Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Les échos & le fil © archives Yann Kerveno

Publié le 21 mai 2025 |

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Le paradoxe d’Augias ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le ministre de la santé américain, R.F. Kennedy Junior, est à la hauteur des espérances placées en lui. Depuis la prise de fonction de la nouvelle administration Trump, il a engagé un bras de fer avec (presque) le monde entier pour révolutionner le système alimentaire américain. Au prix de quelques paradoxes pas piqués des hannetons. C’est le fil du mercredi 21 mai 2025.

Visuel : archives Yann Kerveno

C’est à se demander s’il ne se voit pas un peu comme Hercule devant les écuries d’Augias tant le secrétaire d’État à la santé américain semble vouloir engager un gigantesque bras de fer pour faire coller la réalité avec sa vision du monde. On sait depuis longtemps, surtout vous, fidèles lecteurs de Sesame sur Linkedin ou sur le blog, que ses positions sont tranchées, parfois contradictoires et génèrent le plus souvent des polémiques infinies, y compris dans son propre camp. La pierre angulaire de son action, c’est un slogan, copié sur celui de son mentor Trump : MAHA pour Make America Healthy Again. Slogan qu’il n’a pas oublié de déposer comme une marque commerciale, histoire d’en tirer quelques bénéfices sonnants et trébuchants comme le racontait en tout début d’année le Guardian. Son credo ? Il pense et clame en vrac, non sans avoir raison sur une partie de l’analyse et du constat, à qui veut l’entendre que les citoyens américains ont été « empoisonnés en masse par les grandes sociétés pharmaceutiques et alimentaires » les rendant responsables du développement des maladies chroniques. Il cite en particulier l’autisme, le trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité, les troubles du sommeil, les taux d’infertilité, le diabète et l’obésité…  Il accuse en outre les personnels des agences d’être « trop favorables aux grandes entreprises agroalimentaires et pharmaceutiques. » Le complot – « il faut découpler le ministère de la santé de la corruption institutionnelle » -, n’est jamais vraiment loin pour cet antivaccin affirmé, quoi qu’il en ait dit devant le Congrès lors de son examen de passage.

Haro sur l’ultratransformé

La question du sucre, un des problèmes majeurs de la malbouffe américaine, est tout aussi emblématique. Tonitruant, Kennedy a affirmé que « le sucre est un poison et que les Américains avaient besoin de savoir que cela les empoisonnait. » Mais il voue également aux gémonies les ingrédients « illégaux en Italie ou dans d’autres pays d’Europe » mais qui sont utilisé aux États-Unis et a en ligne de mire les aliments ultratransformés qui ont pris une place majeure (60 %) dans l’alimentation américaine. L’élimination des « produits chimiques », donc des pesticides ou des colorants par exemple, de la chaîne agroalimentaire est une de ses marottes. Tout comme les huiles végétales, qu’il rend responsable de l’expansion de l’obésité et dont il préconise le remplacement par le suif de bœuf, dont on connaît pourtant l’impact sur l’appareil cardio-vasculaire… Difficile d’y retrouver ses petits dans ce fatras où cohabitent constats avérés, pertinents et contre-vérités pourtant réfutées par la science. S’il est silencieux concernant l’impact sur la santé des pollutions liées à l’extraction de pétrole et de gaz – Trump lui a imposé de garder boucle close sur le sujet – il prend moins de précaution avec d’autres secteurs, comme l’agriculture. Mettant sa collègue de l’Agriculture Brooke Rollins régulièrement en porte-à-faux, même si elle explique à qui veut bien l’entendre qu’elle souhaite travailler main dans la main avec le secrétaire d’État à la santé.

« Maha Moms »

Bref. C’est bien tout le système alimentaire et son fondement qui sont remis en cause par cette ambition et l’Europe, curieusement, est souvent citée comme modèle dont il faudrait s’inspirer. Il se trouve des avocats pour défendre au moins certaines des positions du Secrétaire d’État à la santé. Et pas seulement dans le cercle des groupies de Kennedy Jr, les « Maha Moms » rassemblement hétéroclite de mères de famille en guerre contre les additifs alimentaires, les « chemtrails », « big pharma »… Dans Newsweek, une tribune récente appuie la volonté de réformer la politique liée aux additifs. « Pendant trop longtemps, les conglomérats alimentaires ont fait leur propre police et ont glissé de nouveaux additifs dans les rayons des épiceries sans responsabilité publique ni rigueur scientifique » expliquent les deux auteurs fustigeant le laxisme de l’État fédéral sur la question depuis les années soixante quand il fut décidé que des ingrédients « Généralement Reconnus comme Sûrs » (Ironie, cela donne GRAS dans l’acronyme anglais), puissent être incorporés sans que la Food and Drug administration (FDA) ait besoin d’y jeter un œil s’ils ont été visés par des scientifiques indépendants. Au point qu’une étude qu’ils citent estime qu’entre 1997 et 2011, un millier d’additifs furent insérés dans l’alimentation des Américains sans que la FDA se prononce. Pire, estiment-ils, la qualification GRAS est la porte ouverte à tous les abus. Une autre étude montre ainsi que 22 % des évaluations ont été réalisées par les propres employés du producteur et 11 % par un labo sélectionné par l’entreprise.

Profil (nutritionnel) bas

Du côté de l’industrie agroalimentaire, on tente visiblement de garder son calme, peut-être pour ne pas rajouter à la confusion. Même les producteurs de sucre livrés à la vindicte (une filière à 11 000 producteurs, 142 000 emplois dans 22 États), restent pour l’instant cois. Les challenges à relever sont pourtant massifs, et pas seulement pour remplacer les colorants produits à base de pétrole dont le retrait est demandé pour la fin 2026. Selon les industriels du « snacking », particulièrement concernés, les colorants naturels coûtent cinq à dix fois plus cher que leurs pendants synthétiques. L’industrie agroalimentaire américaine a toutefois déjà accepté de retirer 8 colorants synthétiques parmi les plus courants.

Backlash ?

En parallèle, la FDA a revu fin 2024, sa définition, initialement posée en 1994, ce qu’était un aliment sain pour encadrer les allégations du marketing. La publication, initialement prévue en février avait d’abord été repoussée au 28 février pour être amendée. Les débats tournent aujourd’hui autour du programme d’aide alimentaire, le Supplemental Nutrition Assistance Program ou SNAP (un pan important du soutien à l’agriculture américaine -110 milliards d’aides tirées du Farm Bill par an – pour que les foyers plus modestes puissent avoir accès à une alimentation de qualité, en produits frais notamment), qui doit faire 230 milliards de dollars d’économies ces prochaines années. De quoi faire craindre que la réduction des aides vienne contrecarrer, dans les populations les plus fragiles, tous les efforts déployés ailleurs pour limiter le recours à la malbouffe et aux produits ultratransformés. En limitant les moyens d’accéder aux produits frais alors que les mesures envisagées devraient, en plus, faire progresser le prix de l’alimentation ?

Reste maintenant à savoir ce qu’il adviendra, au-delà des imprécations et des oukases ? Comment faire appliquer correctement de nouvelles règles alors que des coupes franches sont effectuées dans les ressources humaines des ministères et des agences se demandent ainsi les associations de consommateurs ?

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