Publié le 29 janvier 2021 |
0Les échos #4-2020
Par Yann Kerveno
Ça progresse, mais le compte n’y est toujours pas. Nous, les Français, ne consommons pas assez de fruits et légumes. Enfin, pas au niveau des recommandations du Plan national nutrition santé, vous savez, les fameux cinq fruits et légumes par jour. Il faudrait que nous en mangions entre 400 et 500 grammes par jour, or nous n’en consommons que 323 grammes, 365 grammes si on ajoute les légumes en conserve. Mais peut-être le Covid va-t-il accélérer la tendance ? Les grands gagnants des évolutions de nos consommations sont, en 2020, les légumes congelés et surgelés. Puisqu’on parle de confinement, vous avez peut-être vu passer cette info qui évoque l’appétence nouvelle des Franciliens pour l’ouest de la France et les villes moyennes de Bretagne ou des Pays de la Loire. Il n’en faut pas plus pour y voir un écho à la récente interrogation de Nicolas Senil : Va-t-on vers un tournant rural dans notre pays ?
Vous vous souvenez, peut-être, de cette évaluation saignante du Green Deal par les experts du ministère américain de l’agriculture. Évaluation qui prévoyait une importante baisse de la production agricole en Europe à cause des objectifs du plan Farm to Fork (réduction des usages d’intrants, de pesticides, etc). Le think tank Agriculture Stratégies livre à son tour une lecture de l’étude américaine et entend en démontrer la malhonnêteté dans un long papier. Les conclusions américaines, en particulier sur la faim dans le monde, sont fausses explique l’auteur, qui conclut plutôt à une tentative des États-Unis de vouloir empêcher la progression des standards agricoles dans le monde. Puisque nous en sommes aux questions internationales, sachez que la Malaisie a porté une demande de consultation devant l’Organisation mondiale du commerce. Pour protester contre la décision européenne d’exclure les biocarburants à base d’huile de palme du calcul des objectifs en matière d’énergie renouvelable. L’Indonésie a d’ailleurs déjà intenté une action de ce type contre l’Union européenne, décision qui met à mal, dans les deux pays, un pan entier de l’agriculture et de l’industrie primaire.
Nous en avions parlé dans un thread voici quelques semaines, la crise du chocolat laisse des traces sous forme de stocks importants dans les pays producteurs de cacao. Au Nigeria, la banque centrale va libérer 300 000 tonnes de maïs pour détendre les prix tandis que les tensions se précisent pour la fin de campagne dans le monde entre rétention et boulimie. Faisons-nous face à un risque géopolitique ? En Inde, la mobilisation ne faiblit pas, une manifestation d’agriculteurs a dégénéré la semaine passée dans les rues de New Delhi.
Faisons, voulez-vous, un détour par le monde animal. Une épidémie chassant l’autre, l’Irlande vient de changer de statut. Rien à voir avec le Brexit, mais bien avec la vache folle. Jusqu’ici le pays était classé dans le groupe des pays présentant un risque maîtrisé de la maladie (avec la France, le Canada, l’Equateur, la Grèce) et vient donc d’être rétrogradé dans le groupe des pays à risques négligeables. Du côté de la peste porcine africaine, c’est un peu comme le Covid en fait, on ne voit pas trop comment on va pouvoir s’en sortir. L’Allemagne construit une clôture le long de la frontière avec la Pologne car la maladie y est endémique chez les sangliers. En Chine, si la situation semble maîtrisée, deux nouvelles souches viennent de faire leur apparition. Et elles proviennent probablement de vaccins vétérinaires illégaux et mal fagotés. Moins virulents que la souche originelle, ces deux nouveaux virus ont cependant un impact important sur la prolificité des truies, potentiellement délétère à l’échelle de la production du pays.
Et puisque la crise du Covid-19 que nous vivons rend le futur incertain même à très court terme, (d’ailleurs vous avez vu le #thread de mercredi sur les différentes stratégies de lutte déployées dans le monde ?) regardons directement en 2040. À quoi ressembleront peut-être les agriculteurs cette année-là ? C’est l’exercice auquel s’est livrée la Commission européenne en croisant les grandes familles d’agriculteurs d’aujourd’hui avec les tendances à l’œuvre. Résultat, dans une vingtaine d’années, il se pourrait que l’agriculture soit encore plus multiforme que de nos jours.. Les profils dégagés vont en effet du Cell farmer, branché sur les nourritures alternatives, au Serious hobby farmer (qui donne plus d’importance à l’activité qu’aux revenus qu’elle génère) en passant par les agriculteurs en environnement contrôlé (vertical farming)… Et cet éclatement, comme le fait remarquer Muriel Mahé, du Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture, « constitue un défi pour les politiques publiques, rendant plus difficile le ciblage des instruments et des financements. » Bref ce fort document de 112 pages vaut le détour et une lecture attentive.