veut une place de choix entre la Chine et les États-Unis.

60 % de la consommation locale

Alors évidemment, cette ambition s’accordent assez mal de l’agriculture traditionnelle. On est plutôt sur le modèle, déjà très présent, de l’agro-industrie, grandes exploitations, mécanisation, recours massifs aux intrants… « Nous avons déjà connu la libéralisation des années quatre-vingt-dix et la disparition de 90 000 producteurs » plaidaient au début de l’année 2024 les représentants des petits producteurs du pays. Le mouvement rejetait la privatisation de Banco Nacion, la suppression de la loi sur la terre quand 6 % d’entre elles appartiennent déjà à des intérêts étrangers, et refusait l’adhésion à la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales… Pas vraiment de quoi inquiéter l’administration Milei qui a fermé en mars l’Institut de l’agriculture familiale, paysanne et indigène et du Conseil national de l’agriculture familiale, supprimant au passage 1 000 emplois au motif que ces organisations ne comptaient que « des emplois politiques » ou des « postes de non-travail ». La première de ces organisations ayant pour mission d’appuyer le développement de l’agriculture familiale qui produit, le chiffre est parlant, 60 % de la consommation alimentaire du pays.

Kichnérien va !

Pour autant, les premiers résultats ne sont pas probants et alimentent cette blague locale voulant que les céréales soient « kirchnériennes ». Tout simplement parce que depuis que Milei est entré en fonction, le marché des céréales a pris une grosse gamelle alors qu’il a connu un âge d’or sous les administrations Kirchner (le papier date de mars, la situation a un peu changé depuis). Cela n’empêche pas l’agriculture du pays d’avancer. Elle vient de se doter d’une certification « zéro carbone » pour son élevage bovin. La certification existe mais elle reste encore à déployer et à faire sa place dans un marché où le consommateur devra payer plus. Lui qui fut, en Argentine, déjà échaudé par l’augmentation du prix de la viande de 270 % ces dernières années. Et ce n’est pas le seul défi, voici qu’ont débarqué les cicadelles dans les cultures du pays, provoquant cette année une baisse très importante de la production, plusieurs millions de tonnes. Les producteurs, et les commentateurs, parlent de « nuages de cicadelles dans les champs » et d’un « phénomène très inhabituel ». Pour parer cette infestation possiblement chronique à cause du changement climatique, le gouvernement cherche des solutions phytosanitaires. Et celui-ci de sortir le chéquier pour, en attendant, indemniser les producteurs.

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