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Les échos & le fil Les élevages en plein air sont particulièrement vulnérables à la PPA © archives Yann Kerveno

Publié le 3 décembre 2025 |

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La peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom

En débarquant dans la banlieue de Barcelone, la peste porcine africaine ouvre un nouveau front en Europe, menaçant la France d’un peu plus près. Et ravive le souvenir d’une guerre de plus de trois décennies qui a transformé la production porcine au pays de Don Quichotte. C’est le fil, pestilentiel, du mercredi 3 décembre 2025. Pour tout savoir, ou presque.

Photographie : Les élevages en plein air sont particulièrement vulnérables à la PPA © archives Yann Kerveno

Alors qu’elle était jusqu’ici cantonnée à l’Allemagne et au nord de l’Italie pour les cas les plus proches des frontières françaises, la peste porcine africaine vient de s’inviter en Catalogne, moins de deux mois après que la Dermatose nodulaire y ait pris pied avant de revenir sur notre territoire français par les Pyrénées-Orientales. Faisant peser une nouvelle menace sur le secteur de l’élevage. Les deux premiers sangliers ont été retrouvés le 26 novembre de part et d’autre de l’autoroute AP-7 non loin de Barcelone. Cette autoroute, qui relie Algesiras (au sud de l’Espagne) à la frontière française non loin de Perpignan, en longeant la côte méditerranéenne, est une des plus fréquentées d’Espagne. Elle supporte jusqu’à 100 000 véhicules par jour dans la région de Barcelone et c’est une voie majeure du commerce européen. Depuis, le gouvernement catalan a réagi vigoureusement : appel aux citoyens pour signaler les cadavres de sangliers, recours à l’armée, appel aux chasseurs sans oublier plusieurs centaines de personnes mobilisées sur le terrain…

Entre le 15 et le 20 novembre

Cinq jours après la découverte des deux premiers sangliers, une quarantaine de cadavres (dont sept porteurs du virus confirmés lundi soir) ont été retrouvés dans la zone du parc naturel de Collserola où toutes les activités de loisirs sont provisoirement interdites… Les 39 élevages de porcs situés dans la zone ont tous été testés négatifs pendant le week-end. Dans le grand quotidien conservateur barcelonais, La Vanguardia, le vétérinaire Joaquim Segalès, apporte quelques précisions sur le foyer. Compte tenu des délais d’incubation et de la durée de la maladie, de six à dix jours pour ce génotype II, il estime que la contamination a dû se produire entre le 15 et le 20 novembre dernier. Par quelle voie ? Très probablement par « la consommation daliments contaminés par le virus » puisqu’il a cette capacité à voyager par les aliments, même transformés. L’hypothèse la plus citée semblant être celle d’un sandwich contaminé jeté dans une poubelle et bouloté par un sanglier peu regardant de biosécurité. Mais ce qui est ignoré à l’heure où ces lignes sont écrites, c’est si les animaux retrouvés morts depuis mercredi dernier sont les premiers touchés… Et c’est bien de cette information que la suite de l’histoire dépendra.

Une vieille connaissance

Pour bien comprendre l’enjeu, et l’empressement des autorités à réagir, il faut revenir planter le décor. D’abord, même si les risques de contamination avec les élevages sont limités (à condition que les protocoles de biosécurité soient parfaitement mis en œuvre), la Catalogne et le pays tout entier jouent gros. L’Espagne est le premier producteur européen de cochon (un quart de la production continentale. Avec la Catalogne et la province d’Aragon voisine, ce sont plus de 17 millions de porcs qui y sont produits chaque année. La moitié de la production du pays. Ensuite, il faut revenir un peu en arrière, en 1994, année lors de laquelle l’Espagne a déclaré son dernier cas de Peste porcine africaine après une âpre lutte de 35 longues années (contrôle des mouvements d’animaux, abattages…) qui a remodelé l’ensemble du secteur en le professionnalisant par l’application des mesures de biosécurité. Aujourd’hui, plus qu’à l’époque, l’enjeu économique est colossal, ce sont 3 milliards d’euros d’exportations qui sont en jeu pour la seule Catalogne et 8 milliards pour l’ensemble du pays devenu 3e exportateur mondial de porc. Le marché de référence pour le porc espagnol, situé en Catalogne à Lérida, a vu ses cours baisser de 34 % depuis la semaine dernière. Lundi, le kilo de porc vif était fixé à 1,20 euro (contre 1,81 euro en juillet) alors qu’il venait de perdre 10 centimes d’un coup. Il faut remonter à 1997, et aux pesetas, pour retrouver une chute aussi brutale. Elle avait été provoquée par la découverte en Europe de foyers de peste porcine, mais classique celle-là.

D’une peste l’autre

Enfin, ce foyer de peste porcine relance les débats autour de la surpopulation des sangliers, en particulier dans les zones périurbaines des grandes agglomérations, comme le parc de Collserola, où ils trouvent gîte et couvert abondants du fait de la déprise agricole. Ce parc naturel a d’ailleurs déjà fait l’objet d’une démarche de réduction du nombre de sangliers présents, associant la chasse mais aussi d’autres mesures comme la fermeture des containers à ordure ou encore la réduction du nombre de points d’eau accessibles aux animaux. De quoi peut-être faire se gondoler Sysiphe, comme l’explique Jordi Cobo Serra de l’université de Barcelone : « on peut réduire la population dune zone donnée, mais les sangliers peuvent alors venir dailleurs… » Vous avez dit que la nature a horreur du vide ? 400 personnes sont ainsi mobilisées cette semaine pour nettoyer le secteur où ont été découverts les deux premiers cadavres, sortir les autres sangliers morts, capturer ou contenir les autres pour les empêcher de sortir de la zone des six kilomètres définie autour des deux premiers cadavres. Bref, le pays retient son souffle en espérant, même si les conditions ne sont pas les mêmes, ne pas vivre le calvaire chinois de 2018. On s’en souvient peut-être, l’éclosion de la maladie dans le pays avait conduit à l’abattage ou la mort de 1,2 million de porcs en quelques mois (source officielle, d’autres estimations avancent la destruction de 40 % du cheptel national, pas loin de 200 millions de têtes) provoquant une flambée des cours du porc dans le monde entier et une restructuration à (grande) marche forcée de l’élevage dans le pays, un peu comme en Espagne au siècle dernier.

Vaccins ?

Si cette maladie ne concerne pas l’homme – elle ne nous est pas transmissible -, elle est suivie de très près par l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OMSA), à cause notamment de sa morbidité. Et aussi parce qu’on n’a pas de vaccin pour réduire l’impact de ce gros virus qui compte 150 protéines. Et pourquoi donc aucun vaccin n’a été mis au point alors que la maladie fait des ravages dans le monde entier depuis 70 ans ? Fernando Rodriguez, directeur du Centre de recherche en santé animale de Institut de recherche et technologie agroalimentaire de Catalogne (IRTA), propose une explication : « La PPA a été une maladie largement oubliée, surtout si lon pense aux régions dAfrique subsaharienne où le virus est resté endémique depuis son origine, contribuant à la pauvreté et à la malnutrition dans les zones touchées. Même à des moments où la maladie s’enkysta de manière endémique sur notre continent, il n’y eut jamais plus dune douzaine de groupes de recherche s’intéressant à ce sujet, lEspagne et le Portugal étant les plus représentés. Ainsi, il nest pas surprenant que, en plus de 60 ans de connaissance du virus, seuls 1 454 articles sur la PPA en général ou 167 articles sur les vaccins et la PPA aient été publiés » avançait-il en 2018. L’éradication de la maladie au milieu des années 1990 avait conduit à l’arrêt du financement d’une grande partie des recherches menées en Espagne en particulier. Depuis, l’épisode chinois est passé par là, la chose a un peu progressé, mais on n’a toujours pas de vaccin. L’an passé pourtant, une équipe de chercheurs avait annoncé avoir développé une nouvelle technologie pour modifier génétiquement les virus de la peste porcine africaine. Et se rapprocher de la mise au point d’un vaccin. Technologie par ailleurs applicable à d’autres virus, du Chikungunya à la dermatose nodulaire en passant par Ebola… Tout récemment on a aussi appris qu’une autre équipe avait ouvert la voie à la confection de vaccins vivants atténués tandis que d’autres se concentrent sur une solution différente, les vaccins à vecteurs. Autre signe que les choses bougent, l’OMSA a tout récemment publié la première norme pour les vaccins contre la peste porcine africaine. Laquelle demeure un des « drivers » du marché mondial du cochon. Et si le sujet vous intéresse et que vous désirez suivre la situation en Europe (il n’y a pas pour l’instant de carte de l’Espagne à ce sujet) vous pouvez jeter un œil aux cartes maintenues à jour par Vincent ter Beek.

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