Publié le 17 octobre 2024 |
0La salade sur le toit
Les légumes qui poussent sur les toits échappent ils aux pollutions urbaines ? C’est le fil du mercredi 17 octobre 2024.
Visuel : © Yann Kerveno
On peut se prendre à rêver d’une AOC Belleville, la Défense ou Tony Garnier pour une salade qui aurait poussé sur un toit. Les temps que nous vivons nous ont habitués à transformer des invraisemblances en des réalités tangibles. Mais, au-delà de la boutade (gratuite j’en conviens), à connaître un peu le fonctionnement des végétaux, on peut se demander si cultiver des aliments en ville, endroits réputés à l’air fortement pollué, est vraiment raisonnable. Sur le plan de la santé s’entend, pour l’économie on sait que c’est déjà compliqué pour la rentabilité. Sautons sur notre moteur de recherche préféré et demandons-lui de nous agréger des résultats pertinents pour les mots « urbain, agriculture, air, pollution », pour voir si l’affaire a éveillé plus loin que le simple chroniqueur du temps présent. Et la question se révèle bigrement intéressante, à plusieurs titres.
Il semble en tout cas que jusqu’à maintenant, on se soit plus focalisé sur les parcours techniques et économiques que sur cette question de la pollution par le milieu. Un papier assez récent de Christine Aubry et Nastaran Manouchehri tente de faire le tour de la question. Les auteurs remarquent que si ces agricultures urbaines (ils font un parallèle entre Paris et Madagascar) peuvent, potentiellement, s’affranchir des pollutions notamment anciennes du sol, elles sont par contre soumises à celle de l’air à Paris et possiblement à celle de l’eau à Madagascar. Les deux chercheurs regardent aussi du côté de la combinaison plantes – polluants, toute plante ne réagissant pas de la même manière. Il est là question de la durée du cycle de la plante dont dépend la durée d’exposition, de son espèce, ainsi les légumes feuilles comme la salade ont une grande sensibilité à la pollution atmosphérique… Les deux chercheurs citent le projet T4P, Toits Parisien Productif Projet Pilote, commencé en 2012 et portant sur dix parcelles potagères en toits, qui a livré des résultats concluants. Bref l’ensemble est fort intéressant.
« Seul un site, où se trouvent des herbes de cuisine particulièrement sensibles aux polluants, dépasse les normes sanitaires de l’UE. Sur tous les autres , les concentrations en métaux traces (cadmium, plomb, arsenic, nickel) sont 3 à 5 fois inférieures aux seuils réglementaires européens. L’étude a également mesuré la pollution causée par les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) hautement cancérigènes provenant des poêles à bois et du trafic routier. Au moment de la rédaction du présent rapport, les 45 échantillons de légumes analysés présentaient des concentrations en HAP les plus dangereux à des niveaux inférieurs aux seuils réglementaires minimaux fixés par la Commission européenne »écrivent-ils.Ainsi, selon leurs conclusions, à une certaine distance des grands axes, et à une hauteur dépassant le 3e ou le 4e étage, les cultures maraîchères peuvent être conduites en toute sécurité. Une méthode a même été élaborée pour limiter les risques lors de l’élaboration des projets d’agriculture urbaine en sol ou hors sol. Une autre étude un peu plus récente offre de nouvelles données sur l’efficacité de ces systèmes et leur contribution à leur environnement en captant une partie de l’eau de pluie (donc en limitant le ruissellement)… Mais mettre du vert sur les toits et dans les villes, pas forcément des légumes, a aussi un impact sur la qualité de l’air respiré. Ainsi les chercheurs ont montré que les haies sont plus efficaces pour rendre les ambiances plus respirables que les arbres dans les rues des villes les plus étroites (à la manière de canyons), engoncées entre des immeubles hauts, et que la végétation de façade peut avoir un effet bénéfique sur les niveaux de pollution. D’autres idées pointent leur nez, l’utilisation de productions agricoles pour refroidir les data-center et des installations informatiques ou encore les aménités qu’elles pourraient offrir dans des territoires mis en tension par le changement climatique. Bref, nous n’en sommes qu’au début de cette histoire et finalement, l’agriculture urbaine devra, comme l’agriculture « rurale » être aussi évaluée en fonction de ses apports globaux et non sur les seules quantités produites. Sachant que comme souvent, il n’existe pas une agriculture urbaine mais une multitude de systèmes adaptés à leur environnement.