Sciences et société, alimentation, mondes agricoles et environnement


Les échos & le fil soja archives Yann Kerveno

Publié le 23 avril 2025 |

0

Le diable se cache dans les détails (du soja)

Parfois encensé par certains pour ses qualités, ses protéines, son huile, ses aptitudes agronomiques, voué aux gémonies par d’autres pour ce qu’il est, une culture qui pèse sur la planète parce qu’ogm et déforestation… Le soja se trouve maintenant critiqué pour ses isoflavones, un œstrogène végétal que l’on sait problématique depuis longtemps. En voiture tout le monde, nous descendons aux nodules, c’est le fil du mercredi 23 avril 2025 !

Visuel : © archives Yann Kerveno

Le soja fait régulièrement la Une de la presse et des internets parce qu’il est probablement un des symboles de l’agriculture moderne. Mais pas que. Tout récemment, c’était fin mars, c’est un avis de l’Anses qui a remis la casserole sur le feu en prévenant des risques liés à une trop grande consommation de cet oléagineux également fort en protéines (d’où son succès dans l’alimentation animale mais c’est un autre sujet…). L’agence a en effet défini, au terme d’une étude, une valeur toxicologique de référence pour un des composants du soja (mais aussi de toutes les légumineuses), les isoflavones (la Daidzéine et la Génistéine pour être précis). Si l’Anses s’est penchée sur la question c’est que ce composant, classé dans la famille des phytoœstrogènes (œstrogène d’origine végétale) était depuis longtemps dans la ligne de mire pour les effets qu’il peut avoir sur le système endocrinien, en particulier des enfants et des femmes enceintes. Mais à bien y regarder, l’histoire n’est pas foncièrement nouvelle et l’UFC Que Choisir avait porté le sujet devant l’ANSES en 2019.

Ces effets ont été découverts il y a près d’un siècle (déjà !), en 1946 et en Australie. Les chercheurs avaient été invités à résoudre un sérieux problème d’infertilité, de mises bas et de problèmes de l’appareil reproducteur affectant des brebis, mérinos principalement. Avec des conséquences importantes, la chute de pourcentage d’agnelage à 30, voir 10 % contre 80 % dans un troupeau sain, les problèmes d’agnelage (dystocie), lorsqu’ils avaient lieu, entraînant la mortalité de 30 à 40 % des agneaux et de 15 à 20 % des brebis gestantes décrivent-ils dans le papier qu’ils ont publié dans The Australien Veterinary Journal. C’est en menant cette étude qu’ils ont découvert que le trèfle (qui contient, comme toute légumineuse, ce type de substance) était très certainement à l’origine du mal, sans savoir encore quelle substance était en cause. « Les preuves suggèrent que le trèfle contient une substance oestrogénique puissante ou son précurseur, ou une substance qui potentialise l’oestrogène naturel de la brebis, ou stimule anormalement sa production » avancent-ils encore. La science permettra plus tard de mettre un nom sur ces composés et de comprendre leurs effets.

Mais à quoi peuvent donc bien servir les isoflavones pour le soja ? Pour se protéger de certaines attaques de champignons pathogènes et des attaques microbiennes mais aussi pour son développement. Elles ont notamment un rôle dans la stimulation des rhizobium, les bactéries symbiotiques qui rendent, en formant des nodules, les racines bien plus performantes pour la fixation de l’azote. Pour rendre les choses un peu plus compliquées, mais nous ne nous étendrons pas longtemps, sachez que le génotype, la température, l’irrigation et la vitesse de croissance de la plante peuvent faire varier fortement les concentrations en isoflavones qui sont, au final, une des composantes de la résistance de la plante. Plus elle en produit, plus elle est en mesure de se défendre.

Une fois connues, on a pu s’en servir pour traiter certains troubles comme ceux liés à la ménopause chez les femmes, d’autres allégations sont apparues, le lien entre le faible taux de maladie cardio-vasculaires en Asie, où il se consomme beaucoup de soja a même été évoqué pendant des décennies. Au point que l’agence européenne de santé, EFSA, a dû intervenir en 2012 pour interdire les allégations santé concernant la contribution des protéines de soja à la perte de poids, au contrôle du taux de cholestérol ou à la protection contre les radicaux libres. Donc, revenons à nos moutons (rétablis du coup depuis qu’on leur a supprimé le trèfle australien). Après avoir fixé la valeur de référence, l’Anses a plongé dans les niveaux d’exposition alimentaire des mangeurs français pour conclure, une fois les calculettes reposées, que c’était pas top. « Il existe un risque de dépassement des VTR chez les consommateurs d’aliments à base de soja. Ainsi, 76 % des enfants de 3 à 5 ans consommant ces aliments dépassent la VTR, de même que 53 % des filles de 11 à 17 ans, 47 % des hommes de 18 ans et plus ainsi que des femmes de 18 à 50 ans » est-il écrit dans le communiqué publié le mois dernier en même temps que la recommandation « de ne pas proposer ces aliments en restauration collective pour éviter que les repas pris dans ce cadre ne contribuent au risque de dépassement. » L’avis est là. Les industriels sont aussi invités à lever le pied ou à changer leur méthode de fabrication. On peut en effet modifier la teneur en isoflavones en adaptant les process (cuissons etc). Le problème maintenant, ça va être de se passer du soja, parce qu’il y en a un peu partout. Le site de Santé Canada dresse une liste longue comme le bras des aliments qui peuvent en comporter. Depuis les pousses de soja ou la sauce soja, ce qui ne vous étonnera pas jusqu’à la chapelure en passant par les succédanées de produits laitiers, les substituts de repas et une bonne partie des préparations végétariennes…

Lire aussi

Tags: , , ,




Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Retour en haut ↑